Intervention de Annie Le Houerou

Réunion du 18 décembre 2023 à 21h30
Utilisation des titres-restaurant — Adoption définitive en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Annie Le HouerouAnnie Le Houerou :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à prolonger jusqu’au 31 décembre 2024 l’utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables.

Le 17 août 2022, dans un contexte marqué par une forte inflation, et dans le cadre de l’examen du projet de loi portant des mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, l’adoption d’un amendement de notre collègue Frédérique Puissat a introduit la possibilité d’utiliser les titres-restaurant pour l’achat de denrées alimentaires non directement consommables. Il s’agissait d’une mesure dérogatoire et d’urgence sociale, que nous avons soutenue.

Face à la vive émotion suscitée par l’approche de la fin imminente de cette mesure, nous nous retrouvons aujourd’hui à en débattre en urgence dans cet hémicycle.

Nous aurions espéré une meilleure anticipation de la part du Gouvernement, ce qui aurait permis d’entamer un travail en amont, afin d’adapter ce dispositif sur le long terme et de clarifier sa raison d’être, qui est aujourd’hui oubliée et dévoyée.

Il est important de rappeler l’historique de ces tickets-restaurant et la gestion du dispositif par les partenaires sociaux.

Ce titre est né en 1967, d’un accord entre représentants des employeurs, des salariés et de l’État, chacun contribuant à son cofinancement. Il relève du code du travail.

À défaut de pouvoir bénéficier d’un restaurant d’entreprise, les salariés pouvaient obtenir une contribution financière à leur repas pris pendant leur journée de travail. Il s’agissait non pas d’une contribution au budget alimentation de la famille, mais d’une mesure de soutien à une bonne alimentation au travail.

Dans les années 1970 et 1980, le titre-restaurant était quasi exclusivement utilisé dans les établissements où le prix d’un repas était abordable, les restaurants devant proposer un menu dit ouvrier à un tarif équivalent.

À la fin des années 1980, l’offre alimentaire étant dominée par l’essor des grandes surfaces. L’État a décidé de leur ouvrir les titres-restaurant, mais seulement pour les produits dits traiteur. Cette tolérance, non négociée avec les partenaires sociaux, s’est élargie à tout commerce proposant des préparations alimentaires immédiatement consommables.

La CNTR, qui assure la gestion du dispositif, a dû réguler par une charte leur utilisation, alors que certaines grandes surfaces permettaient l’achat de produits non alimentaires et l’utilisation de carnets entiers pour payer les courses.

Au début des années 2000, l’État a élargi l’utilisation de ce moyen de paiement aux fruits et légumes, aux produits laitiers et aux distributeurs automatiques.

Aujourd’hui, il faut reconnaître que les habitudes alimentaires et l’organisation du travail des salariés ont évolué : le télétravail détache le salarié de son lieu de travail ; la crise du pouvoir d’achat contraint de nombreux salariés à apporter leur repas sur le lieu de travail ; les prix de l’alimentaire augmentent plus vite que les salaires.

Il s’agit donc de se poser la question de l’opportunité de maintenir le titre-restaurant dans son objectif d’origine et d’évaluer la nécessité de le moderniser.

Ce travail, qui ne semble pas avoir été réalisé au fond, doit se faire en concertation entre le Gouvernement et les représentants des cofinanceurs, salariés et employeurs, réunis au sein de la CNTR. Le rappel historique auquel j’ai procédé indique bien que les tickets-restaurant ne doivent pas être confondus avec une aide alimentaire de droit commun, devenue également indispensable dans un contexte de précarité croissante des salariés.

L’inflation alimentaire reste très élevée : entre octobre 2022 et octobre 2023, les prix de l’alimentation ont augmenté en moyenne de 7, 7 %.

Selon une enquête de l’Ifop publiée en avril dernier, la moitié des Français parmi les plus précaires ont déclaré avoir sauté un repas pour respecter leur budget.

Depuis la crise de la covid, le nombre de nouveaux bénéficiaires de l’aide alimentaire a augmenté de 34 %. La précarité alimentaire touche non seulement les personnes sans emploi, mais elle affecte également les actifs. Parmi les 17 % d’entre eux qui recourent à l’aide alimentaire, plus de 60 % sont en CDI, souvent à temps partiel, avec un revenu moyen inférieur au seuil de pauvreté de 1 070 euros par mois. La précarité alimentaire touche donc de plus en plus les travailleurs pauvres.

Nous devons aussi être vigilants pour que ces titres-restaurant incitent nos concitoyens à avoir une alimentation saine et équilibrée.

Dans ce contexte, il est compréhensible que les salariés souhaitent les utiliser pour couvrir les frais alimentaires de la famille, dévoyant ainsi leur rôle initial.

Pour rappel, aujourd’hui, seuls 5, 4 millions de salariés, sur 27 millions d’actifs, en bénéficient, et 20 % seulement des entreprises participent au dispositif.

Ces titres-restaurant constituent une subvention de l’employeur couvrant de 50 % à 60 % du coût des repas des salariés, le reste étant financé par les salariés eux-mêmes. En échange, cette participation de l’employeur est assortie d’avantages fiscaux et sociaux.

Aussi, il faut relativiser le coup de pouce aux salariés tant vanté par le Gouvernement.

Le véritable coup de pouce demandé par les représentants des salariés que nous soutenons est une revalorisation des salaires, du Smic et de tous les minima sociaux ; le véritable coup de pouce passe par une indexation des salaires sur l’inflation, comme dans d’autres pays européens.

Ce gouvernement utilise ce texte pour donner l’illusion d’œuvrer en faveur du pouvoir d’achat des Français, alors qu’il n’en est rien ! Les tickets-restaurant ne sont pas non plus un cadeau offert par les employeurs aux salariés.

La priorité pour améliorer le pouvoir d’achat demeure l’augmentation des salaires. Il est impératif de relancer sans tarder les discussions avec les partenaires sociaux sur cette question.

Nous regrettons que les derniers débats budgétaires n’aient pas permis un dialogue constructif au sujet des salaires, des aides sociales et de la préservation du pouvoir d’achat des ménages.

Je suis également consciente des défis auxquels font face les restaurateurs et particulièrement sensible aux arguments avancés par le chef Thierry Marx, nouvellement élu président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie.

Dans nos départements, nous avons tous constaté la fermeture de nombreux commerces, notamment des restaurants, en raison de leur difficulté à reprendre une activité normale après la crise sanitaire. Les restaurateurs ont du mal à retrouver les niveaux de consommation d’avant la crise.

Cependant, nous le savons, cette crise n’est pas l’unique origine des multiples difficultés du secteur, qui sont liées à de nouvelles façons de travailler et de consommer.

Enfin, l’essor du télétravail bouscule incontestablement l’utilisation des titres-restaurant. Cette réalité doit être prise en compte dans la réflexion pour concevoir un dispositif durable visant à soutenir l’alimentation des salariés lorsqu’ils travaillent et cuisinent chez eux.

Le week-end dernier, madame la ministre, vous avez formulé des propositions d’évolution des tickets-restaurant. Notre groupe ne peut que souhaiter que la négociation avec les partenaires sociaux aboutisse à un accord unanime.

Dans cette attente, nous voterons les amendements identiques proposés par les groupes Union Centriste et Écologiste – Solidarité et Territoires, qui ont pour objet que la négociation soit conclue dans un délai de six mois, lequel nous semble raisonnable.

Nous sommes conscients que, dans l’urgence, les salariés ne comprendraient pas qu’on limite l’usage des tickets-restaurant. Par conséquent, c’est pour ne pas les pénaliser que, à défaut d’un vote favorable sur ces amendements, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera pour le délai d’un an supplémentaire prévu par cette proposition de loi.

Ce texte ne résoudra pas les inquiétudes grandissantes des salariés quant à la garantie de leur pouvoir d’achat, mais nous le voterons pour répondre à l’urgence.

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