Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 21 septembre 2006 à 15h00
Prévention de la délinquance — Article 38

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

J'avoue ne pas très bien comprendre pourquoi le Sénat a accepté d'appeler l'article 38 en priorité avant l'article 35. Mystère et boule de gomme, mais, puisqu'il en est ainsi, parlons de l'article 38 !

Avec la modification des règles concernant l'audiencement du tribunal pour enfants et la procédure de jugement à délai rapproché, cet article est emblématique de l'injonction faite à la justice de juger toujours plus et toujours plus vite. Ce ne sera pas sans conséquences sur les justiciables qui sont, en l'occurrence, des mineurs.

Alors que nombre de mesures adoptées depuis 2002 n'ont pas fait la preuve de leur utilité pratique et n'ont été que peu utilisées, le texte en rajoute encore. La procédure de jugement à délai rapproché a été créée il y a seulement quatre ans. Elle tendait déjà à s'aligner sur la comparution immédiate pour les majeurs.

Aujourd'hui, le projet de loi lui substitue « la présentation immédiate devant le juge des enfants aux fins de jugement ». Vous ne savez plus quelles formules adoptées, monsieur le garde des sceaux, pour ne pas dire « comparution immédiate » !

La commission des lois souligne dans son rapport que « les vertus pédagogiques de la sanction tendent à s'estomper si la peine n'intervient pas dans le meilleurs délais après la commission de l'infraction ». Des jeunes attendent effectivement parfois plusieurs mois une audience de cabinet, et jusqu'à deux ans une audience devant le tribunal : est-ce dû à la lenteur structurelle des procédures et des audiencements ou au manque d'effectifs en juges des enfants et en greffiers ? Il faudrait que nous le sachions.

Nous avons entendu tout à l'heure le garde des sceaux - il n'était pas d'accord avec les jugements intempestifs du ministre de l'intérieur sur le tribunal de Bobigny - nous assurer que des efforts avaient été faits et qu'ils seraient poursuivis. Nous aimerions cependant connaître les raisons exactes de ces délais trop importants.

Est-ce le contenu du jugement ou la longue attente entre celui-ci et la mise en application concrète des mesures décidées, faute de moyens humains et matériels, qui pose un véritable problème ? Il faut bien souvent des mois pour qu'une sanction décidée par le juge soit mise en oeuvre. Parfois même, elle n'est jamais exécutée, faute de moyens.

Dans un rapport de février 2006, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, qui a été reçu au Sénat, épingle notre pays en soulignant que « la justice des mineurs est, à l'heure actuelle, défaillante dans sa prise en charge des mineurs délinquants aussi bien dans des brefs délais que sur le long terme ». Il souligne que l'évolution de la justice des mineurs ne pourra se faire sans une nouvelle dotation en moyens pour la justice et sans un renforcement des services de la protection judiciaire de la jeunesse, « qui sont les plus à même de rétablir la chaîne sociale rompue pour ces mineurs délinquants ».

L'ordonnance de 1945 était fondée sur l'idée que le juge devait essayer de comprendre le sens du passage à l'acte du mineur afin de le resituer dans son contexte et y répondre de la façon la plus juste. Un jugement rapide, ajouté à d'autres dispositions, efface la prise en compte de la personne du mineur. C'est d'ailleurs une volonté délibérée du Gouvernement puisque le texte prévoit - la commission des lois s'y oppose à juste titre - l'allongement de douze à dix-huit mois de la durée de validité des investigations concernant la personnalité du mineur.

Juger toujours plus vite ne pourra que se retourner contre les justiciables, en favorisant un amenuisement des droits de la défense et une nouvelle augmentation des incarcérations. Et rien de tout cela n'aidera les victimes en quoi que ce soit !

La commission d'enquête sénatoriale, dans ses propositions, n'avait pas estimé « réaliste » d'étendre aux mineurs la procédure de comparution immédiate. Il s'agit pourtant bien ici de cela.

Monsieur le président de la commission des lois, vous qui aimez citer le rapport de la commission d'enquête sénatoriale, voilà la démonstration que le Gouvernement ne garde de ce rapport, qui comprenait des idées intéressantes, même si d'autres l'étaient moins, que les plus négatives. Aucune des propositions positives que contenait le document, comme le renforcement important des moyens humains et matériels de la justice des mineurs, n'a été retenue, même s'agissant du nombre de juges des enfants.

La lecture tout à fait sélective des rapports parlementaires va, comme toujours, à l'encontre de l'intérêt des mineurs !

Je vous signale que la toute nouvelle Défenseure des enfants, Mme Dominique Versini, estime, dans un avis de septembre 2006, que la procédure de l'alinéa 2 de l'article 38 du projet de loi « paraît inadaptée pour les mineurs dans la mesure où cela pourrait aboutir à des jugements qui ne prendraient pas en compte la personnalité et l'évolution récentes du mineur.

« Il serait en effet dommageable que, dans le cadre d'une présentation immédiate devant le juge des enfants, des décisions lourdes d'avenir pour le mineur soient prises sur la base d'éléments de personnalité pouvant être anciens, d'enquêtes sociales pouvant remonter jusqu'à dix-huit mois ou en l'absence de parents convoqués mais non présents ce jour-là. »

Beaucoup de voix convergentes - je ne vous les cite pas toutes - nous incitent à ne pas accepter une mise en cause aussi grave de la justice des mineurs.

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