Nous sommes tous ici également préoccupés - très inquiets même - au sujet de la délinquance des mineurs, comme nous sommes tous désireux, je pense, de trouver des moyens d'empêcher les mineurs de prendre la voie de la délinquance.
Si nous nous opposons à l'article 38, comme à l'ensemble de la philosophie de ce texte, c'est parce que les enfants, si différents soient-ils en 2006 de ce qu'ils étaient en 1945 et de ce qu'ils seront en 2055, restent des mineurs, comme l'a rappelé Robert Badinter.
Si nous devons les retenir sur la voie de la délinquance, ce n'est pas seulement afin d'assurer une meilleure sécurité de notre société, c'est aussi parce qu'il est du devoir des adultes de le faire, afin que ces enfants puissent devenir des citoyens aussi libres et responsables que possible. Nous devons les empêcher de se retrouver dans des situations qui les conduisent à la prison.
L'article 14-2 de l'ordonnance de 1945 relatif à la procédure de jugement à délai rapproché prévoit, s'agissant des mineurs de seize à dix-huit ans, que, « après avoir recueilli ses observations éventuelles et celles de son avocat, le procureur de la République informe le mineur qu'il est traduit devant le tribunal pour enfants pour y être jugé, à une audience dont il lui notifie la date et l'heure et qui doit avoir lieu dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours ni supérieur à un mois ».
Le projet de loi introduit un changement de vocabulaire dans l'ordonnance de 1945 : le jugement à délai rapproché, créé voilà à peine quatre ans, comme cela vient d'être rappelé, par la loi Perben I, devient « la présentation immédiate devant le juge pour enfants aux fins de jugement ».
Cette présentation immédiate est possible pour les infractions punies d'un an d'emprisonnement au lieu de trois ans en cas de flagrance, et de trois ans d'emprisonnement au lieu de cinq ans dans les autres cas.
Par ailleurs, le texte prévoit que le délai de dix jours peut ne pas être respecté si le mineur et son avocat y consentent, sauf si les représentants légaux font connaître leur opposition.
Il est donc bien proposé l'instauration d'une quasi-comparution immédiate des mineurs. Il n'est pas inutile de rappeler, à titre de comparaison, que la comparution immédiate peut être utilisée pour les majeurs lorsque la peine encourue est d'au moins deux ans et, en cas de flagrance, d'au moins six mois.
On le voit, l'exigence fondamentale de l'ordonnance de 1945 - la situation des mineurs doit faire l'objet d'une approche personnalisée par la justice - est totalement reniée. Le texte compromet gravement la prise en compte de la spécificité de l'âge et de l'état de mineur. C'est l'une des raisons de fond pour lesquelles nous y sommes opposés.
Ainsi, le fait de porter de douze à dix-huit mois l'ancienneté des renseignements de personnalité dont doit préalablement disposer la juridiction pour utiliser valablement cette procédure montre que la spécificité du développement du mineur au cours de l'enfance et de l'adolescence, jusqu'à son entrée dans l'âge adulte, n'est pas prise en compte dans ce texte.
C'est en effet aberrant, monsieur le garde des sceaux, lorsque l'on connaît l'importance que peuvent avoir ces renseignements, ainsi que la connaissance approfondie du milieu dans lequel l'enfant grandit, de considérer que des informations recueillies il y a dix-huit mois seront de même qualité et auront le même poids que celles qui, aux termes du texte précédent, devaient dater de moins de douze mois.
Cette procédure de comparution immédiate, qui répond au souci que vous avez de sanctionner rapidement, ne peut pas être fondée - nous le répétons et nous le répéterons sans cesse - sur la négation de l'état de mineur.
Par ailleurs, le projet de loi crée dans l'ordonnance de 1945 un article 13-1 qui prévoit que les dispositions de l'article 399 du code de procédure pénale relatif à la fixation du nombre de jours des audiences correctionnelles sont applicables aux audiences du tribunal pour enfants. Là encore, cette mesure fait de l'enfant un petit adulte pour lequel il n'y a pas à choisir de voies et moyens différents.
Cette disposition va encore accentuer la pression des parquets sur le fonctionnement des tribunaux pour enfants. Les préoccupations d'ordre public risquent ainsi de prendre le pas sur les considérations éducatives. C'est tout l'équilibre de l'ordonnance de 1945 qui est ainsi compromis.
Je le répète, nous sommes en désaccord avec vous sur les deux approches qui guident votre texte : d'une part, la négation de la spécificité de la minorité et, d'autre part, la confusion permanente qui est faite entre délinquance et récidive.
Nous voulons prévenir la délinquance. Le traitement de la récidive est un autre sujet.