Intervention de Olivier Jacquin

Réunion du 20 décembre 2023 à 15h00
Accord france – luxembourg — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Olivier JacquinOlivier Jacquin :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, il y aurait beaucoup à dire sur ces conventions et, plus largement, sur nos relations avec le Luxembourg, tout particulièrement sur le volet mobilité, si important pour la vie de dizaines de milliers de travailleurs frontaliers et de centaines de communes et collectivités.

Alors que nous sommes appelés à nous prononcer sur une augmentation des efforts budgétaires pour l'investissement dans les infrastructures de transports qui permettent, comme l'a justement dit et écrit le rapporteur, à plus de 120 000 Français de se rendre au Luxembourg quotidiennement, je suis au regret de vous annoncer que, pour les Lorrains, 100 millions plus 110 millions font moins que 210 millions, comme si deux plus deux aboutissait à trois. Autrement dit, j'estime que notre voisin et ami luxembourgeois ne met pas assez d'argent sur la table.

En effet, comment se satisfaire aujourd'hui d'un engagement de 210 millions d'euros sur une zone sursaturée, alors que vendredi était signé le volet mobilité du CPER Grand Est pour 2 milliards d'euros sur 2023-2027, dont 600 millions d'euros investis pour le sillon lorrain et le service express régional métropolitain (Serm) Nancy-Metz-Luxembourg, soit bien plus que le montant de l'accord qui nous est soumis ?

Pour nos bonnes relations interétatiques, je comprends que cela ne soit pas indiqué dans l'étude d'impact, mais la vérité est que le Luxembourg fait son marché dans les projets qu'il consent à soutenir. Il refuse d'investir dans le routier et privilégie le ferroviaire au nom, dit-il, du développement durable. C'est un argument qui peut s'entendre. Mais comment accepter, par exemple, que ce pays continue de refuser de cofinancer l'achat de nouvelles rames, comme c'est le cas depuis la convention de 2018 ?

Je regrette, monsieur le rapporteur, que vous n'ayez pas suffisamment pointé ce problème dans votre rapport, tout comme je m'étonne du manque de données chiffrées. À peine 10 000 des 120 000 travailleurs frontaliers, soit 8%, se rendent au Luxembourg par voie ferrée. L'objectif est de passer à 15 %, avec 22 000 passagers en 2030, ce qui nécessite 600 millions d'euros. Pourquoi est-ce que cela devrait être essentiellement financé par les collectivités françaises ?

Madame la secrétaire d'État, la priorité est la préfiguration du Serm du sillon lorrain. La région Grand Est vient d'ailleurs de signer une convention innovante à ce sujet avec la Société du Grand Paris. Il est urgent d'augmenter les cadences ferroviaires pour s'approcher du débit d'un véritable RER. Cela nécessite l'éventuelle réalisation de tout ou partie d'une troisième voie. Pourquoi cette option n'est-elle pas envisagée, comme pour le Léman Express ?

En matière ferroviaire, ni cette convention ni le CPER n'apporteront de solutions satisfaisantes pour les transfrontaliers. Et je ne parle pas de la question routière du nord de la Meurthe-et-Moselle, qui a été tout bonnement oubliée.

Si nous avons 10 000 passages de frontière par train, il est facile de calculer que nous en avons plus de 100 000 par la route. Il faut donc s'attaquer d'urgence aux bouchons quotidiens de l'A31, que nous ne connaissons que trop bien avec mes collègues parlementaires lorrains.

J'entends déjà certains me dire que le ministre a tout de même confirmé vendredi, en signant le CPER, la réalisation de l'A31 bis au nord de Thionville. Certes. Mais il s'agira d'une concession, avec un péage de 8 euros par jour pour les travailleurs. Or je soutiens qu'une solution alternative était envisageable, grâce au Sénat, qui a introduit dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets la possibilité pour la région Grand Est de lever une écocontribution poids lourds. J'en profite pour rappeler le travail que j'avais fait alors avec mon collègue Jean-Marc Todeschini.

Cette mise à contribution des poids lourds pénalisera principalement les flux étrangers, majoritaires sur cet axe, garantira des recettes stables et substantielles pour la région qui lui permettront d'aller sur les marchés obligataires emprunter à long terme dans d'excellentes conditions, et financer ainsi rapidement la réalisation et la modernisation de l'A31, avec, entre autres aménagements, la création de lignes de bus et de covoiturage express.

Pour en revenir au texte, comment peut-on accepter que le pays qui détient le record du monde du PIB par habitant contribue aussi peu, d'autant plus que cette maigre contribution de 210 millions d'euros sur six ans est à comparer à tout ce que l'afflux de travailleurs frontaliers rapporte à notre voisin ? Prenez ne serait-ce que les 800 millions d'euros par an d'impôts prélevés à la source sur les revenus des 123 000 frontaliers. Mes chers collègues, madame la secrétaire d'État, nous parlons au total d'un gain de 4, 8 milliards d'euros !

Je termine avec une dernière démonstration arithmétique sur le tour de passe-passe régional et étatique lié à cette contribution luxembourgeoise.

Quand le Luxembourg met 100 millions d'euros sur les TER, la région Grand Est ne se dit pas que cette somme s'ajoute aux 200 millions d'euros, par exemple, qu'elle avait prévu d'investir, pour un projet total de 300 millions d'euros. Non, elle récupère le pactole et le répartit sur l'ensemble de la grande région – tant mieux pour les autres territoires ! –, faisant ainsi une économie budgétaire sur le dos du Nord lorrain. L'effort contributif du Luxembourg, même faible, ne permet donc pas de multiplier les projets, mais devient un simple transfert budgétaire. Il en est de même pour l'État, qui ne flèche pas les recettes vers ce territoire. Tant mieux pour les autres, mais dommage pour le Nord lorrain !

Mes chers collègues, j'espère avoir clairement démontré l'insuffisance de cette convention de partenariat avec le Luxembourg. Il faut intensifier les efforts de l'État et de la région pour améliorer le partenariat avec notre voisin. L'exemple suisse est intéressant à cet égard, comme l'a souligné le rapporteur. Je plaide pour ma part pour un fonds de développement alimenté non seulement par le Luxembourg, mais surtout principalement par la France, afin de financer les collectivités territoriales de la bande frontalière, plutôt que pour une rétrocession fiscale, dont l'essentiel resterait à Bercy.

Il nous reste beaucoup de travail pour améliorer la vie des Lorrains. Alors, ne traînons pas ! §

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