Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, quelque 123 000 Français traversent quotidiennement la frontière luxembourgeoise pour se rendre à leur travail. Leur nombre ne cesse de croître, puisque l’on compte chaque année 3 000 travailleurs frontaliers supplémentaires.
Cette situation pose inévitablement un problème de transport sur notre territoire : l’autoroute A31 est régulièrement congestionnée aux heures de pointe et l’axe ferroviaire Metz-Thionville-Luxembourg est confronté à des incidents fréquents, ainsi qu’à des irrégularités de service, liés à la saturation de la ligne.
Pour répondre à ces difficultés, un schéma de mobilité transfrontalière a été adopté en 2009. Il vise à développer une offre de transports collectifs comme alternative à la voiture individuelle.
La part du train et du bus doit ainsi progressivement passer de 10 % à 25 % d’ici à 2030. Les études conduites sur le sujet ont donné lieu notamment à la conclusion d’un protocole d’accord, dont l’approbation a été autorisée par le Parlement voilà quatre ans.
Ce texte tend à mettre en œuvre aux horizons 2024 et 2030 une politique de transports multimodale et concertée entre les deux parties s’inscrivant dans la perspective du développement durable.
Dans le domaine ferroviaire, les aménagements envisagés visent à tripler le nombre de voyageurs quotidiens, grâce notamment à la création de parkings relais, à l’allongement des quais dans huit gares et au doublement des places assises dans les trains express régionaux (TER) aux heures de pointe.
Dans le domaine routier, l’objectif est de développer des lignes de cars transfrontaliers, ainsi que le covoiturage. Pour ce faire, les infrastructures routières existantes doivent être adaptées : côté français, l’autoroute A31 doit être élargie à trois voies entre le nord de Thionville et la frontière tandis qu’un contournement de Thionville par l’ouest doit être créé ; côté luxembourgeois, une troisième voie de circulation est prévue sur l’autoroute A3, ainsi que l’aménagement de sa bande d’arrêt d’urgence en voie réservée aux cars.
Aux termes du protocole d’accord, 220 millions d’euros ont été alloués au volet ferroviaire du projet et près de 10 millions d’euros au volet routier, avec un financement à parité par la France et le Luxembourg.
Quatre ans après l’approbation de ce premier texte, la plupart des aménagements ferroviaires prévus pour 2024 ont été réalisés ou le seront prochainement avec un très léger retard.
La région Grand Est devra ensuite acquérir des trains à trois unités mobiles, contre deux actuellement, et construire un centre de maintenance à Montigny-lès-Metz pour ces nouvelles voitures, puis revoir la fréquence de passage des trains en lien avec la SNCF, afin de passer cinq à huit TER par heure en période de pointe.
En revanche, dans le domaine routier, aucune avancée ne s’est concrétisée pour le moment, au grand dam des Lorrains qui utilisent fréquemment l’autoroute A31. Seule une séquence de concertation s’est tenue il y a un an pour éclairer l’État dans le choix du tracé du contournement de Thionville.
D’après l’Observatoire des trafics 2022 de la direction interdépartementale des routes Est, la situation s’est particulièrement aggravée depuis 2017. Ainsi, en l’espace de cinq ans, le temps de parcours des frontaliers s’est allongé de moitié aux heures de pointe.
L’avenant au protocole d’accord soumis à notre examen vise à prolonger les objectifs fixés en 2018, c’est-à-dire accompagner l’augmentation des flux entre la France et le Luxembourg tout en renforçant les mobilités durables.
Le Premier ministre luxembourgeois a annoncé une nouvelle contribution financière de 115 millions d’euros pour les infrastructures d’intérêt commun. Cette participation s’accompagnera d’une contribution française identique et permettra de compléter le programme d’investissements.
Mes chers collègues, ce texte test essentiel pour répondre aux difficultés de mobilité quotidiennes rencontrées par nos concitoyens frontaliers.
Néanmoins, au regard de l’augmentation croissante du nombre de Français travaillant au Luxembourg – il devrait s’élever à 135 000 en 2030 et peut-être même davantage –, nous pouvons légitimement nous interroger sur la capacité de ces différents projets à atteindre les objectifs qui leur ont été assignés.
En tant que conseiller régional de la région Grand Est – je salue d’ailleurs ma collègue Véronique Guillotin, ici présente –, je puis vous assurer que cette question est au cœur des préoccupations de notre région, qui finance la moitié des investissements réalisés, et même l’intégralité du futur centre de maintenance de Montigny-lès-Metz.
Le Gouvernement a, lui aussi, pris la mesure du problème, comme en témoignent la conclusion de ces deux accords bilatéraux et la participation de l’État au financement des infrastructures. Je rappellerai également la signature, vendredi dernier, en présence de Clément Beaune et du président Franck Leroy, d’un accord de protocole du contrat de plan État-région (CPER) 2023-2027.
Toutefois, pour l’heure, ces différents projets n’ont donné lieu à aucun résultat tangible.
Par ailleurs, une fois rénovées, les lignes ferroviaires ne pourront pas remédier seules, même en exploitant toutes leurs capacités, à la hausse croissante des flux de travailleurs frontaliers.
Le transport routier est donc une solution incontournable, à condition de développer les lignes de cars et de favoriser le covoiturage.
Je précise à cet égard que, depuis 2010, les émissions d’oxyde d’azote ont baissé de près de moitié dans la région, grâce aux seuls progrès technologiques réalisés sur les moteurs des véhicules, alors même que le trafic routier n’a cessé d’augmenter.
Le développement du télétravail peut également constituer une réponse satisfaisante, puisqu’elle peut être mise en œuvre rapidement pour certains métiers. À ce titre, la France vient de signer l’accord européen rehaussant le seuil social de 25 % à 49 % du temps de travail.
Sur le plan bilatéral, la France a accepté l’an dernier de relever le seuil de tolérance fiscale à trente-quatre jours par an, contre vingt-neuf jours précédemment. Au-delà, le travailleur frontalier sera, bien évidemment, imposé en France.
Pour augmenter plus significativement ce seuil, une solution pérenne devra toutefois être trouvée sur le partage de l’impôt sur le revenu du télétravail, sur le modèle de l’accord signé avec la Suisse ; je suis sénateur d’une circonscription frontalière de ce pays.
En clair, il faudra que le Grand-Duché accepte de rétrocéder à la France une partie des impôts des travailleurs frontaliers, comme il le fait déjà avec la Belgique.
En effet, le Luxembourg a perçu 48 millions d’euros de compensation fiscale en 2022, au titre des 50 000 travailleurs belges qui y occupent un emploi. Pour rappel, la France compte actuellement 123 000 travailleurs frontaliers, soit le quart de la population active du Grand-Duché.
En 2018, Xavier Bettel, alors Premier ministre du Luxembourg, déclarait qu’il ne souhaitait pas que cet argent serve à « payer la décoration de Noël » en France et qu’il préférait investir dans la qualité de vie des frontaliers.
En tant qu’ancien maire de Rixheim, commune du Haut-Rhin proche de la Suisse, je peux pourtant vous assurer que les communes frontalières utilisent cet argent à bon escient, afin d’entretenir les routes empruntées par les frontaliers eux-mêmes ou encore d’agrandir les parkings des gares qu’ils utilisent.
Le mode de fonctionnement actuel n’est pas acceptable, puisqu’il conditionne l’avancement des différents projets à la bonne volonté du Luxembourg, alors qu’il y va de ses intérêts.
Dès lors, il serait utile de réfléchir à une alternative, par exemple à un financement par le montant de la rétrocession fiscale des projets décidés par la commission intergouvernementale franco-luxembourgeoise.
Il pourrait s’agir de projets d’infrastructures ou de financement de la formation professionnelle, dans la mesure où une partie des personnes formées en France grâce aux crédits de la région vont exercer leur profession de l’autre côté de la frontière.
Pour conclure, mes chers collègues, je vous invite à adopter ce projet de loi, qui tend à résoudre ce problème persistant et à améliorer le quotidien de nombreux Français résidant près de la frontière luxembourgeoise.