Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureux de vous retrouver aujourd’hui pour examiner la proposition de loi visant à favoriser le réemploi des véhicules, au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires.
Avant toute chose, je tiens à en saluer l’auteur historique, notre ancien collègue Joël Labbé, aujourd’hui présent dans les tribunes, sans oublier nos collègues signataires du texte.
Je souhaite également remercier les membres de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, notamment son président Jean-François Longeot, du sens du dialogue et de l’esprit d’ouverture dont ils ont fait preuve lors de l’examen initial du texte.
En effet, la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par la commission – sans abstention, donc –, ce dont je me réjouis. À mon sens, ce vote s’explique par l’ambition à la fois solidaire et écologique qu’incarne ce texte.
Pour éclairer mes propos, je souhaiterais vous faire part de deux exemples très concrets des difficultés que rencontrent un grand nombre de nos concitoyens dans leur quotidien pour se déplacer. Ce sont bien ces difficultés, dont j’ai eu connaissance à la suite de mes échanges avec les acteurs de la mobilité solidaire, qui rendent ce texte indispensable.
Je souhaiterais vous parler de Nathalie, mère célibataire de deux enfants, qui a connu d’importantes difficultés financières à la suite de la crise du covid-19. En effet, ses revenus ne lui permettent pas de payer à ses enfants un abonnement aux transports en commun : sa fille doit ainsi marcher 6 kilomètres à pied par jour – soit trois allers-retours – pour se rendre à l’école.
Si la caisse d’allocations familiales (CAF) et le centre communal d’action sociale (CCAS) vont prochainement l’aider grâce à divers dispositifs, ces derniers seront longs à mettre en œuvre. En attendant, c’est un garage solidaire qui lui prête gratuitement un véhicule et prend en charge ses pleins de carburant.
Je veux aussi évoquer la situation d’Emma, en recherche de stage, qui a retrouvé sa voiture accidentée il y a quelques semaines. Son assurance ne couvrant pas les réparations, c’est aussi un garage solidaire qui lui prête actuellement un véhicule pour lui permettre de se rendre sur son lieu de travail.
C’est pour Nathalie, pour Emma et pour toutes les personnes précaires – bien souvent des femmes – qui rencontrent d’importantes difficultés à se déplacer et ont besoin de solutions rapides que cette proposition de loi entend faire bouger les lignes.
D’après le baromètre des mobilités du quotidien 2022 établi par Wimoov et la Fondation pour la nature et l’homme, plus d’un quart de nos concitoyens sont en situation de précarité en matière de mobilité. Parmi eux, 4, 3 millions ne disposent d’aucun mode de transport.
Cette précarité touche en premier lieu les ménages les plus modestes, qui sont en moyenne moins nombreux à posséder un véhicule ; les ménages à bas revenus utilisent en général un véhicule diesel, qui est plus vieux que la moyenne du parc et plus fréquemment acheté d’occasion.
Afin de pallier ces difficultés, la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, dite LOM, a entendu renforcer l’accès à la mobilité pour tous et réaffirmer la mobilité solidaire comme objectifs des politiques publiques de transport. Cette ambition se traduit d’ores et déjà dans nos territoires par des initiatives locales visant à favoriser la mobilité solidaire.
J’ai notamment eu l’occasion d’échanger avec la vice-présidente de la communauté de communes Côte Ouest Centre Manche, qui a mis en place un service de location de véhicules à destination de publics en situation d’insertion professionnelle.
En parallèle, des structures associatives, au premier rang desquelles les réseaux de garages solidaires, proposent un ensemble d’activités pour favoriser l’accès à la mobilité des publics fragiles, notamment grâce à la vente, la location et la réparation de véhicules à prix modique.
Ces garages s’appuient principalement sur les dons de véhicules réalisés par des particuliers. Or ces véhicules sont la plupart du temps anciens et très polluants. Les dons se sont par ailleurs amoindris sous l’effet de la mise en place de la prime à la conversion, qui permet de bénéficier d’une aide à l’acquisition d’un nouveau véhicule.
Pour résumer, nombre de nos concitoyens peinent à se déplacer, et des initiatives se multiplient pour les y aider, notamment par le biais des garages solidaires, avec une limite toutefois : les véhicules disponibles sont en nombre limité et sont souvent très polluants.
Ce constat étant posé, il faut le mettre en regard avec un autre phénomène : chaque année, des milliers de véhicules sont mis à la casse dans le cadre du dispositif de prime à la conversion, alors même que certains d’entre eux sont toujours en état de fonctionner et présentent des niveaux de pollution parfois inférieurs à ceux d’une bonne partie du parc automobile national.
Comme vous le savez, la prime à la conversion a été créée afin de décarboner notre parc automobile au profit de son renouvellement par des véhicules moins polluants. Ce mécanisme a d’ailleurs fait ses preuves puisqu’il a permis, pour la seule année 2021, d’éviter l’émission de 45 tonnes de particules fines et de 160 000 tonnes de CO2.
Le dispositif de prime à la conversion repose sur un concept simple, mais loin d’être intuitif, celui de la mise au rebut systématique des véhicules renouvelés. Cette situation conduit, d’une part, à une importante destruction de matières et de véhicules, d’autre part, à une consommation d’énergie et de matières considérables pour produire de nouveaux véhicules.
En définitive, nous faisons face à un paradoxe : d’un côté, un grand nombre de Français ne disposent d’aucune solution de mobilité ; de l’autre, un certain nombre de véhicules sont détruits de façon automatique dans le cadre de la prime à la conversion.
La présente proposition de loi entend donc réconcilier ces deux phénomènes, en faisant en sorte que les moins polluants des véhicules mis au rebut dans le cadre de la prime à la conversion soient remis à titre gracieux aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM) volontaires. Celles-ci pourront ainsi mettre en place, le cas échéant, des services de location à destination des publics les plus précaires, grâce aux associations, notamment les garages solidaires.
Afin de mieux l’encadrer et de réduire son potentiel impact environnemental, le texte a été modifié en commission. Il a ainsi été restreint aux seuls véhicules à essence classés Crit’Air 3. D’ailleurs, nous examinerons tout à l’heure un amendement de la commission visant à élargir le dispositif – légèrement, toutefois – aux véhicules rétrofités.
En commission, nous avons également cherché à améliorer le caractère opérationnel du mécanisme. Le texte prévoit désormais un conventionnement entre l’AOM et les différentes parties prenantes, afin de définir à l’échelle du territoire les modalités du service proposé, en bonne subsidiarité.
Au bout du compte, il ne s’agit aucunement de remettre en question la logique et l’objectif de la prime à la conversion ; il s’agit, bien au contraire, d’aider les ménages les plus modestes à participer à la transition écologique, plus précisément à la décarbonation du parc automobile que nous appelons de nos vœux.
En outre, la limitation du dispositif aux véhicules à essence classés Crit’Air 3 est de nature à lever les quelques doutes émis par certains à l’égard du texte, justement parce qu’elle permet de réduire son potentiel impact environnemental. Le dispositif fera en outre l’objet d’une évaluation, ainsi que le prévoit l’article 1er bis, introduit par la commission.
Cette proposition de loi est la preuve que nous pouvons envisager, de façon transpartisane, une écologie populaire et pragmatique. À cet égard, monsieur le ministre, il est illusoire de penser que ce dispositif fonctionnerait si on le restreignait aux seuls véhicules rétrofités ; nous avons déjà eu l’occasion d’en discuter, et je ne doute pas que nous y reviendrons plus tard.
La commission est tout à fait ouverte à l’idée d’intégrer les véhicules rétrofités ; nous vous proposerons même un amendement en ce sens. Cela étant, compte tenu du coût d’une opération de rétrofit – de 10 000 euros à 15 000 euros –, il y a fort à parier que le gisement de véhicules rétrofités ne serait pas à même de répondre aux besoins de la location solidaire.
En outre, le dispositif proposé ne doit pas être opposé au leasing social, qui devrait entrer en vigueur le 1er janvier prochain – enfin ! Les services de location solidaire dont nous parlons ici s’adressent notamment aux ménages des premier et deuxième déciles, qui, il faut le dire clairement, ne disposent pas des ressources financières suffisantes pour prendre part au leasing social.
C’est pourquoi il ne faut pas voir ces initiatives comme concurrentes : elles sont au contraire complémentaires. Je forme donc le vœu que nos échanges, ce jour, permettront de convaincre chacun et chacune du bien-fondé de ce dispositif, qui, je l’espère, ira au bout de la navette parlementaire.