L’ordre du jour de la réunion du Conseil européen, qui se tiendra jeudi et vendredi prochains, est particulièrement lourd, si l’on considère l’extrême importance des points qui y sont inscrits. Sa seule lecture montre à quel point l’Union européenne se trouve à la croisée des chemins sur le plan tant géopolitique que de son fonctionnement interne.
Sous la pression des événements extérieurs, l’Union doit revoir ses priorités et se donner les moyens de préserver sa sécurité et la pérennité de son modèle. Les défis auxquels elle se trouve actuellement confrontée sont, sans exagération, de nature existentielle.
L’Union européenne et la France doivent faire entendre leurs voix dans le tragique conflit israélo-palestinien en défendant une position d’apaisement et d’équilibre, mais aussi pour éviter que ces violences au Moyen-Orient ne se répercutent au sein même de nos sociétés et n’aggravent encore les fractures entre les communautés qui les composent.
L’Union doit également renforcer en urgence ses efforts en matière de défense pour protéger ses intérêts et sa sécurité, dans un contexte où ceux-ci sont directement menacés par le comportement agressif de la Russie et où un désengagement total des États-Unis sur le continent n’est malheureusement pas à exclure.
Il y a fort à parier que l’aide à l’Ukraine et la perspective européenne que certains souhaiteraient lui offrir seront surtout au cœur des discussions entre chefs d’État et de gouvernement cette semaine, compte tenu des menaces de blocage agitées par la Hongrie.
À cet instant, mon propos pourra paraître iconoclaste à certains.
En effet, on présente en général le soutien à l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, ou en tout cas à l’ouverture formelle de négociations d’adhésion, comme allant de soi et ne rencontrant d’opposition que chez tel ou tel dirigeant plus ou moins provocateur et infréquentable, comme le serait Viktor Orbán.
Pour ma part, je me pose la question suivante : à quelques mois d’élections européennes importantes, pensez-vous vraiment, madame la secrétaire d’État, que notre opinion publique soit si évidemment acquise à un nouvel élargissement de l’Union européenne en général, et à l’adhésion de l’Ukraine, en particulier ?
De nombreux Français continuent de penser que le grand élargissement de 2004 a affaibli, plus que renforcé, l’Union, et qu’il a nui à sa cohésion et à son efficacité.
La perspective de nouveaux élargissements effraie légitimement, compte tenu notamment du fait que les institutions européennes ne sont pas conçues pour fonctionner à trente pays et qu’un tel bouleversement exigerait des révisions importantes des traités, dont la faisabilité est en elle-même problématique.
S’agissant particulièrement de l’Ukraine, les inquiétudes sont multiples : sur le plan sécuritaire – voulons-nous vraiment étendre ainsi les frontières entre l’Union et la Russie, dans des zones éminemment contestées et instables ? ; sur le plan des valeurs – l’Ukraine, qui souffre de corruption endémique, remplit-elle vraiment les conditions prévues par les traités pour une adhésion à l’Union ? ; et sur le plan économique – a-t-on pensé notamment, comme l’a souligné Didier Marie, à l’impact dévastateur pour le bon fonctionnement de la politique agricole commune de l’intégration de cette grande puissance agricole ?
Si le principe d’un soutien européen militaire, politique, économique et humanitaire à l’Ukraine me semble encore recueillir un assentiment très large dans notre population, je ne suis pas certain qu’il en soit de même pour son adhésion à l’Union.
Avant de se préoccuper des objections éventuelles de M. Orbán, ne serait-il pas judicieux de commencer par se préoccuper de celles de nos concitoyens ? Les formations politiques favorables à un tel élargissement de l’Union devront en tout cas l’assumer clairement pendant la campagne électorale du printemps prochain.