Intervention de Marie-Pierre de La Gontrie

Réunion du 11 décembre 2023 à 14h30
Loi de finances pour 2024 — Justice

Photo de Marie-Pierre de La GontrieMarie-Pierre de La Gontrie :

Les crédits de la mission « Justice » s’élèvent en effet à 10 milliards d’euros, venant consolider ce pilier de notre vie démocratique.

Grâce à cet effort budgétaire, la hausse des crédits consacrés à l’institution et à ceux qui la font fonctionner se poursuit.

Nous soutenons évidemment cette évolution, en particulier l’augmentation du financement de l’aide juridictionnelle, qui améliore l’accès au droit.

En outre, des recrutements cruciaux s’accompagneront de revalorisations salariales attendues par les magistrats et les greffiers. Elles étaient nécessaires pour redynamiser l’attractivité de ces métiers.

Monsieur le garde des sceaux, même si nous nous en félicitons, nous devons vous alerter sur le fait que ces moyens ne sauraient tout résoudre.

Tout d’abord, ces efforts financiers doivent être relativisés par l’inflation. Pour le reste, ils sont à mettre en perspective avec l’état de la justice : plutôt que d’œuvrer à une amélioration durable de notre système, ils correspondent davantage à une compensation indispensable de carences dont souffre la justice.

Vous pensez – du moins, vous affirmez – « faire plus ». En réalité, vous ne pouvez pas faire autrement.

La revalorisation indiciaire des greffiers, la modification de leur grille statutaire et la création d’un corps de débouché de catégorie A découlent du mouvement social d’ampleur qui a agité la profession cette année.

Vous avez su leur apporter une reconnaissance essentielle et inédite par certains aspects, mais cela suffira-t-il ? Le mal-être qui touche les professionnels de la justice se retrouve à tous les niveaux.

À ce propos, nous nous interrogeons sur la charge de travail des magistrats, dont l’outil d’évaluation est attendu depuis si longtemps. Sans ces référentiels, nous demeurons dans l’incertitude sur la marge de progression qui existe encore en matière de ressources humaines.

En effet, ce sont bien des femmes et des hommes qui font tourner la machine et celle-ci menace de se gripper à tout instant. Vous devez avoir continuellement à l’esprit que leur abnégation ne pourra pas combler éternellement tous les manques.

Certes, la constitution d’une équipe autour du magistrat est bienvenue. Comment ne pas l’encourager ? Répétons-le pourtant : en aucun cas, les attachés de justice ne pourront se substituer aux magistrats qui, eux-mêmes, ne peuvent se passer de greffiers.

On peut tourner le problème dans tous les sens : seul le magistrat mène les débats et prend les décisions.

Il en va de même pour la protection judiciaire de la jeunesse, dont le personnel est soumis à très rude épreuve.

Si la création de la réserve de la PJJ peut être une initiative intéressante, elle ne peut constituer qu’un palliatif face au manque d’attractivité du métier et à la dureté des conditions de travail.

Le budget de la PJJ se structure lui-même autour d’une priorité très nette donnée à la construction de vingt nouveaux centres éducatifs fermés.

De fait, le nombre de journées en CEF a explosé en l’espace de quinze ans, alors que l’hébergement alternatif, dit diversifié, a été divisé par deux. Est-on certain de vouloir accompagner cette tendance dans de telles proportions ?

Le rapport pour avis de Laurence Harribey mentionne d’ailleurs le risque d’un « effet d’éviction » des autres formes de placement, qui résulterait de la favorisation des CEF.

À ce sujet, on peut d’ores et déjà regretter l’émergence d’un effet contre-intuitif de l’entrée en vigueur du code de justice pénale des mineurs : le raccourcissement des délais de placement en milieu fermé conduit à privilégier cette solution au détriment des autres.

Nous déplorons d’ailleurs que soit négligé le recours à la justice restaurative, à laquelle sont affectés 13 millions d’euros, alors que 27 millions avaient été prévus à cette fin dans le PLF pour 2021.

Vous l’aurez compris, chacun des « progrès » mis en avant dans ce budget doit être mis en balance avec la persistance ou le développement des problèmes qu’il prétend résoudre.

Enfin, je dirai un mot sur les violences intrafamiliales, qui doivent mobiliser constamment notre attention. Vous avez refusé la création de juridictions spécialisées, préférant mettre en place des pôles spécialisés au sein des tribunaux, mais bénéficieront-ils d’un nombre suffisant de magistrats pour être réactifs ?

Il faut voir, monsieur le garde des sceaux, dans les constats que je viens d’égrener, la marque d’une grande vigilance de la part du groupe SER. Il est de notre devoir d’appeler votre attention sur de réelles craintes : vous livrez chaque année une vision de la justice qui semble trop fataliste. En témoigne l’objet pour lequel les crédits sont vraiment débloqués : la construction de 18 000 places de prison, dont Laurence Harribey parlera tout à l’heure. Une telle politique aura un retentissement immense sur toute la justice pour les décennies à venir. Il nous faut pourtant ouvrir les yeux sur l’impensé qui caractérise aujourd’hui la question pénale et sur un paradoxe de notre justice : celle-ci n’a jamais été aussi sévère, alors que les Français la croient toujours laxiste.

Nous voterons ce budget pour la justice, mais nous tenions à vous alerter sur tous ces points. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est évidemment disposé à contribuer au travail sur l’ensemble des sujets que j’ai évoqués.

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