Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, Marie-Pierre de La Gontrie a donné l’appréciation globale de notre groupe concernant la mission « Justice » et elle a indiqué notre vote favorable. Je ferai pour ma part un « focus » sur le fameux programme 107 « Administration pénitentiaire », dans la continuité de ce qui a été présenté en commission des lois par le rapporteur pour avis Louis Vogel.
Ce programme dispose des crédits les plus élevés, l’essentiel des moyens étant concentré sur la construction de 15 000 places de prison. Il y a un an, Jean-Pierre Sueur alertait sur l’état catastrophique des établissements pénitentiaires. Depuis lors, les choses ne se sont pas vraiment améliorées. Avec plus de 74 000 détenus au 1er août 2023, un nouveau record a été atteint. Le taux d’occupation des prisons françaises est le plus élevé d’Europe. Fait inédit, en mai 2023, l’établissement pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan a activé le dispositif « stop-écrou » afin de suspendre les admissions pendant une semaine, le taux d’occupation pénale masculine ayant atteint 230 %.
La CEDH, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, et depuis quelques semaines, la Cour des comptes, alertent unanimement sur une double maltraitance : celle des détenus, soulignée par plusieurs collègues avant moi, mais aussi celle des professionnels, qui nous font part régulièrement de leur détresse au travail et de la perte d’attractivité des métiers de l’administration pénitentiaire. Quelque 149 postes n’ont pas été pourvus en 2023, alors que l’on espère recruter 599 agents en 2024.
S’il faut souligner les efforts de revalorisation consentis, notamment le passage de la catégorie C à la catégorie B pour les surveillants, et de la catégorie B à la catégorie A pour les officiers, ainsi que l’octroi de 5 points d’indice à tous les agents, ces efforts ne résolvent pas tout. En tout état de cause, ils ne permettront pas de remédier à la perte de sens qui affecte les métiers de l’administration pénitentiaire.
Le choix qui est fait – construire des places de prison – ne résout pas tout non plus, d’une part, parce que le taux d’occupation après la livraison des 15 000 nouvelles places est d’ores et déjà évalué à 120 %, d’autre part, parce que les moyens pour la rénovation du parc existant sont en baisse, alors qu’il conviendrait de les renforcer.
Il est certes nécessaire de nous doter d’établissements pénitentiaires, mais en continuant d’incarcérer toujours plus dans des conditions de surpopulation, le risque est de favoriser la récidive, alors qu’il nous faudrait au contraire engager une véritable politique de lutte contre la récidive.
Il faut avoir le courage de revoir toute l’ingénierie de la sanction et de refonder la politique carcérale à l’aune de l’échelle des peines. La lutte contre la récidive passe aussi par la réinsertion : il nous faut en effet éviter les sorties sèches, qui induisent le plus grand risque de récidive. Or, actuellement, moins de deux détenus sur dix sortent avec un projet d’insertion.
Il s’agit en quelque sorte de ne plus considérer l’aménagement de peine comme une faveur, mais comme un processus inhérent à l’exécution de la peine d’emprisonnement. Les dispositifs expérimentaux existent, et nous savons que vous y êtes attentif, monsieur le garde des sceaux. Nous estimons pour notre part qu’il faut en faire le cœur de la politique carcérale, à l’image d’autres pays européens ou du Canada, et y consacrer les moyens appropriés.
En tout état de cause, nous sommes prêts à y travailler, monsieur le garde des sceaux.