Intervention de Olivier Becht

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 décembre 2023 à 16h30
Politique commerciale — Audition de M. Olivier Becht ministre délégué auprès de la ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé du commerce extérieur de l'attractivité et des français de l'étranger en présence des membres du groupe de suivi des accords commerciaux de l'union européenne

Olivier Becht, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger :

ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger. - Merci de me donner l'occasion de revenir sur le Conseil des ministres de l'Union européenne (UE) dédié au commerce qui a eu lieu le 27 novembre dernier.

Ce Conseil des ministres a commencé par débattre de la position de l'Union et des États membres lors de la prochaine réunion ministérielle de l'OMC qui se tiendra du 26 au 29 février 2024 à Abu Dhabi. Son enjeu principal portera sur la réforme des institutions de l'OMC, notamment le déblocage de l'organe de règlement des différends, paralysé depuis de nombreuses années par les États-Unis qui ne nomment pas les personnes qu'ils devraient nommer. Tout processus de règlement des litiges, qui doit présider au multilatéralisme établi dans le cadre de l'OMC, est bloqué. C'est important pour l'UE, car plus de 40 % de nos accords commerciaux internationaux sont régis par les règles de l'OMC. Ne pas pouvoir régler les différends de manière juridictionnelle fragilise les règles et remet en cause la possibilité de ce multilatéralisme commercial. Cette situation ouvre une perspective de retour à des comportements unilatéraux qui peuvent être très préjudiciables, non seulement au commerce, mais aussi à l'ensemble de notre économie avec le retour de barrières tarifaires et non tarifaires qui feraient peser un coût supplémentaire sur les consommateurs et pourraient réduire le pouvoir d'achat de nos concitoyens.

Je me rendrai la semaine prochaine aux États-Unis pour discuter des solutions envisageables pour débloquer cet organe d'appel. Mais à Abu Dhabi, nous discuterons aussi des secteurs dans lesquels accroître encore nos efforts en matière de réglementation commerciale. Nous avons obtenu de justesse l'an dernier, lors de la douzième conférence, un accord pour interdire les subventions aux pêches illégales, mais beaucoup reste encore à faire, y compris sur la mise en oeuvre de cet accord et son élargissement aux subventions à la pêche légale.

Le deuxième point que nous avons abordé concerne les relations avec les États-Unis, au-delà de la question de l'organe de règlement des différends. Elles sont marquées par deux contentieux que nous avons depuis plusieurs années.

Le premier, vous y faisiez allusion, concerne l'acier-aluminium depuis 2018. En 2021, un accord temporaire a permis de suspendre les droits de douane supplémentaires imposés par les Américains et les mesures que l'Union européenne avait prises en réponse à ces droits de douane. Nous recherchons une solution pérenne, qui paraît compliquée puisque, lors du dernier sommet UE-États-Unis, les Américains n'ont pas fait de proposition en ce sens. Nos discussions portent essentiellement sur les quotas d'acier dans un contexte mondial où la production reste excédentaire par rapport à la demande, mais aussi sur les quotas par pays.

La probabilité que nous trouvions un accord pérenne d'ici à la fin de l'année est faible, mais les discussions se poursuivent pour a minima proroger l'accord temporaire en vigueur avant que la mandature de l'administration Biden prenne fin et avancer sur le règlement de la fameuse mesure 232 américaine (section 232 du Trade Expansion Act de 1962). Nous souhaitons avant tout éviter le retour des droits de douane qui peuvent entraver un certain nombre de nos acteurs et pourraient gêner d'autres filières, comme celle des vins et spiritueux, au travers des mesures prises en représailles de part et d'autre en 2018. Nous ferons tout notre possible pour protéger nos filières d'un retour des droits de douane ou de contingents supplémentaires.

Nous travaillons en parallèle sur le contentieux Airbus-Boeing en cherchant également une solution pérenne à l'accord temporaire que nous avons avec les Américains.

Le troisième point abordé lors du Conseil du 27 novembre dernier concerne le rapport de la Commission européenne sur la mise en oeuvre des accords commerciaux. Des progrès ont été faits avec la mise en place d'un Chief Trade Enforcement Officer (responsable de l'application des règles commerciales) qui veillera à la bonne mise en oeuvre des accords et au démantèlement des barrières tarifaires - chaque année, cela représente un gain de 3 milliards d'euros pour nos entreprises.

En parallèle, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères met en place avec celui de l'Economie des événements pour informer nos filières, notamment agricoles, afin qu'elles puissent utiliser de manière optimale ces accords commerciaux et minimiser les droits de douane à payer. Fournir ces informations est essentiel et nous le faisons de manière très dynamique car les petites entreprises ne savent pas toujours bien se servir de ces accords commerciaux. C'est pourquoi nous avons inscrit ce point dans le plan « Oser l'export », pour faire en sorte que chaque entreprise ait la capacité de tirer le meilleur parti de ces accords.

Cela m'amène au dernier point abordé par le Conseil. La décision de signature de l'accord avec la Nouvelle-Zélande a été ratifiée par le Conseil des ministres de l'UE la semaine dernière. Concernant les relations commerciales avec le Chili, la décision de signature des deux accords - l'accord global et l'accord intérimaire - a été validée hier par le Conseil., Ces accords, qu'on peut considérer comme définitifs, sont largement favorables à la France, notamment à nos filières agricoles sur les vins et spiritueux ou les fromages.

Nous pourrons évoquer le sujet de la viande ovine qui a suscité quelques crispations mais je tiens à vous rassurer : la Nouvelle-Zélande utilise cet accord comme une précaution pour réduire les risques, dans des situations géopolitiques compliquées, avec certains des acteurs qui sont aujourd'hui ses clients. Mais la Nouvelle-Zélande n'utilise pas la totalité de ses contingents OMC. Elle en utilise moins de 70 % sur la viande ovine. Il est donc peu probable que les 38 000 tonnes équivalent carcasse qu'elle a obtenues dans l'accord soient réellement envoyées vers l'Union européenne. Il n'y a pas de péril pour notre filière ovine du fait de cet accord avec la Nouvelle-Zélande.

L'accord avec le Chili est très important d'un point de vue minéro-critique, puisqu'il ne sert à rien de produire des voitures si l'on n'a pas de lithium pour les batteries. Or le Chili détient l'une des premières réserves mondiales de lithium : c'est donc un partenaire important et je m'y suis rendu en juin dernier pour cette raison.

L'accord avec l'Australie n'a pas pu aboutir malgré les discussions que nous avons eues en marge du G7 à Osaka en octobre dernier, et ce pour plusieurs raisons, notamment parce que les Australiens nous demandaient l'équivalent accordé aux Néo-Zélandais en matière de viande ovine, c'est-à-dire 38 000 tonnes équivalent carcasse, ce qui n'était pas possible. En effet, l'Australie est actuellement en situation de surproduction car elle a perdu des marchés importants au Moyen-Orient. En ouvrant de tels quotas, nous aurions vu arriver cette production sur le marché européen, ce qui aurait mis en péril nos filières, car cela aurait représenté près de 12 % de la production européenne. Nous avons donc été extrêmement fermes, la Commission européenne nous a suivis et a défendu le secteur agricole français. En ce qui concerne les standards environnementaux, en revanche, nous nous acheminions vers un accord parfait avec l'Australie.

Ce n'est pas le cas avec le Mercosur : l'accord signé en 2019, négocié depuis 1999, avait fait l'objet de recours par la France et d'autres pays de l'Union au motif qu'il n'était pas conforme à la nouvelle approche que nous souhaitions imposer aux accords commerciaux, c'est-à-dire remettre l'humain et la planète au centre. Nous sommes ouverts sur le monde, mais pas à n'importe quelles conditions. Nous attendons une réciprocité et l'adaptation aux standards actuellement en vigueur au sein de l'Union sur le droit du travail et le droit de l'environnement : les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur l'interdiction du travail forcé, l'interdiction du travail des enfants, le respect des accords de Paris, l'interdiction de la déforestation, l'alignement du chapitre relatif au commerce et au développement durable sur les standards de l'Union européenne, avec la possibilité de prendre des sanctions en cas de non-respect et, enfin, des clauses miroirs, pour que les normes sanitaires et environnementales imposées à nos produits le soient également aux produits importés.

Certains pays du Sud disent qu'il s'agit d'une sorte de néoimpérialisme, alors qu'il s'agit pour toute exportation vers l'Union de respecter les standards que celle-ci s'impose. Nous ne pouvons pas appliquer des standards toujours plus ambitieux à nos propres producteurs et ouvrir nos marchés à des exportations qui ne les respecteraient pas. Cela protège aussi nos consommateurs. Nous avons tenu bon sur cette position, en conformité avec la ligne de conduite adoptée par l'Assemblée nationale et le Sénat, et avons réaffirmé notre position lors de chaque Conseil des ministres de l'Union, formel ou informel, ainsi qu'auprès des Etats membres qui partagent notre vision. Certains Etats membres ne la partagent pas et estiment que nous devrions signer cet accord à tout prix, pour « dé-risquer » des positions industrielles prises notamment en Chine. Nous le comprenons et nous soutenons l'industrie de ces pays ; nous souhaitons qu'ils puissent trouver de nouveaux marchés, mais cela ne peut pas se faire au détriment de nos propres intérêts et de nos propres standards ou des ambitions que l'Union européenne porte avec ses États membres en matière environnementale, de lutte contre la déforestation ou de bien-être animal.

L'Argentine a fait savoir qu'elle n'était pas prête à signer ce traité, dont l'avenir reste incertain. Deux positions divergentes coexistent : au sein du Mercosur, les États sont en désaccord sur la manière de traiter la position de l'UE ; et au sein de l'UE, quand bien même le traité serait signé par la Commission européenne, il ne serait pas nécessairement ratifié par ses États membres car, en l'état, les conditions de ce traité ne sont pas acceptables, au moins pour la France.

Les discussions se poursuivent avec l'Inde. Deux sujets sont sensibles. D'une part, se pose la même question des standards européens environnementaux à respecter. D'autre part, il est compliqué d'envisager l'application des engagements fédéraux au niveau des États fédérés, car le gouvernement fédéral ne peut y garantir la mise en oeuvre des accords. Cela reviendrait à dire, par exemple sur les marchés publics, qu'en réciprocité, les Indiens seraient éligibles aux marchés publics lancés par la Commission européenne, mais qu'il leur faudrait ensuite négocier avec chacun des 27 États membres de l'UE pour chacun de leurs marchés, ce qui est évidemment infaisable. Ces négociations présentent moins d'intérêt stratégique sur le plan agricole pour la France que celles avec le Mercosur mais nous les suivons également avec une très grande vigilance.

Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions, notamment sur l'Accord économique et commercial global (Ceta) qui est un sujet sensible au sein de votre Haute Assemblée.

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