Intervention de Olivier Becht

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 décembre 2023 à 16h30
Politique commerciale — Audition de M. Olivier Becht ministre délégué auprès de la ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé du commerce extérieur de l'attractivité et des français de l'étranger en présence des membres du groupe de suivi des accords commerciaux de l'union européenne

Olivier Becht, ministre délégué :

Monsieur Marie, vous m'interrogez sur la pertinence de conclure des accords avec des pays éloignés. Chacun le sait, les flux du commerce, à l'époque moderne comme dans l'Antiquité, sont liés aux avantages comparatifs et à la réciprocité d'ouverture. Pourquoi importer de la poudre de lait ou du kiwi de Nouvelle-Zélande, alors que nous pourrions en obtenir de pays plus proches ? Dans le sens inverse, pourquoi exporter des avions Airbus en Nouvelle-Zélande ?

Si l'on suit ce raisonnement, on aboutit au localisme, autrement dit le fait de tout produire localement, ce qui est impossible. Si chaque pays se mettait à produire ses avions, le modèle ne tiendrait pas. Tout le monde ne pourrait pas atteindre la masse critique ni assumer les dépenses technologiques nécessaires ; ce serait un appauvrissement global. C'est pourquoi nous commerçons avec les pays d'à peu près toute la planète.

Je considère donc que s'interdire de faire du commerce avec un pays au prétexte qu'il est loin n'est pas viable. D'autant que nous sommes en excédent commercial avec la Nouvelle-Zélande. Si l'on arrêtait le commerce avec ce pays, on appauvrirait de fait le nôtre, notamment en termes d'emplois.

La question du bilan carbone est légitime, mais la solution réside plutôt, à mon sens, dans notre capacité à décarboner les transports, en l'occurrence les cargos et le fret aérien. Nous y travaillons dans le cadre de France 2030. J'étais il y a quelques semaines à Saint-Nazaire, sur le site des Chantiers de l'Atlantique, où se mettent en place des prototypes de bateaux véliques, dotés de voiles gigantesques et de moteurs alimentés en gaz naturel liquéfié (GNL), qui nous permettront demain de ne plus être dépendants des moteurs diesel.

La deuxième question portait sur la doctrine des accords commerciaux. J'ai le sentiment qu'il sera de plus en plus compliqué de signer des accords globaux : on ne peut aligner tous les pays du monde sur nos standards du jour au lendemain. En même temps, se priver des capacités de commerce dans un certain nombre de secteurs, comme les minéraux critiques qui sont indispensables à notre propre transition énergétique, c'est également se mettre en difficulté.

L'avenir se fera davantage avec des accords sectoriels, pays par pays, sur des matières qui présentent un intérêt stratégique convergent. Nous verrons si cette approche est partagée par la Commission européenne et nos partenaires.

J'en viens à la question de la ratification du Ceta. Normalement, lorsqu'un accord est strictement commercial, la compétence revient exclusivement à l'Union européenne ; nous la lui avons transférée par référendum au moment du traité de Maastricht. Mais lorsque l'accord est mixte, c'est-à-dire qu'il comprend à la fois une dimension d'investissement et une dimension commerciale, la compétence est partagée avec les parlements nationaux qui sont au nombre de 47, si l'on ajoute les parlements fédérés d'Allemagne et de Belgique - ce qui fait un certain nombre d'assemblées !

L'Assemblée nationale a déjà ratifié le Ceta. Je suis très favorable à ce qu'on ait cette discussion ici, au Sénat. Selon les chiffres dont nous disposons, le Ceta est très bénéfique à la France : + 37 % d'exportations, notamment sur le textile, + 95 % pour les chaussures du fait de l'abaissement des droits de douane, + 61 % pour les produits chimiques et cosmétiques. Même la filière agricole en bénéficie, puisque nos exportations sont en augmentation de 45 %. La catastrophe qu'on nous avait prédite sur le boeuf n'a pas eu lieu : on exporte trois fois plus de boeuf au Canada qu'on importe de boeuf canadien en France.

Nous avons donc tout intérêt à ratifier ce traité. En outre, cela montrerait à la Commission européenne que nous savons faire la part des choses et ratifier les traités lorsque cela est justifié. Si nous nous en tenons au contraire à une opposition de principe, nous sommes certains que la Commission trouvera toutes les procédures possibles pour contourner les parlements nationaux.

S'agissant du devoir de vigilance, les seuils proposés sont de 500 salariés, pour un chiffre d'affaires net mondial de 150 millions d'euros. Les seuils sont abaissés pour les secteurs à fort impact à 250 salariés et 40 millions d'euros de chiffre d'affaires - cela concerne les secteurs de l'agriculture et du textile.

Sur ce point, la position de la France n'est pas d'exclure le secteur de la finance. En revanche, un devoir de vigilance appliqué aux clients paraît très compliqué. Surveiller les clients ferait peser sur les entreprises des contraintes qu'elles ne peuvent matériellement pas assumer. Il faut être pragmatique et réaliste.

Monsieur Cadec, concernant la volonté du Chancelier Scholz et du Président Lula de ratifier rapidement ce traité, nous avons exprimé notre position : nous ne soutiendrons pas un traité qui ne répond pas aux conditions que nous avons posées. Même si l'Argentine avait été en faveur de l'accord, cela n'aurait rien changé. Nous avons été clairs auprès de tous les partenaires, que ce soit les Allemands, les Brésiliens ou encore les Uruguayens.

Au demeurant, je suis sensible, en tant qu'Européen, au fait de ne pas fragiliser l'industrie allemande, tout comme les Allemands peuvent être sensibles aux problématiques agricoles françaises. Si cela ne peut pas se faire par un accord global, regardons une autre échelle.

Rappelons tout de même que nous partageons avec nos amis allemands la même préoccupation concernant les standards environnementaux. Il est impossible d'imaginer un compromis qui fasse table rase des questions de déforestation et de l'accord de Paris.

Concernant les craintes de la filière agricole liées à l'accord avec la Nouvelle-Zélande, j'y ai répondu précédemment, notamment sur la question des quotas OMC non remplis. Il est peu probable qu'ils le soient avec l'ouverture de ce traité. Au demeurant, on voit bien les intérêts stratégiques de nos filières agricoles, notamment celle des vins et spiritueux, celle des fromages ou encore celle des céréales. Comme avec le Ceta, l'accord est profitable pour notre pays.

Je rassure toujours les filières à ce sujet lorsque je les rencontre : je comprends leurs craintes au regard des volumes, mais nous savons dire non quand il le faut. C'est ce que nous avons fait, notamment, vis-à-vis de l'Australie.

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