Intervention de Olivier Becht

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 décembre 2023 à 16h30
Politique commerciale — Audition de M. Olivier Becht ministre délégué auprès de la ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé du commerce extérieur de l'attractivité et des français de l'étranger en présence des membres du groupe de suivi des accords commerciaux de l'union européenne

Olivier Becht, ministre délégué :

Madame Ollivier, nous sommes totalement favorables aux circuits courts et nous les encourageons partout où cela peut se pratiquer. Toutefois, certains produits sont inadaptés à cette logique. Les bananes ne poussant pas en métropole, je ne suis pas sûr qu'on y renonce simplement parce qu'elles viennent de loin.

C'est un juste équilibre à trouver. Lorsque j'étais maire, j'ai évidemment encouragé la culture de tomates à proximité des cantines scolaires et des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de ma ville, ainsi que la création d'associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (Amap), mais lorsque des avantages comparatifs entrent en jeu, on a tout intérêt à échanger certains produits au long cours.

Pour reprendre l'exemple de l'avion, cela n'aurait pas de sens que chaque pays dans le monde se dote d'une industrie aéronautique. Cela aboutirait à une catastrophe, avec des avions moins sûrs et des développements technologiques, y compris pour le futur, dont on se priverait.

La question du localisme, et surtout de la relocalisation, pose aussi celle du prix. Sur le principe, tout le monde est d'accord pour faire du made in France, mais bien souvent le consommateur voudrait qu'il le soit au prix du made in China ! Je suis un peu caricatural, mais il faut avoir conscience que si on rapatrie tout chez nous, cela coûtera 35 % plus cher au consommateur, d'où l'intérêt des accords commerciaux pour avoir la meilleure qualité au meilleur prix.

En ce qui concerne Horizon Europe, un accord a en effet été signé en juillet 2023 entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande, mais il n'a aucun lien avec l'accord de libre-échange.

S'agissant de la réforme de l'OMC, le coeur de la discussion porte sur la capacité d'un organe d'appel à créer sa jurisprudence. Les Américains veulent un organe de première instance, mais sont réservés à l'égard de l'organe d'appel car ils craignent que ceux qui y siègent développent une jurisprudence autonome. Ils souhaitent l'application nette du droit afin d'éviter de se retrouver, à un moment ou un autre, avec des contrats dont les règles ont été interprétées dans un sens pour lequel ils n'ont pas signé. C'est le sujet principal pour nos amis américains.

Les objectifs de développement durable (ODD) sont-ils introduits dans les accords signés avec l'OMC ? Oui, chaque fois qu'on peut le faire. L'exemple le plus parlant est le dernier accord signé lors de la douzième conférence ministérielle sur les subventions à la pêche illégale. Il respecte clairement les objectifs de développement durable.

Monsieur Henno, les choix géostratégiques sont en effet fondamentaux, mais j'ai la conviction qu'il faut tout faire pour sauver le multilatéralisme. Renoncer au multilatéralisme implique de rentrer dans un monde où chacun agit de manière unilatérale et généralement brutale. J'en veux pour preuve tous les pays qui s'en sont éloignés ces dernières années. Cela implique généralement des mesures de protectionnisme, qui ont un effet tout à fait délétère sur les prix. C'est toujours le consommateur ou le contribuable qui paye la facture à la fin.

Si la pandémie nous a éclairés sur le fait qu'il était dangereux de mettre tous nos oeufs dans le même panier, rien n'empêche de préserver le multilatéralisme tout en veillant à une diversification des approvisionnements. Celle-ci peut se pratiquer en « colocalisation », c'est-à-dire en fabriquant le produit sur différents sites afin d'éviter qu'à un moment ou à un autre, si l'un d'eux fait l'objet d'un choc sanitaire, géopolitique, climatique ou autre, l'ensemble de la production mondiale ne soit remise en cause.

Comme vous le soulignez, nous avons un intérêt à signer des accords avec les pays de l'Asean. Nous sommes actuellement en train de moderniser ceux qui existent déjà, notamment avec l'Indonésie ou encore le Vietnam, dans une optique de rapport gagnant-gagnant, y compris d'un point de vue technologique.

À chacun de mes déplacements dans les pays de l'Asean, je fais en sorte de nouer des partenariats entre les entreprises françaises et ces acteurs majeurs de la zone indopacifique. Ils représentent à eux seuls 40 % du PIB mondial et 60 % du commerce mondial, c'est fondamental.

Monsieur Bonneau, si nous continuons la discussion avec nos amis américains sur l'IRA, nous aurons du mal à aboutir à une solution globale et totalement satisfaisante, car la majorité pour modifier la loi votée par le Congrès a disparu.

Nous travaillons entre autres à des accords sur les minéraux et sur la transparence en matière de subventions publiques, mais également à notre propre réponse européenne et nationale à l'IRA pour faire en sorte que les investissements restent chez nous.

Lorsqu'on regarde les chiffres cités précédemment sur l'attractivité, nous ne constatons pas pour l'instant de départ massif vers les États-Unis de projets français ou de projets portés par des investisseurs étrangers prévus en France. Pour autant, cela ne veut pas nécessairement dire que nous sommes à l'abri d'un tel phénomène.

Nous avons déployé nos propres outils, notamment le plan France 2030, doté de 54 milliards d'euros de subventions, rien que pour la France, pour les projets de décarbonation et d'innovation. Nos outils européens devraient achever de convaincre les investisseurs de rester chez nous.

J'ajoute que la détente des marchés sur les prix de l'énergie est une réponse satisfaisante pour l'Europe, là où nous étions l'année dernière dans une position extrêmement difficile. L'énergie étant essentiellement à base de pétrole et de gaz de schiste aux États-Unis, les prix énergétiques étaient beaucoup plus compétitifs là-bas qu'ils ne l'étaient en Europe, y compris chez nous, lorsque nos centrales nucléaires étaient à l'arrêt et que le prix de l'électricité avait, comme le prix du gaz, été multiplié par trois.

Même si chacun a sa compétitivité, nous devons, entre amis et entre alliés, converger sur des procédures qui n'exacerbent pas la compétition de part et d'autre de l'Atlantique. Auquel cas nous en sortirions l'un et l'autre perdants vis-à-vis de nos vrais concurrents, situés plutôt sur le continent asiatique.

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