Madame la présidente, monsieur le président de la commission de la culture, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, j’aimerais commencer par évoquer le chant VI de L ’ Énéide de Virgile, ce passage où son héros, Énée, descend aux enfers pour dialoguer avec son père Anchise. C’est le moment crucial, celui où le destin d’Énée se noue. Arrivé au bord du Styx, il trouve sur la rive du fleuve qui sépare les morts des vivants, une foule importante.
Étonné et ému par ce tumulte, il demande à sa guide, la Sybille de Cumes : « Dis-moi, vierge, que signifie ce rassemblement près du fleuve ? Que veulent ces âmes ? »
La prêtresse lui répond : « Tous ceux-ci que tu vois, c’est la foule misérable des morts sans sépulture ; […]
« Et ils ne peuvent traverser ces rives effrayantes et ces flots grondants
« Avant que leurs ossements n’aient trouvé le repos dans une tombe. »
Au cœur de ce grand poème, qui fonde le monde latin, se trouve donc la question sur laquelle vous, sénateurs et sénatrices, vous êtes penchés depuis si longtemps. C’est une question qui nous lie à ce que nous avons de commun avec l’Humanité tout entière.
Ce 18 décembre 2023, la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques va, je l’espère, être définitivement votée.
C’est un moment historique, attendu par plusieurs peuples étrangers, par le personnel scientifique de nos institutions culturelles, par de nombreux parlementaires et, plus largement, par nos concitoyens.
Le Sénat fait figure de pionnier. Dès 2002, il répond à la demande de l’Afrique du Sud en rédigeant une première proposition de loi. Le corps de Sawtche, plus connue sous le nom de Saartjie Baartman, est rendu à sa terre d’origine.
En 2010, vous votiez la loi permettant la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande, sur l’initiative de la sénatrice Catherine Morin-Desailly.
Le changement des mentalités, tant scientifique que politique, s’est accéléré dès cette date. Un groupe pluridisciplinaire créé par le ministère de la culture et le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a mené à la publication en 2019 d’un vade-mecum pour la gestion des restes humains dans les collections publiques.
En écho, la commission de la culture du Sénat a lancé en 2020 une mission d’information consacrée à la restitution des biens culturels appartenant aux collections publiques, menée par Max Brisson, Pierre Ouzoulias et Catherine Morin-Desailly, suivie d’une proposition de loi dont l’article 2 concernait les restes humains.
Ce travail de fond, long de plus de dix ans, a donc permis la convergence du travail législatif et des demandes des professionnels du patrimoine. Le temps d’une loi-cadre était venu. Elle est née d’un travail transpartisan qui a mené à un texte d’équilibre entre la garantie du principe d’inaliénabilité et la gestion éthique des collections publiques. Chaque mot a été pesé. Rares sont les lois qui auront nécessité de consulter autant de conservateurs, de chercheurs, de représentants étrangers !
Je salue tout particulièrement l’engagement de la sénatrice Catherine Morin-Desailly à qui nous devons tant. Sa détermination, son dévouement à cette cause, son travail en profondeur font honneur à la France.