Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord dire combien j’ai été honoré d’être le coauteur, aux côtés de Catherine Morin-Desailly et de Pierre Ouzoulias, de cette proposition de loi, et de réfléchir avec ces collègues au cadre pérenne et méthodologique dont notre pays aura besoin demain pour répondre à d’autres demandes de restitutions en provenance de pays étrangers.
Cette réflexion, nous l’avons voulue transpartisane. Cela était indispensable pour l’inscrire dans le temps long et l’éloigner autant que possible des passions que ce sujet sensible peut parfois déchaîner. Sur la question particulière des restes humains, notre séance de ce soir marque l’aboutissement des travaux conduits depuis longtemps par le Sénat.
Le sujet est consensuel. Les restes humains n’étant pas des biens ordinaires, leur restitution se justifie en vertu d’un principe qui n’est pas d’ordre patrimonial, mais qui tient au respect de la dignité des personnes. La France a d’ailleurs déjà accepté le retour de restes humains, ceux de la « Vénus hottentote » et des têtes maories, et dans les deux cas sur l’initiative du Sénat, grâce au travail et à l’engagement de Catherine Morin-Desailly.
Cependant, depuis lors, d’autres voies ont été empruntées, au mépris du Parlement. Ce fut le cas pour la restitution de crânes à l’Algérie.
Aussi avons-nous voulu, à l’occasion de notre mission d’information de 2020, proposer un cadre permettant d’échapper au fait du prince, qui veut que le Parlement vote des lois d’espèces a posteriori, réduisant celui-ci à une simple chambre d’enregistrement de décisions déjà prises, voire exécutées.
Au travers de notre rapport et de la proposition de loi qui en était issue, nous avions alors réaffirmé l’importance du rôle du Parlement. Nous soulignions qu’au-delà des restes humains, et pour l’ensemble des collections publiques, une instance scientifique capable de porter une analyse objective sur l’origine des œuvres, leurs itinéraires et leurs conditions d’entrée dans les collections publiques était le seul moyen d’éviter vaines polémiques et réécritures historiques. Hélas ! sur ces points, nous avions été éconduits par le Gouvernement.
Fort heureusement, madame la ministre, à votre prise de fonctions, vous avez renoué le dialogue en soutenant la construction d’un triptyque législatif sur les restitutions.
Et voilà que nous nous apprêtons, après un premier texte sur les biens juifs spoliés, que nous avons tout de même attendu près de quatre-vingts ans, à adopter aujourd’hui la deuxième partie de ce triptyque.
Oui, un comité scientifique sera bien chargé d’identifier les restes humains, de façon concertée avec l’État demandeur.
Oui, chaque année, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport présentant les demandes de restitutions adressées et le sort qui leur a été réservé.
Oui, à chaque demande, le Gouvernement informera les commissions permanentes du Parlement chargées de la culture.
Oui, les critères de restituabilité seront clairement définis. Il devra s’agir d’une demande portée par un État étranger relative à des restes humains datés d’une époque postérieure à 1 500 et appartenant à un groupe vivant dont la culture et les traditions restent actives, et dont les conditions de collecte portent atteinte au principe de la dignité humaine.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, le texte proposé fixe désormais une méthode et un cadre juridique clair, ce que nous demandions depuis plusieurs années.
Projetons-nous désormais, madame la ministre, vers la dernière partie du triptyque. Je vous le dis très clairement : notre positionnement du jour ne présage en rien de celui que nous adopterons lors de son examen.
Pour répondre aux demandes de restitutions d’œuvres d’art, je crois que notre pays doit encore affiner une méthodologie consensuelle et transparente.
Le débat existe : la France doit-elle se doter d’un cadre pérenne suffisamment solide pour assumer la sortie de ces biens, ou en rester aux lois d’espèce ? Je suis à titre personnel persuadé de la nécessité d’un cadre méthodologique fixé par la loi, considérant que les lois d’espèce ne sont que des lois de ratification. Mais nombreux sont ceux sur ces travées qu’il faudra encore convaincre.
Face à des demandes croissantes et à l’indispensable circulation des œuvres d’art, inscrite dans un dialogue des cultures revivifié, la solution passera par l’inscription dans le XXIe siècle du principe intangible d’universalisme de nos musées et du caractère exceptionnel de la dérogation au principe d’inaliénabilité de nos collections. Le Parlement devra, d’une manière ou d’une autre, en rester le garant.
Madame la ministre, pour y parvenir, nous ne dérogerons pas à la ligne de conduite qui est la nôtre : l’établissement d’une méthode claire reposant sur un éclairage scientifique et impliquant le Parlement tout au long de la procédure. Je suis certain que vous partagez largement ce point de vue.
Si ces conditions ne devaient pas être réunies, je demeurerais sceptique sur la suite que le Sénat pourrait donner à ces travaux. Espérons que tel ne sera pas le cas.
Pour l’heure, le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques.