Madame la présidente, monsieur le ministre, madame l'ambassadrice de l'Arménie en France, qui êtes présente dans nos tribunes, mes chers collègues, « lorsque le Sultan voit que, pendant trois années, il a pu, grâce au sommeil complaisant de l'Europe, conduire impuni des massacres qui n'ont peut-être pas de précédents dans les derniers siècles de l'histoire humaine, lorsqu'il voit l'Europe, se levant dans le premier sursaut de ce réveil tardif, au lieu de se tourner vers les victimes du Sultan pour guérir leurs blessures, au lieu de se tourner vers les populations opprimées, pour les aider à conquérir leur indépendance, se faire d'abord, pour première démarche, pour première politique, la servante de ses intérêts à lui, il se dit qu'il tient l'Europe dans ses mains, qu'il peut, à son gré, jouer d'elle. […] Dès maintenant, vous l'avez investi de l'impunité de l'Europe. »
Ainsi parlait Jean Jaurès le 15 mars 1897, depuis la tribune de la Chambre des députés, pour dénoncer l'indifférence coupable de l'Europe à la suite des massacres hamidiens.
Vingt-cinq lustres plus tard, poursuivant l'œuvre exterminatrice du Sultan rouge, l'Azerbaïdjan a envahi le territoire de la République d'Artsakh et réduit toute sa population à l'exil. En trois jours, un État a disparu. En trois jours, des Arméniens ont tout quitté, pour ne laisser derrière eux que des infirmes et leurs morts. En trois jours, de nouveau dans l'indifférence générale, l'Azerbaïdjan s'est octroyé le droit de redessiner des frontières internationales et de procéder à un nettoyage ethnique qui a fait 120 000 victimes.
De toute antiquité, le Haut-Karabagh a été peuplé quasi exclusivement par des Arméniens. C'est un général britannique qui, le premier, en confia l'administration à un Azéri.
Staline, par calcul, fragmenta davantage cette région, en rattachant à l'Azerbaïdjan les deux régions autonomes du Haut-Karabagh et du Nakhitchevan. Néanmoins, la loi soviétique du 3 avril 1990 donnait la possibilité aux républiques et aux régions autonomes de faire sécession. C'est dans ce cadre juridique que la République d'Artsakh a proclamé son indépendance, qui a été ratifiée par référendum le 10 décembre 1991.
Mes chers collègues, les frontières de la République d'Artsakh sont des frontières internationales. En acceptant leur violation, nous avons consenti à la primauté de la force sur le droit et de facto fragilisé l'intégrité territoriale de la République d'Arménie. Forte de son impunité, l'Azerbaïdjan exige maintenant une forme de souveraineté sur le Bas-Karabagh, donc sur la province arménienne du Syunik, pour progressivement établir une continuité territoriale avec le Nakhitchevan et la Turquie.
Si l'Union européenne et les instances internationales laissent impunie l'agression contre la République d'Artsakh, le Syunik sera annexé par l'Azerbaïdjan comme l'a été le Haut-Karabagh. Pour protéger l'Arménie, il faut sanctionner l'Azerbaïdjan.
Monsieur le ministre, il est du devoir de la France de tout mettre en œuvre auprès de ses alliés, des pays membres de l'Union européenne et de la Commission européenne pour qu'ils condamnent l'absorption de l'Artsakh et obligent l'Azerbaïdjan au respect intangible des frontières de l'Arménie.
Par ailleurs, il est inacceptable qu'Israël, l'Italie, la Bulgarie, l'Espagne, la République tchèque, la Slovaquie et même l'Ukraine continuent de fournir à l'Azerbaïdjan des armes que ce pays retourne contre le peuple arménien.
Ne vendons pas notre honneur contre un plat de lentilles en achetant le gaz et le pétrole azéris en échange de notre silence sur l'asservissement du peuple arménien !
Le Parlement européen, par sa résolution du 5 octobre 2023, a demandé à une très large majorité la suspension du protocole d'accord sur un partenariat stratégique dans le domaine de l'énergie. La France doit maintenant tout mettre en œuvre pour que cette suspension soit effective et pour que les avoirs des dirigeants azéris soient saisis, comme le prévoit la présente proposition de résolution.
Mes chers collègues, en entrant dans cet hémicycle, vous pouvez passer devant le buste d'Auguste Scheurer-Kestner, qui a été sénateur de 1875 à 1899. Pendant près de vingt-cinq ans, il a été au sein de notre assemblée le représentant d'une Alsace annexée par l'empire allemand. Jusqu'à sa mort, il a entretenu l'espoir du retour, comme ces nombreux Alsaciens et Lorrains qui préférèrent l'exode pour garder leur nationalité française.
Cette résolution doit être pour tous les Artsakhiotes un message de fraternité et d'espoir. Rien n'est jamais définitif, et les exils peuvent être provisoires. Sachez que nous demeurerons à vos côtés pour préserver votre droit, celui qu'a un peuple de disposer de lui-même et de refuser l'asservissement !