Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au carrefour des civilisations, le Caucase, « montagne des langues », est riche de sa diversité culturelle, religieuse, linguistique et ethnique. La région a connu au fil des siècles une histoire mouvementée, qui n’est pas sans lien avec les événements récents que nous condamnons.
La période soviétique a garanti une certaine stabilité, mais au prix d’un verrouillage sécuritaire strict. Je rappelle qu’Heydar Aliev, premier président de l’Azerbaïdjan indépendant, avait été général du KGB ! Cette ère a néanmoins complexifié la situation locale et n’a pas pu empêcher les premières tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, lesquelles ont ensuite dégénéré en conflit gelé, ponctué d’escarmouches et d’affrontements ouverts.
L’effondrement brutal de l’Union soviétique a laissé des séquelles. La Russie réalise en force un lent retour dans des États indépendants qu’elle considère toujours comme son étranger proche. La Géorgie a connu cette situation, puis l’Ukraine. Après 2008, l’Azerbaïdjan, qui s’était rapidement rapproché des Occidentaux et enrichi par le pétrole et par le gaz de la Caspienne, a bien reçu le message russe en revenant à de meilleurs sentiments à l’égard de Moscou.
À qui voulait l’entendre, les Azerbaïdjanais n’ont jamais fait mystère de leur volonté de mettre à profit cette richesse pour améliorer le sort de leurs déplacés et pour récupérer, au besoin militairement, les territoires considérés comme perdus en 1994. Ce pari de long terme a été gagnant face à l’Arménie : privée de ressources naturelles et lâchée par les Russes, celle-ci s’enfonçait dans la crise économique, exclue de fait du boom énergétique de la Caspienne.
Le retour en force des ex-empires comme la Turquie, liée culturellement à Bakou, et la Russie, en quelque sorte désinhibés dans l’usage de la force et dans la violation du droit, a facilité les récentes actions militaires azerbaïdjanaises. Cette guerre instrumentalisée devient une nouvelle zone de friction entre les Occidentaux que nous sommes et les partisans d’un nouvel ordre mondial fondé sur la dictature.
Que faire alors face à un tel conflit où les belligérants s’opposent à coups d’études historiques censées démontrer l’antériorité d’une présence sur une autre ? Il faut condamner les exactions, juger inacceptables ces comportements adoptés par des États qui ont des obligations au regard du droit international et humanitaire, soutenir les populations victimes de la guerre et faire cesser la destruction méthodique du patrimoine historique. Tel est l’objet du texte de la résolution débattue aujourd’hui.
Rappelons-nous que, depuis longtemps, la France n’a pas ménagé sa peine. Je souligne notamment la forte implication personnelle – je reviens quelques années en arrière ! – du président Chirac et de la diplomatie française, ainsi que les travaux du groupe de Minsk, créé par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour un règlement pacifique du conflit.
Au Sénat, le président Poncelet avait lui aussi multiplié les initiatives avec ses homologues des parlements du Sud-Caucase. À cette époque, la France pouvait encore parler à tout le monde et avoir une position équilibrée. Depuis lors, les choses ont changé, me semble-t-il, au Caucase comme ailleurs : notre capacité d’action s’est restreinte. Nous ne sommes plus vraiment audibles.
Au cours d’un récent déplacement à Erevan, j’ai pu assister à la présentation aux membres de l’assemblée parlementaire de l’OSCE du plan de paix du Premier ministre arménien. Je me suis aussi entretenu avec l’ambassadeur de France et avec l’attaché de défense, dont le poste – il convient de le souligner – vient tout juste d’être créé, pour marquer le nouveau soutien de la France à l’Arménie dans le domaine des armées. Cet appui a un but défensif : coopération militaire, livraison de matériel, etc.
Évidemment, les relations avec l’Azerbaïdjan se sont passablement dégradées. Les présidents de ce pays, Heydar Aliev, puis son fils, Ilham Aliev, avaient pourtant choisi la France pour leur première visite officielle à l’étranger.
L’Azerbaïdjan est membre du Partenariat oriental de l’Union européenne, dont les parties se sont notamment engagées à défendre les valeurs fondamentales qu’elles partagent : renforcement de la démocratie et de l’État de droit, protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales…
Comme la Russie, ce pays est un État participant à l’OSCE, organisation dont la raison d’être est la diplomatie préventive, la résolution pacifique des différends et le désarmement. Pourtant, à l’heure actuelle, les diplomates sont réciproquement expulsés. Avec le temps, chacun constate le décalage entre les discours et les actes.
Les exportations des produits énergétiques azerbaïdjanais vers l’Union européenne devraient se maintenir, voire croître. Certains énergéticiens européens ont des intérêts directs dans la Caspienne ; leurs concurrents russes ou chinois ne seraient pas fâchés de les remplacer.
Quelles seraient les solutions de substitution en matière d’approvisionnement pour les Européens, alors qu’ils sont déjà coupés d’une partie de la production russe ? Se mettre davantage entre les mains de l’Algérie, du Qatar ou des États-Unis ? Aucune solution n’est idéale.
Enfin, nous savons par l’expérience d’autres conflits le peu de portée pratique des sanctions européennes habituelles.