Intervention de Marion CANALÈS

Réunion du 17 janvier 2024 à 15h00
Ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale — Suite de la discussion et adoption d'une proposition de résolution

Photo de Marion CANALÈSMarion CANALÈS :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, un Français sur cinq – cela représente près de 12 millions de personnes – est touché par des problèmes de santé mentale. Le coût économique et humain direct et indirect des problèmes de santé mentale est évalué à 110 milliards d’euros dans notre pays.

Quatre ans après le début de la crise sanitaire, la santé mentale des enfants, adolescents et jeunes adultes, c’est-à-dire les publics concernés par la présente proposition de résolution, reste dégradée. C’est ce que confirment divers travaux présentés aux Congrès français de psychiatrie. Pourtant, en 2021, la Défenseure des droits appelait à prendre la mesure de cet enjeu. En 2022, l’Unicef a placé la santé mentale des enfants comme l’un des défis majeurs du IIIe millénaire. En 2018 et 2021, cet enjeu majeur de santé publique figurait au cœur de deux feuilles de route du Président de la République sans que ces appels reçoivent de réponses à la hauteur de l’urgence.

Entre 2018 et 2021, les passages aux urgences pour des épisodes dépressifs ou des idées suicidaires ont augmenté de 23 % chez les 18-24 ans et de 58 % chez les 11-17 ans. Certes, beaucoup des chiffres ont été avancés depuis le début de cette discussion, mais ils sont très éclairants… Les consultations chez les 18-24 ans ont augmenté de 60 %.

Plusieurs éléments – cela a été souligné – expliquent cette hausse massive : d’abord, la libération et la déstigmatisation de la parole s’agissant des problèmes de santé mentale ; ensuite, le covid-19, qui a durement frappé et déstabilisé les jeunes alors en pleine période de construction personnelle ; enfin, la situation internationale, économique et sociale complexe. Les jeunes sont aujourd’hui dans un étau, tiraillés entre les angoisses de fin du monde et de fin du mois.

À l’occasion du Congrès français de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de 2023, les professionnels ont constaté que 13 % des enfants et adolescents – cela représente 1, 6 million de mineurs, selon un rapport de la Cour des comptes – présentent un trouble psychique, mais que seulement 750 000 à 850 000 d’entre eux bénéficient des soins nécessaires.

Cela m’amène à un constat, qui est partagé : l’offre de soins est insuffisante aujourd’hui ! Partout en France, les sonnettes sont tirées par les services de pédopsychiatrie, débordés. Partout, les institutions sont sous l’eau, confrontées à un manque de moyens financiers, humains, bâtimentaires.

À l’hôpital, 30 % des postes de psychiatres à l’hôpital public sont vacants, tandis que le temps d’attente pour un rendez-vous en centre médico-psychologique (CMP) est, en moyenne, de dix-huit mois.

Les délais de prise en charge s’allongent pour une première consultation, ce qui aggrave les pathologies de manière considérable.

J’en viens à la prévention et à l’accompagnement des enfants. En l’occurrence, l’offre de soins est également à mille lieues des besoins. Rendez-vous compte : alors que l’on assiste à un vrai virage générationnel dans la prise en charge d’enfants de plus en plus jeunes, puisque – l’une de mes collègues l’a rappelé – 5 % des enfants consomment des médicaments, on ne compte que 600 pédopsychiatres pour 10 millions d’enfants de 15 ans, avec une moyenne d’âge de 60 ans ; une dizaine de départements ne comptent plus aucun pédopsychiatre libéral à ce jour. Le nombre de pédopsychiatres a été divisé par deux entre 2007 et 2016.

L’Association nationale des maisons des adolescents alerte sur la situation d’embolie de toutes ces maisons, partout en France.

En moyenne, une faculté de médecine sur cinq n’a pas de professeur d’université en pédopsychiatrie.

La dégradation de la santé mentale des enfants et des adolescents appelle une réponse rapide et forte, mais les moyens ne sont pas plus au rendez-vous à l’hôpital, à l’école ou dans les universités.

Si l’école a pris une part prépondérante dans les déclarations du Président de la République du 16 janvier dernier, on compte un médecin pour 15 000 élèves ! Le temps d’un véritable tournant structurel dans l’organisation de la santé à l’école est-il arrivé ? La réponse doit être : oui !

Pourquoi ne pas former la communauté éducative aux premiers gestes de secours en santé mentale ?

Un cours spécifique d’éducation à la santé mentale dans les premier et second degrés existe dans certains pays, comme l’Australie, et les écoles accompagnent le développement psychique, ainsi que la gestion des émotions des enfants.

Pourquoi ne pas acter la création de postes de psychologues dans l’éducation nationale ? Laisser évoluer un état mental dégradé pendant plusieurs mois nécessitera forcément une hospitalisation à temps plein et plus longue, alors même qu’il faut également accroître – nous le savons – l’offre de soins ambulatoires.

À l’université également, il faut renforcer la prévention et l’accès aux soins. Au début du mois de février auront lieu les élections des représentants étudiants dans les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous). Une quarantaine de présidents d’université, médecins, représentants de syndicats et d’associations étudiantes alertaient déjà en 2022, dans une tribune du journal Le Monde, sur l’ampleur de la détresse psychologique des étudiants depuis la pandémie, réclamant une « stratégie nationale ». Il faut poursuivre ce qui a été engagé et développer les bureaux d’aide psychologique universitaires.

La santé mentale des jeunes est également une question de territoires.

Face à la complexité d’accès aux dispositifs et structures sanitaires et médico-sociaux, face à la longueur des délais pour l’accès aux soins, en ville, à l’hôpital, en service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), en CMP, les collectivités partenaires sont de plus en plus sollicitées. S’il faut penser le sujet dans sa globalité, c’est bien à l’échelon local qu’il faut agir.

Dans les départements, le report se fait sur les services de protection maternelle et infantile.

Dans les villes, les contrats locaux de santé mentale se multiplient depuis leur création, associant les élus locaux, la psychiatrie publique, les usagers et les aidants. Il en existe 260 en France, couvrant environ 20 millions de Français, mais principalement sur les territoires urbains ; seuls 5 % d’entre eux concernent des territoires ruraux. Leurs financements sont disparates. Il ne peut pas y avoir de différences d’accès aux soins selon le territoire. C’était également le sens de l’appel d’élus locaux lors de la 7e journée nationale des conseils locaux de santé mentale.

Je veux également rappeler le lien fort, qui a déjà été souligné, entre santé mentale des jeunes et addictions. La corrélation entre les deux est fréquente. Il s’agit non pas de rencontres accidentelles, mais bien de comorbidités. Je pense aux addictions aux jeux vidéo, reconnues par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme une maladie à part entière depuis 2018, ce qui nous renvoie à la question des addictions aux écrans, mais aussi aux paris sportifs, aux jeux d’argent. Je rappelle à ce titre l’amendement adopté dans cet hémicycle sur l’initiative de notre groupe pour renforcer la lutte contre ce fléau. Aujourd’hui, 35 % des joueurs ont entre 15 ans et 17 ans. Je ne peux que nous inciter à poursuivre notre action contre les addictions lors de l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Dans un monde qui va vite, avec une course effrénée à la performance, nos jeunes doivent – je le disais – gérer les angoisses de fin du monde et de fin du mois.

Angoisses de fin du monde d’abord, avec l’éco-anxiété. Ainsi, 75 % des jeunes jugent l’avenir effrayant, et 45 % des jeunes sont touchés par cette éco-anxiété, détresse d’un nouveau genre, qui n’est pas pour rien dans la baisse de la natalité que nous avons constatée. Car dans un monde aux ressources finies, voire un monde parfois perçu comme fini, la jeune génération ne se projette plus avec des enfants, et l’injonction à la natalité ne fonctionnera pas.

Angoisses de fin du mois ensuite, avec la précarité. La question des inégalités affecte les jeunes différemment selon leur niveau social. À l’heure de l’appel des milliardaires de Davos à être plus taxés, cela ne doit pas seulement nous faire réfléchir ; cela doit nous faire agir.

Les auteurs de la présente proposition de résolution soulignent que la précarité est un facteur de dégradation de la santé mentale. Parce que les jeunes d’aujourd’hui construisent la société de demain, ils doivent disposer de ressources pour pouvoir aborder l’avenir avec sérénité.

Notre groupe partage évidemment très largement un tel constat. C’est pour cela que nous avions souscrit à la proposition de loi de nos collègues écologistes visant à lutter contre la précarité de la jeunesse par l’instauration d’une allocation autonomie universelle d’études, texte qui n’avait malheureusement pas fait l’unanimité. C’est également pour cela que nous souhaitons l’élargissement du revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans : refuser d’étendre les minima sociaux aux moins de 25 ans, c’est enfermer une partie de la jeunesse dans la précarité.

En cette année de jeux Olympiques, je me permets de rappeler la devise de l’olympisme, « Plus vite, plus haut, plus fort », aux allures d’injonction à la performance, ce qui pèse énormément sur les jeunes et leur santé mentale. Une jeunesse qui va mal est l’assurance d’une société qui se dégradera.

En réponse à une question d’actualité posée par l’une de mes collègues le 29 mars 2023, le ministre de la santé de l’époque avait affirmé que la santé mentale, en particulier celle des jeunes, était une priorité de son gouvernement.

Samedi 13 janvier dernier, le Premier ministre a rappelé, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon, la nécessité d’avancer sur la santé mentale des adolescents.

L’initiative de nos collègues du RDSE nous donne ce soir l’occasion de passer de la parole aux actes. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra évidemment la présente proposition de résolution.

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