Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans la France de 2024, la psychiatrie est anxieuse ; la psychiatrie est troublée ; la psychiatrie est déprimée. Décrite, à juste titre, comme le parent pauvre du système de soins, la psychiatrie médicale dédiée à la santé mentale figure aujourd’hui parmi les spécialités les moins attractives et les moins choisies par les étudiants en médecine.
Cette crise de la psychiatrie, qui touche aussi la psychiatrie infanto-juvénile, se traduit fatalement par une insuffisante prise en charge de la santé mentale des jeunes.
Est-il juste d’ériger cette dernière en grande cause nationale ? Oui, cela va sans dire. Néanmoins, est-ce suffisant ? Non, évidemment !
La dégradation continue de la santé mentale n’est pas spécifique aux jeunes. Mais il faut rappeler, à la suite de Freud et de la plupart des psychiatres, que c’est dans l’enfance et l’adolescence que se construit la psychologie du futur adulte. C’est là que se joue toute la dramaturgie de la vie psychique de l’individu.
C’est donc bien en amont de l’âge adulte que les politiques publiques doivent intervenir, non seulement pour les soins somatiques, mais également pour les soins psychiatriques.
Or elles en sont bien loin, et les chiffres sont alarmants ! Depuis 2020, en France, la santé mentale des jeunes ne cesse de se dégrader. Toutes les études tirent la sonnette d’alarme. En 2023, le rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge alerte sur l’augmentation de la consommation de médicaments psychotropes par les enfants et les adolescents. D’après la Cour des comptes, 1, 6 million de mineurs souffrent d’un trouble psychique.
L’acuité de ce problème dans ma région, l’Île-de-France, a même suscité une question d’intérêt majeur, qui débouche sur un vaste programme de recherche. Ainsi, 78 % des jeunes Franciliens déclarent des signes de dépression modérée ou sévère. Et 25 % ont pensé au suicide !
Ce fléau repose sur des causes multifactorielles, amplifiées par la crise sanitaire : délitement de la sphère familiale ; difficile accès aux soins, accentué par les inégalités sociales ; emprise des réseaux sociaux ; violence croissante et harcèlement scolaire. Tout cela est aggravé par la stigmatisation sociale persistante des maladies mentales, bien mise en évidence par Maria Melchior, spécialisée dans la santé mentale.
Il est plus que temps de neutraliser cette évolution ravageuse. Il faut davantage former les professionnels qui travaillent auprès des enfants au repérage de leurs fragilités.
De réels moyens doivent être consacrés à la prévention. Le rapport Les 1 000 premiers jours le souligne, les trois premières années de l’enfant constituent « les prémisses de la santé et du bien-être de l’individu tout au long de la vie ».
Il faut mettre fin au désengagement de l’État en matière de médecine scolaire, qui est laissée à la charge des communes sans les moyens financiers correspondants. L’État doit recruter des médecins et des infirmiers dans les écoles, des assistantes sociales dans les collèges et les lycées et des accompagnants d’élèves en situation de handicap en nombre suffisant au lieu de mutualiser ces professionnels. L’offre de soins médico-psychologiques et psychiatriques doit également être renforcée. Il faut en outre mieux lutter contre le harcèlement, en régulant l’usage des réseaux sociaux chez les plus jeunes et en responsabilisant les parents.
Enfin, il est impératif de mieux soutenir les familles et de renforcer la fonction parentale. Rappelons-le, les territoires où la parentalité est la moins accompagnée sont ceux dans lesquels la santé mentale des adolescents s’est le plus dégradée ; c’est particulièrement le cas des territoires d’outre-mer. Le soutien à la politique familiale passe aussi par le développement d’équipes d’intervention à domicile spécialisées en santé mentale, afin d’accompagner les jeunes mères ou encore par l’allongement et la meilleure valorisation du congé parental.
Ériger la santé mentale en grande cause nationale est une bonne chose, mais, madame la ministre, en l’absence d’un ministre de plein exercice chargé de la famille, nous risquons de dénoncer les conséquences sans en attaquer véritablement les causes…