Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec une particulière gravité que j’ouvre ce débat sur l’avenir du pastoralisme face à la prédation du loup.
Si certains n’en avaient pas encore conscience, je peux certifier que, sur le terrain, la situation est particulièrement dramatique.
Je vous le dis en tant qu’élue du département des Alpes-Maritimes, où, au cours des neuf premiers mois de l’année 2023, près de 600 constats d’attaques indemnisables ou en cours d’instruction ont été dénombrés, pour plus de 1 500 bêtes victimes de la prédation. Je vous le dis en tant qu’élue d’un département champion de France en la matière, un titre dont il se passerait bien.
D’année en année, la prédation du loup prend de l’ampleur géographiquement et numériquement, si bien qu’il n’existe plus véritablement ni territoires en première ligne ni territoires préservés.
Plus de cinquante départements sont aujourd’hui concernés. Or, dans nombre d’entre eux, les mesures de protection ont disparu des habitudes.
C’est en particulier le cas dans les plaines, où le loup évolue non pas nécessairement en meute, mais de façon isolée, sans pour autant causer moins de dégâts.
Autant dire que la question agite fortement et légitimement la ruralité dans son ensemble. Mes chers collègues, en tant que sénateurs, vous connaissez mieux que quiconque la détresse et l’inquiétude que provoque le retour du loup à une telle échelle.
Bien sûr, le sujet est difficile, car plusieurs logiques s’affrontent : d’une part, la survie d’une espèce sauvage protégée, d’autre part, la viabilité du pastoralisme dans certaines régions, voire tout bonnement – j’ose le dire – celle de l’élevage. Ce dernier est en effet déjà confronté à une crise polyfactorielle, la décapitalisation n’ayant pas attendu le loup pour se manifester.
Les dynamiques sont ainsi faites qu’elles évoluent vite et les discours que l’on entend, de-ci, de-là, sur la gestion du loup ne me semblent plus adaptés aux observations de terrain.
Or, en tant que responsable politique, j’affirme comme Charles Péguy : « Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. » Nous devons cette honnêteté à nos concitoyens, par-delà les idéologies ou les a priori.
Or que voit-on ? Alors que le seuil de préservation de l’espèce lupine était fixé à 500 individus, 1 104 individus ont été officiellement – j’insiste sur ce terme – recensés depuis le mois de septembre 2023.
Sans remettre en question les comptages officiels, dont les résultats sont toujours sous-estimés, force est de constater que la population de loups a subitement augmenté de 198 unités entre les mois de juillet et de septembre 2023. L’objectif est donc plus que doublement atteint.
Quand une politique de préservation des espèces porte ainsi ses fruits – c’est malheureusement suffisamment rare pour être souligné –, il faut aussi savoir l’acter.
Signe des temps, la Commission européenne elle-même, elle que l’on peut difficilement soupçonner d’être une ennemie de la nature depuis l’adoption du Pacte vert pour l’Europe, a proposé, au mois de décembre dernier, de sortir le loup de l’annexe II de la Convention du 19 septembre 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, dite convention de Berne.
Le plan national d’actions (PNA) 2024-2029 sur le loup et les activités d’élevage, ou plan Loup, présenté par le Gouvernement au mois de septembre dernier, s’en tenait, quant à lui, au lancement d’une réflexion sur l’opportunité de cette évolution.
Mes travaux au sein du groupe de travail sur le loup lancé par mon groupe politique m’en ont convaincue : il faut enfin sortir des ambiguïtés et emprunter clairement cette voie.
Faiblir sur le loup, c’est ouvrir la voie pour l’ours – nos collègues des Pyrénées ne le savent que trop bien.