Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous adresser tous mes vœux, notamment de santé, et de vous souhaiter – pourquoi pas ? – une bonne année énergétique.
Depuis cinq ans, le prix de l’électricité n’a cessé d’augmenter en Europe. Cette hausse est due à plusieurs facteurs : la reprise de l’économie mondiale au sortir de la crise de la covid-19, la guerre lancée par la Russie contre l’Ukraine et les indisponibilités du parc électrique, nucléaire et renouvelable. J’en veux pour preuve qu’entre 2019 et 2023, le prix moyen du kilowattheure (kWh) est passé de 21 à 29 centimes, en hausse de 40 %, selon Eurostat.
Pour endiguer cette hausse, la Commission européenne a dévoilé, le 8 mars 2022, le plan REPowerEU, qui vise à rendre l’Europe indépendante des hydrocarbures russes avant 2030, et qui prévoit de ce fait d’optimiser l’organisation du marché de l’électricité.
Dans ce contexte, la Commission européenne a présenté, le 14 mars 2023, un paquet législatif comportant trois actes juridiques : un règlement améliorant l’organisation du marché de l’électricité, un règlement protégeant contre la manipulation du marché de gros de l’énergie, une recommandation sur le stockage de l’énergie. Cette réforme a fait l’objet d’un accord en trilogue le 14 décembre dernier.
Le 19 juin dernier, avec mon collègue Claude Kern, nous avons fait adopter une résolution commune à la commission des affaires européennes et à celle des affaires économiques. Le Sénat s’est donc positionné très clairement sur l’intérêt, mais aussi sur les limites de ce paquet.
Premièrement, la réforme du marché européen de l’électricité doit respecter le principe de complétude. Si elle permet le développement utile d’un marché de long terme, elle n’aura pas d’impact immédiat sur le marché de court terme ; en effet, elle ne remet pas en cause le principe du coût marginal, qui lie dans les faits le prix de l’électricité à celui du gaz. Il faut donc aller plus loin.
Deuxièmement, cette réforme doit atteindre l’objectif de neutralité technologique. Les contrats pour différence doivent couvrir toutes les facettes des projets nucléaires, de la construction des nouveaux réacteurs au fonctionnement de ceux qui existent. Il faut aussi qu’ils englobent toutes les sources d’énergies renouvelables, parmi lesquelles les concessions hydroélectriques.
Quant aux contrats d’achat d’électricité, ils doivent bénéficier aux énergies renouvelables comme au nucléaire. C’est essentiel pour respecter l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui consacre le droit de tout État membre de définir son mix énergétique. À cet égard, je salue l’accord conclu lors du trilogue, qui est en cohérence avec les positions adoptées par le Sénat dans sa résolution européenne.
Troisièmement, la réforme doit viser la protection des consommateurs. Les États membres doivent bénéficier de toute latitude pour intervenir, bien au-delà des seules situations de crise. Il faut aussi contrôler les fournisseurs, en leur appliquant des obligations prudentielles, pour prévenir tout risque de défaillance. Les consommateurs doivent bien sûr être protégés : il faut étendre les tarifs réglementés de vente, mais aussi préférer les contrats à prix fixe à ceux à tarification dynamique, et les diminutions de puissance aux interruptions de fourniture.
Quatrièmement, la réforme du marché de l’électricité ne doit pas revenir sur la répartition des compétences et respecter celles qui sont dévolues aux autorités nationales. Les principes de subsidiarité, d’indépendance et d’impartialité doivent s’appliquer. Il est donc malvenu que certains de leurs pouvoirs de régulation, mais aussi d’enquête et de sanction, puissent être transférés à une autorité européenne.
Enfin, cette réforme doit promouvoir le stockage de l’électricité, au-delà de sa production. Pour pallier l’intermittence croissante du système électrique, induite par l’essor des énergies renouvelables, et faire face à l’électrification massive des usages, nous aurons besoin de toutes les formes de stockage, de l’hydrogène aux batteries. C’est pourquoi il faut offrir un soutien approprié à ces projets.
Ainsi complétée, la réforme du marché européen de l’électricité est indispensable pour protéger les consommateurs contre la volatilité des prix des énergies, renforcer la compétitivité des entreprises européennes face à la concurrence internationale et financer les investissements dans la transition énergétique. Elle doit contribuer à atteindre les objectifs énergétiques et climatiques de l’Union européenne, notamment l’objectif de réduction de 55 % de ses émissions de CO2 d’ici à 2030 et la neutralité carbone d’ici à 2050.
Monsieur le ministre, le Gouvernement s’engage-t-il à défendre ces points d’ici à la fin de l’examen de ces textes ? Quand seront-ils introduits dans notre droit ?
Pour appliquer cette réforme du marché européen de l’électricité à notre pays, le Gouvernement a annoncé l’examen par le Parlement, dans les prochains mois, d’un projet de loi relatif à la souveraineté énergétique. Nous confirmez-vous le futur examen de ce texte dans le contexte très incertain du remaniement ? Il est attendu pour fixer notre cap énergétique.
Monsieur le ministre, je ne vous cache pas mon intérêt, mais aussi ma déception à la lecture de l’avant-projet : il ne comporte que deux articles programmatiques sur un total de seize articles. Or, lors de l’examen de la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, la commission des affaires économiques du Sénat a fixé le principe d’une loi quinquennale sur l’énergie. Ce faisant, nous avons souhaité, dans un secteur aussi stratégique que celui de l’énergie, consacrer la préséance du Parlement par rapport au Gouvernement, de la politique par rapport à la technique.
Aussi déplorons-nous les retards constatés dans l’examen du texte, car la loi quinquennale aurait dû être adoptée avant le 1er juillet 2023.
Nous regrettons également les lacunes du texte, car la loi quinquennale doit permettre de couvrir l’ensemble des objectifs requis, du mix énergétique à la rénovation énergétique. Les objectifs doivent courir jusqu’en 2033 pour l’énergie et 2038 pour le carbone.
En somme, le Gouvernement se contente d’actualiser les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de diminution de la consommation, renvoyant pour le reste au règlement. Pire, il prévoit l’abrogation pure et simple d’une dizaine d’objectifs, adoptés sur l’initiative de notre commission, en matière d’énergies renouvelables, d’hydroélectricité, d’hydrogène, d’agrivoltaïsme ou d’éolien en mer.
Pourquoi faire ainsi l’impasse sur les énergies renouvelables ? C’est incompréhensible au regard de nos engagements européens.
En ce qui concerne l’énergie nucléaire, si la construction de nouveaux réacteurs équivalant à six EPR 2 est envisagée d’ici à 2026, le reste est encore bien flou. Les délais, les technologies ou les financements ne sont pas détaillés. Que d’incertitudes, que d’insuffisances, à l’heure de la relance du nucléaire !
S’agissant de l’article substituant un versement nucléaire universel à l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique, il est indispensable de disposer, avant de légiférer, d’une étude d’impact étoffée, afin d’en mesurer les conséquences sur les prix pour les consommateurs, particuliers comme professionnels, et les recettes du groupe EDF.
Pour ce qui est de l’article autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur les concessions hydroélectriques, il est crucial de connaître l’intention du Gouvernement. La Commission européenne est-elle prête à passer d’un régime de concession à un régime d’autorisation, pour mettre fin au contentieux impliquant le groupe EDF ?
Et pourquoi déstabiliser, à travers cet article, la concession de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), qui a été prorogée de vingt ans par la loi du 28 février 2022 relative à l’aménagement du Rhône, sous l’égide de notre commission ?
Pouvez-vous nous apporter les précisions qui s’imposent ? Entendez-vous corriger le tir avant le dépôt du texte ? À défaut, nous y veillerons. La décarbonation de notre économie suppose en effet, pour réussir, la définition d’objectifs clairs et des moyens suffisants.