Intervention de Franck Montaugé

Réunion du 16 janvier 2024 à 21h30
« pouvoir de vivre » : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique — Débat organisé à la demande du groupe socialiste écologiste et républicain

Photo de Franck MontaugéFranck Montaugé :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est dans la grande œuvre d’Edgar Morin intitulée La méthode que l’on trouve, dans la partie consacrée à l’éthique, le propos suivant : « À force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. »

Par cette pensée, qui procède d’une longue observation de la vie des hommes sur près d’un siècle et d’une action politique personnelle marquée notamment par la résistance à l’oppression nazie, le grand humaniste pose la question du rapport entre l’urgence et l’essentiel du point de vue de l’homme et de son rapport au monde.

Sur le plan individuel, pour de très nombreux enfants, pour leurs parents, quand ils sont encore là, pour de plus en plus de personnes âgées, l’urgence se vit au quotidien, dans l’accès à la nourriture et au logement. Leur dignité même en est affectée, au-delà de leurs conditions de vie ou de survie humainement inacceptables. C’est un scandale absolu !

Sur le plan collectif, les problématiques liées au climat, à l’environnement et à la biodiversité affectent, on le sait scientifiquement, les conditions de « vivabilité » sur terre.

Les modèles économiques et culturels sont ou doivent être analysés en conséquence.

Des politiques publiques adaptées à ces enjeux collectifs doivent en résulter. Ces politiques doivent être évaluées au regard des réponses qu’elles apportent et des progrès qu’elles permettent dans les trajectoires de vie concernées.

La planification écologique et énergétique doit permettre leur mise en œuvre de manière efficiente. Elle doit bénéficier à l’ensemble des citoyennes et des citoyens de la Nation.

L’essentiel dont parle Edgar Morin est sans doute là, mais on ne peut pas - en tout cas, je le crois - opposer l’urgence à l’essentiel. Morin ne le fait pas, d’ailleurs.

Il nous faut donc conjuguer, prendre en compte ce qui relève de l’urgence individuelle du quotidien et ce qui procède de l’essentiel pour notre avenir collectif.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vous propose donc, au seuil de cette nouvelle année, de débattre de la question suivante : «“Pouvoir de vivre” : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? »

Je voudrais, en quelques minutes, évoquer les différents thèmes de politique publique qui peuvent être abordés pour répondre à cette question fondamentale.

Fondamentale, parce que la question sociale doit demeurer au fondement du pacte républicain. C’est une nécessité absolue, car il y va, je le crois, de l’avenir de notre démocratie et du sens que nous devons donner à la République.

Dans les faits, la question sociale est-elle toujours au fondement du pacte républicain vécu par l’ensemble des citoyennes et des citoyens de notre Nation ? Je ne le crois pas, hélas ! Pas pour tout le monde ! C’est un point crucial et urgent qui doit être pris en compte dans la transition écologique, qui est largement devant nous.

Nous devons partit du postulat suivant - une conviction que, je l’espère, nous partagerons tous - : il n’y aura pas de transition écologique réussie sans la participation et la prise en compte de l’ensemble des citoyennes et des citoyens français, sans une amélioration effective et suffisante de la condition sociale de ceux qui sont aujourd’hui dans une grande difficulté ou dans la souffrance.

J’espère - et je n’en doute pas - que l’expression des groupes du Sénat permettra de nourrir le débat relatif à l’amélioration des politiques publiques nécessaires pour accéder à une alimentation saine et équilibrée, au logement, à la vêture et aux biens matériels indispensables à une vie normale, à l’éducation et à la culture, aux transports et aux déplacements, à l’autonomie personnelle, ainsi qu’à la relation sociale et à la participation à la vie collective.

Au préalable, je voudrais saluer et remercier l’ensemble des organisations syndicales, des associations et des organisations non gouvernementales (ONG) qui se sont regroupées dans le cadre de l’initiative dite du « pouvoir de vivre ».

Les quatre axes majeurs du Pacte du pouvoir de vivre qu’ils proposent consistent à « donner à chacun le pouvoir de vivre dans un cadre commun permettant de protéger notre avenir et celui des générations futures », à « remettre l’exigence de justice sociale au cœur de l’économie », à « préparer notre avenir en cessant de faire du court terme l’alpha et l’oméga de nos politiques publiques », et, enfin, à « partager le pouvoir pour que chacun puisse prendre sa part dans la transformation de nos vies ».

En adoptant un point de vue plus macroéconomique, il est aussi nécessaire d’identifier les mesures budgétaires qui ont à la fois des effets climatiques et sociaux.

L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) a pour cela évalué l’impact socioéconomique du budget. Cinq dimensions d’impact social ont ainsi été mises en évidence : les inégalités de revenus, la pauvreté, l’emploi, la santé et l’accès aux besoins et services fondamentaux que sont l’énergie, une eau propre, la nourriture et les infrastructures.

Dans le cadre de l’introduction de notre débat de ce soir, je voudrais en quelques mots souligner la problématique de la valorisation du carbone.

Les tentatives de mise en place passées - qui ont été autant d’échecs - mettent en effet en évidence la difficulté qu’il y a à concilier des objectifs écologiques, économiques, sociaux et politiques dans la justice sociale.

Ces difficultés non encore surmontées à ce jour expliquent en grande partie les échecs répétés de la fiscalité du carbone en France, pour ne prendre que cet exemple.

L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) dégage de cette analyse trois enjeux prioritaires pour fonder une politique de conciliation : d’abord, traiter de l’évolution globale des finances publiques ; ensuite, négocier un système d’accompagnement transitoire des ménages et des entreprises les plus vulnérables à court terme ; enfin, inscrire l’ensemble de ces réflexions au sein de discussions collectives qui associent l’ensemble des parties prenantes à la coconstruction d’un contrat social de transition écologique.

Tout ou presque reste à faire à cet égard ! Le grand débat national, la Convention citoyenne pour le climat, le Conseil national de la refondation ont été des contre-exemples de ce qu’il est nécessaire de faire pour mobiliser nos concitoyens.

En tout état de cause, le désintérêt croissant des Français à l’égard des élections et la dégradation de la confiance dans les institutions de la République et du respect qui leur est dû doivent nous interroger aussi sur le bien commun et notre capacité à faire ou à refaire société.

L’économie qui va progressivement apparaître dans le cadre de la transition écologique devra aussi intégrer une exigence de solidarité et de justice sociale.

Transition écologique et justice sociale ne relèvent pas de registres séparés ; elles doivent être conciliées pour construire un avenir national partagé. Comme doivent être conciliés « l’urgent » et « l’essentiel » chers à Edgar Morin.

En définitive, l’heure est à la construction d’un nouveau pacte politique, social et écologique. Un pacte pour tous et pour la planète, dans la dignité de tous et le respect de chacun. Un pacte qui nous engage tous et qui redonne sens à la République.

Vos interventions, mes chers collègues, permettront, je l’espère, à M. le ministre de nous expliquer comment le nouveau gouvernement entend prendre en compte ces exigences et ces urgences qui détermineront le dynamisme et la prospérité de notre pays dans le cadre des transitions multiples en cours.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion