La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Mathieu Darnaud.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème : «“Pouvoir de vivre” : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que le groupe auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe auteur de la demande.
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est dans la grande œuvre d’Edgar Morin intitulée La méthode que l’on trouve, dans la partie consacrée à l’éthique, le propos suivant : « À force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. »
Par cette pensée, qui procède d’une longue observation de la vie des hommes sur près d’un siècle et d’une action politique personnelle marquée notamment par la résistance à l’oppression nazie, le grand humaniste pose la question du rapport entre l’urgence et l’essentiel du point de vue de l’homme et de son rapport au monde.
Sur le plan individuel, pour de très nombreux enfants, pour leurs parents, quand ils sont encore là, pour de plus en plus de personnes âgées, l’urgence se vit au quotidien, dans l’accès à la nourriture et au logement. Leur dignité même en est affectée, au-delà de leurs conditions de vie ou de survie humainement inacceptables. C’est un scandale absolu !
Sur le plan collectif, les problématiques liées au climat, à l’environnement et à la biodiversité affectent, on le sait scientifiquement, les conditions de « vivabilité » sur terre.
Les modèles économiques et culturels sont ou doivent être analysés en conséquence.
Des politiques publiques adaptées à ces enjeux collectifs doivent en résulter. Ces politiques doivent être évaluées au regard des réponses qu’elles apportent et des progrès qu’elles permettent dans les trajectoires de vie concernées.
La planification écologique et énergétique doit permettre leur mise en œuvre de manière efficiente. Elle doit bénéficier à l’ensemble des citoyennes et des citoyens de la Nation.
L’essentiel dont parle Edgar Morin est sans doute là, mais on ne peut pas - en tout cas, je le crois - opposer l’urgence à l’essentiel. Morin ne le fait pas, d’ailleurs.
Il nous faut donc conjuguer, prendre en compte ce qui relève de l’urgence individuelle du quotidien et ce qui procède de l’essentiel pour notre avenir collectif.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vous propose donc, au seuil de cette nouvelle année, de débattre de la question suivante : «“Pouvoir de vivre” : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? »
Je voudrais, en quelques minutes, évoquer les différents thèmes de politique publique qui peuvent être abordés pour répondre à cette question fondamentale.
Fondamentale, parce que la question sociale doit demeurer au fondement du pacte républicain. C’est une nécessité absolue, car il y va, je le crois, de l’avenir de notre démocratie et du sens que nous devons donner à la République.
Dans les faits, la question sociale est-elle toujours au fondement du pacte républicain vécu par l’ensemble des citoyennes et des citoyens de notre Nation ? Je ne le crois pas, hélas ! Pas pour tout le monde ! C’est un point crucial et urgent qui doit être pris en compte dans la transition écologique, qui est largement devant nous.
Nous devons partit du postulat suivant - une conviction que, je l’espère, nous partagerons tous - : il n’y aura pas de transition écologique réussie sans la participation et la prise en compte de l’ensemble des citoyennes et des citoyens français, sans une amélioration effective et suffisante de la condition sociale de ceux qui sont aujourd’hui dans une grande difficulté ou dans la souffrance.
J’espère - et je n’en doute pas - que l’expression des groupes du Sénat permettra de nourrir le débat relatif à l’amélioration des politiques publiques nécessaires pour accéder à une alimentation saine et équilibrée, au logement, à la vêture et aux biens matériels indispensables à une vie normale, à l’éducation et à la culture, aux transports et aux déplacements, à l’autonomie personnelle, ainsi qu’à la relation sociale et à la participation à la vie collective.
Au préalable, je voudrais saluer et remercier l’ensemble des organisations syndicales, des associations et des organisations non gouvernementales (ONG) qui se sont regroupées dans le cadre de l’initiative dite du « pouvoir de vivre ».
Les quatre axes majeurs du Pacte du pouvoir de vivre qu’ils proposent consistent à « donner à chacun le pouvoir de vivre dans un cadre commun permettant de protéger notre avenir et celui des générations futures », à « remettre l’exigence de justice sociale au cœur de l’économie », à « préparer notre avenir en cessant de faire du court terme l’alpha et l’oméga de nos politiques publiques », et, enfin, à « partager le pouvoir pour que chacun puisse prendre sa part dans la transformation de nos vies ».
En adoptant un point de vue plus macroéconomique, il est aussi nécessaire d’identifier les mesures budgétaires qui ont à la fois des effets climatiques et sociaux.
L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) a pour cela évalué l’impact socioéconomique du budget. Cinq dimensions d’impact social ont ainsi été mises en évidence : les inégalités de revenus, la pauvreté, l’emploi, la santé et l’accès aux besoins et services fondamentaux que sont l’énergie, une eau propre, la nourriture et les infrastructures.
Dans le cadre de l’introduction de notre débat de ce soir, je voudrais en quelques mots souligner la problématique de la valorisation du carbone.
Les tentatives de mise en place passées - qui ont été autant d’échecs - mettent en effet en évidence la difficulté qu’il y a à concilier des objectifs écologiques, économiques, sociaux et politiques dans la justice sociale.
Ces difficultés non encore surmontées à ce jour expliquent en grande partie les échecs répétés de la fiscalité du carbone en France, pour ne prendre que cet exemple.
L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) dégage de cette analyse trois enjeux prioritaires pour fonder une politique de conciliation : d’abord, traiter de l’évolution globale des finances publiques ; ensuite, négocier un système d’accompagnement transitoire des ménages et des entreprises les plus vulnérables à court terme ; enfin, inscrire l’ensemble de ces réflexions au sein de discussions collectives qui associent l’ensemble des parties prenantes à la coconstruction d’un contrat social de transition écologique.
Tout ou presque reste à faire à cet égard ! Le grand débat national, la Convention citoyenne pour le climat, le Conseil national de la refondation ont été des contre-exemples de ce qu’il est nécessaire de faire pour mobiliser nos concitoyens.
En tout état de cause, le désintérêt croissant des Français à l’égard des élections et la dégradation de la confiance dans les institutions de la République et du respect qui leur est dû doivent nous interroger aussi sur le bien commun et notre capacité à faire ou à refaire société.
L’économie qui va progressivement apparaître dans le cadre de la transition écologique devra aussi intégrer une exigence de solidarité et de justice sociale.
Transition écologique et justice sociale ne relèvent pas de registres séparés ; elles doivent être conciliées pour construire un avenir national partagé. Comme doivent être conciliés « l’urgent » et « l’essentiel » chers à Edgar Morin.
En définitive, l’heure est à la construction d’un nouveau pacte politique, social et écologique. Un pacte pour tous et pour la planète, dans la dignité de tous et le respect de chacun. Un pacte qui nous engage tous et qui redonne sens à la République.
Vos interventions, mes chers collègues, permettront, je l’espère, à M. le ministre de nous expliquer comment le nouveau gouvernement entend prendre en compte ces exigences et ces urgences qui détermineront le dynamisme et la prospérité de notre pays dans le cadre des transitions multiples en cours.
Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comment vous remercier, monsieur Montaugé, de me permettre de passer cette soirée avec vous pour débattre sur ce thème : « Quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? » ?
Exclamations amusées.
Je vous répondrai, d’abord, à travers le propos que je vais tenir devant vous, puis à travers les questions que vous aurez tout loisir de me poser par la suite.
Je ferai, pour commencer, deux remarques liminaires.
Premièrement, je veux souligner l’importance de ce sujet. De la même manière que l’on mesure la solidité d’une chaîne à celle de son maillon le plus fragile, on est forcément attentif, dès lors que l’on est un tant soit peu attaché à notre République et à sa cohésion, à ce que les politiques de transition aussi lourdes que l’on mène permettent aux plus fragiles de ne pas se sentir écartés sur le bord du chemin.
Deuxièmement, même si la transition écologique peut apparaître comme un « choc », pour reprendre un mot de l’intitulé de notre débat de ce soir, un autre choc se ferait sentir encore plus fortement sur notre cohésion et sur nos politiques de solidarité : celui de l’inaction climatique.
Nous discutons des coûts, nous discutons des modalités, nous discutons de la façon dont il faut conduire ces politiques, mais il y a une constante : ne pas agir nous coûterait beaucoup plus cher que d’investir dans cette transition.
Depuis près de vingt ans, avec une grande constance, les rapports pointent ce que seraient les conséquences à la fois pour les individus et pour notre société d’une absence de politique climatique : selon le rapport Stern de 2006, entre 5 % et 20 % du PIB.
Les derniers scénarios de l’Ademe, publiés en décembre, se situent dans cette fourchette : différer un certain nombre de ces politiques en considérant qu’il n’y a pas d’urgence nous coûterait, estime-t-elle, sept points de PIB annuel d’ici à la fin du siècle. C’est absolument considérable.
L’inaction climatique, ce serait l’appauvrissement de notre pays et de tous les Français. Je n’ai donc pas peur de dire que la transition écologique est en elle-même une politique sociale en ce qu’elle vise à préserver notre prospérité et nos modes de vie dans un monde qui change, sans que nous puissions arrêter ce changement.
Évidemment, j’entends parfaitement, à la place qui est la mienne, les critiques, les interrogations qui se font jour sur les politiques que nous menons pour accélérer cette transition ; de même, j’entends les débats sur la fin du monde et la fin du mois. Pour tout vous dire, comme nombre d’entre vous dans cet hémicycle, où que vous siégiez, cette question est au cœur de mon engagement politique.
Je comprends les inquiétudes légitimes des sénateurs qui ont provoqué ce débat qui nous réunit ce soir. En répondant à ces questions, je vous invite à bien mesurer que, faute de trouver des réponses qui permettent de conduire cette politique de transition à la fois au bon rythme et d’une façon suffisamment ambitieuse et solidaire, nous alimenterions un populisme qui a deux facettes, les uns expliquant que ne pas faire tout, tout de suite, revient à ne rien faire, les autres prétendant qu’on irait toujours trop vite, ce qui, à la fin, ne ferait qu’« emmerder » les Français.
Au cours de ces derniers mois, auprès des personnes ayant subi les inondations dans le Pas-de-Calais ou de celles qui ont été victimes des écoulements d’eau dans la vallée de la Vésubie, ou au cours de ces dernières heures, dans les contacts que j’ai eus – notamment avec le préfet de l’île - avec ceux qui ont été confrontés au cyclone que vient de connaître La Réunion, j’ai pu mesurer que c’est bien notre inaction qui pourrait, à terme, provoquer bien plus de réactions et d’« emmerdements » que les réponses que nous tentons d’apporter, au bon rythme et de manière adaptée.
Et parce que je refuse qu’elle serve de carburant aux extrêmes, je suis persuadé que l’écologie peut être à la fois bonne pour la planète et bonne pour le pouvoir d’achat, bonne pour la planète et bonne pour notre souveraineté industrielle. Je suis convaincu qu’écologie doit rimer avec économie, loin de toute forme d’hypocrisie, que la réindustrialisation permet à la fois de créer de la richesse, donc des emplois mieux rémunérés, et des dispositifs de solidarité.
Il faut en finir avec ce modèle d’une mondialisation débridée qui détruit une partie de notre tissu industriel, de nos emplois, aggrave notre bilan carbone et notre dépendance à des modes de production basés sur le charbon, à l’autre bout du monde, alors même que nous nous efforçons de décarboner notre mix énergétique.
Les exemples sont multiples et, au travers des questions que vous me poserez, vous aurez sans doute l’occasion de zoomer sur tel ou tel aspect propre à la réalité de vos territoires ou sur des faits qui vous ont été rapportés par nos concitoyens.
Je ne me lancerai pas dans une revue de détail consistant à balayer l’ensemble des champs ; je me contenterai de citer trois exemples.
Premier exemple, celui de la mobilité, dont nous savons l’importance dans notre pays, d’autant plus si l’on est attaché à la ruralité, à ces espaces peu denses où elle prend une acuité particulière.
Certes, il y a ceux qui pensent que la voiture serait, par nature, l’ennemi de la transition écologique, mais nous pouvons trouver des modes de déplacement qui permettent de préserver la liberté individuelle là où des transports en commun ne seraient ni pertinents ni efficaces au regard des densités de population.
C’est bien le souci de prendre en compte cette dimension sociale et d’accompagner les plus fragiles qui nous a conduits à mettre en place cette mesure permettant d’acquérir en leasing une voiture électrique. Ainsi, pour 100 euros par mois, c’est-à-dire le montant d’un plein, il sera possible de disposer d’un tel véhicule, ce qui permettra de répondre en partie aux impératifs d’une transition écologique solidaire. Je me félicite d’ailleurs du succès de ce dispositif – les réservations ne cessent de se multiplier –, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir dans les prochains jours.
Ensuite, j’évoquerai le logement, qui représente la première dépense des ménages.
Même si elle fait parfois l’objet de débats, qu’il s’agisse du calendrier fixé ou des contraintes retenues, la politique menée dans ce domaine ne doit pas nous faire oublier cette réalité : si nous luttons contre les passoires énergétiques, c’est d’abord pour rendre du pouvoir d’achat à ceux qui, parce qu’ils vivent dans des biens mal isolés, se retrouvent avec des factures dont le montant dépasse de très loin celui qu’ils acquitteraient si leur habitation avait fait l’objet de suivi et de travaux.
Quand deux logements ont deux classes d’écart au titre du diagnostic de performance énergétique (DPE), la facture énergétique varie du simple au double à la fin du mois. L’enjeu de cette politique n’est donc en aucun cas de contrarier les propriétaires, mais de résorber la facture énergétique acquittée des ménages et la facture climatique payée par notre pays.
En réduisant les consommations ou en soutenant la réindustrialisation, notre but est in fine de recréer, dans notre pays, des opportunités et des emplois. Et, dans ce domaine, je ne crains pas les comparaisons avec nos voisins : les politiques de transition écologique dans lesquelles nous sommes engagés se déploient non seulement à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle européenne. Elles sont encore parfois un peu timides, mais, à l’échelle mondiale, l’Europe a pris un train d’avance dans ce domaine, même si nous devons encore trouver le bon rythme.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la politique d’adaptation au changement climatique, à laquelle on pense souvent moins qu’aux politiques d’atténuation, est précisément à la croisée de chemins entre, d’une part, la préservation de nos paysages, de nos identités et de nos modes de vie et, de l’autre, le soutien à nos concitoyens les plus fragiles, envers qui nous avons un devoir de solidarité.
En ce sens, adapter notre pays à la perspective d’une France à +4 degrés, c’est d’abord se préoccuper de ceux qui seront les plus exposés si nous ne le faisons pas.
J’aurai certainement l’occasion de développer ces différents sujets au cours du débat.
Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.
Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Émilienne Poumirol.
Monsieur le ministre, nous sommes confrontés chaque année à des crises écologiques de plus en plus graves.
La France est l’un des dix États les plus exposés aux risques climatiques et ces événements ont des effets négatifs sur notre santé.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a ainsi identifié les principaux risques sanitaires que le changement climatique est susceptible de renforcer, qu’il s’agisse de la santé professionnelle, des maladies infectieuses, de la qualité de l’air, à laquelle de nombreux problèmes sont liés, ou de la santé mentale.
Les facteurs de risques environnementaux contribuent à la survenue d’au moins une centaine de pathologies et traumatismes, et ce sont les plus défavorisés qui supportent la plus forte charge de morbidité liée à l’environnement.
À titre d’exemple, la pollution atmosphérique affecte en priorité les personnes vivant dans des immeubles en bordure d’axes routiers très fréquentés et dans des zones industrielles, ou ceux qui vivent à proximité de sites et de sols pollués. Il s’agit bien sûr de nos concitoyens les plus défavorisés.
De plus, selon Unicef France, « les enfants pauvres sont généralement plus vulnérables à la pollution de l’air, parce qu’ils sont soumis au cours de leur vie à davantage d’expositions néfastes ».
Les défis environnementaux sont donc également des défis sociaux, qui touchent en priorité nos concitoyens les plus vulnérables et accroissent les inégalités.
Quelles politiques comptez-vous mettre en œuvre pour assurer la soutenabilité de notre système de santé face à l’aggravation des conséquences sanitaires liées au changement climatique ? Comment allez-vous préserver notre pacte social, qui doit garantir le droit à la santé pour tous ?
Madame la sénatrice – corrigez-moi si je me trompe : c’est également le médecin qui m’interroge sur ces sujets –, vous en conviendrez : il est difficile de répondre en deux minutes à des questions si vastes.
Créé en 2009, le groupe santé-environnement (GSE), qui associe les parlementaires, a précisément ce rôle : éviter autant que possible de scinder les différents sujets que vous évoquez. À l’inverse, il entend souligner les convergences qui existent entre eux et qui sont au cœur de nos réflexions.
J’ai le souvenir de plusieurs débats menés dans cet hémicycle, y compris sur les zones à faibles émissions (ZFE), au cours desquels je me suis efforcé de rappeler que le Gouvernement menait avant tout, non une politique environnementale, mais une politique de santé publique. J’ai ainsi pu insister sur les 40 000 décès liés à la mauvaise qualité de l’air, ainsi que sur les deux ans d’espérance de vie que perd en moyenne chaque Français à cause de ce phénomène, qui doit nous mobiliser.
C’est la même boussole qui nous a guidés dans l’élaboration du plan Eau.
À cause de la sécheresse, on a beaucoup parlé des problèmes de quantité d’eau, mais toute une partie du plan, présenté le 30 mars dernier, porte sur la qualité de cette ressource.
En effet, nos eaux ne sont de bonne qualité qu’à 44 % : moins il y aura d’eau, plus les risques de concentration des résidus augmenteront, avec de nombreux impacts sur la santé humaine. Voilà pourquoi nous devons accélérer notre transition en la tournant davantage vers les modèles agroécologiques : il y va tout simplement de la préservation de la santé et de notre équilibre démographique.
De même, il y a quelques semaines à Nairobi, nous nous sommes battus pour obtenir un traité sur l’élimination des plastiques. À son insu, chacun d’entre nous en ingère de grandes quantités, et pour cause : on en trouve partout. Ces nanoparticules, liées à l’émiettement d’un certain nombre d’emballages, notamment les sacs, finissent par coloniser la faune, la flore et nos propres organismes, ce qui n’est pas sans conséquence sur notre santé.
Nous sommes bel et bien au cœur des problématiques que vous évoquez. Il n’y a pas, d’un côté, une politique environnementale qui ne se préoccuperait pas de la santé et, de l’autre, une politique de santé qui ne se préoccuperait pas des questions d’environnement.
Les liens entre ces politiques, nous continuons de les renforcer. D’ailleurs, dès ce matin, j’ai commencé à échanger sur ces sujets avec ma collègue Catherine Vautrin.
Monsieur le ministre, il existe évidemment un lien très étroit entre santé et environnement. À ce titre, le concept One Hea l th a été développé il y a longtemps déjà.
Il existe bien les plans nationaux santé environnement (PNSE), mais je regrette que l’on poursuive souvent des politiques en silos. Chaque ministère suit sa propre feuille de route, …
Depuis plusieurs années, la transition écologique n’a cessé d’être mise en avant par les pouvoirs publics. Elle a été déclinée dans différents textes et dispositifs et plus personne ne conteste aujourd’hui sa nécessité, mais son efficacité dépend de la mise en œuvre concrète d’un certain nombre d’initiatives.
Monsieur le ministre, ma question porte plus précisément sur la rénovation des logements.
Tout d’abord, comment faire en sorte que nos concitoyens s’y retrouvent dans ce maquis d’aides et de dispositifs ? Ils ont besoin de la clarté ; or, pour l’heure, nous sommes face à un empilement illisible, fruit des annonces des gouvernements successifs, et l’accompagnement reste, lui, défaillant.
Un journal à grand tirage reconnaissait la semaine dernière que le réseau d’accompagnateurs agréés, Mon Accompagnateur Rénov’, ne permettait pas un suivi suffisant des chantiers : il se limite en effet à un appui administratif. Il n’y a pas de maître d’œuvre, alors que les travaux doivent être planifiés et supervisés.
Ensuite, on déplore un déficit de main-d’œuvre. Les artisans locaux ont du mal à recruter. Ils sont confrontés à la concurrence d’opérateurs malveillants et peu scrupuleux. Où sont les contrôles de nos services quand on constate des offres aussi malhonnêtes qu’alléchantes ?
Enfin, les nouveaux dispositifs proposés soulèvent des difficultés.
Telle qu’elle a été conçue pour 2024, MaPrimeRénov’ est trop restrictive : cette aide ne couvre pas tous les logements, ce qui conduira, pour certains ménages, à un reste à charge excessif. Elle impose aussi comme condition préalable un système de chauffage décarboné et la mixité énergétique est exclue. Pourtant, en prévision du développement du biogaz, il eût été logique de ne pas exclure les chaudières à gaz. Ce sont donc les ménages aux revenus les plus modestes qui sont écartés.
Comment toucher tous les territoires sans créer de disparités dans notre République, déjà si fracturée ? Comment aider nos communes à rénover leurs bâtiments ?
Dans le département dont je suis l’élue, avec le plan « Une nouvelle ambition pour les Ardennes », qui fait suite au pacte Ardennes, la région a pris les devants en décidant d’aider les communes et de former les habitants à la sobriété énergétique. Or de telles démarches font cruellement défaut à l’échelle nationale ; c’est une des raisons pour lesquelles la transition écologique peine à devenir à la fois populaire et concrète.
Monsieur le ministre, nous avons besoin d’une écologie de solutions et non de punitions. Je vous remercie par avance de votre réponse.
Madame la sénatrice Joseph, étant donné le thème de ce débat, je ne m’attarderai pas sur le cas des collectivités territoriales. Je rappelle toutefois que les crédits du fonds vert, comme les aides complémentaires annoncées en faveur des écoles, visent précisément à les accompagner. S’y ajoute le tiers-financement, qui devrait connaître un décollage cette année. On observe à ce titre de premières initiatives prises par Action Logement, par la métropole d’Orléans et par d’autres acteurs encore, pour mettre en œuvre ce dispositif permettant de lancer des chantiers sans avancer d’argent.
Pour ce qui concerne MaPrimeRénov’, quand on regarde d’où l’on vient, on mesure le succès remporté d’un point de vue quantitatif comme d’un point de vue social.
En 2017, c’était un crédit d’impôt dont les deux tiers étaient orientés vers les plus riches ; aujourd’hui, les deux tiers des sommes mobilisées sont orientés vers les plus pauvres, même si nous sommes face à un sujet que je ne méconnais pas, à savoir celui du reste à charge. Toujours est-il que MaPrimeRénov’ permet d’assurer 700 000 rénovations par an : c’est colossal.
On constate parfois des difficultés en matière de suivi ou l’embolisation de certains processus. Nous avons donc une double ambition en simplifiant l’attribution de cette aide : la rendre plus efficace et plus performante.
Au 1er janvier dernier, nous avons agi en ce sens, notamment en encourageant certains monogestes qui peuvent être utiles pour obtenir des résultats rapides à des coûts plus faibles. Ces dispositions doivent également favoriser des rénovations plus globales, permettant d’aller plus loin.
En parallèle, il faut créer un dispositif d’accompagnement, de suivi et de contrôle. Comment ? En décentralisant.
Mme Else Joseph acquiesce.
Je vous livre en toute franchise le fond de ma pensée : je souhaite que le projet de loi de décentralisation de la politique du logement permette de traiter la question de la rénovation énergétique, comme nous avons traité celle de la délégation des aides à la pierre.
Il ne s’agit en aucun cas d’obliger les territoires à exercer cette compétence. En matière de construction, nous avons dit aux acteurs territoriaux qui le souhaitaient : vous avez un objectif national et, en face, des budgets permettant de l’atteindre. Ce faisant, nous avons totalement transformé les choses. Or, dans le domaine de la rénovation énergétique, qui mieux qu’un maire ou un président de région pourra, demain, repérer celui qui n’est pas un margoulin ? Qui pourra mieux contrôler, vérifier, poursuivre le cas échéant et faire la promotion des dispositifs en vigueur ?
Je ne le dis pas parce que je suis au Sénat et parce que Gérard Larcher l’a rappelé ce soir même dans son discours de vœux, mais parce que j’en suis convaincu : c’est la solution si l’on veut accélérer.
Innovation technologique, la voiture électrique constitue une solution de mobilité décarbonée répondant à la nécessité de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre dans les transports.
Toutefois, l’interdiction de vente des véhicules thermiques à l’horizon 2035, prévue par l’Union européenne, pose la question du prix des voitures électriques.
Afin que le succès soit au rendez-vous, il paraît indispensable d’accompagner les ménages modestes dans l’acquisition d’un véhicule zéro émission.
Monsieur le ministre, nos transitions doivent être justes. Vous avez déjà évoqué le leasing des véhicules électriques : pourriez-vous nous préciser les dispositifs de soutien à l’achat mis en place en faveur de ces ménages ?
S’y ajoute un autre sujet d’importance pour les Français et notamment pour de nombreux professionnels : le calcul du barème kilométrique. Ne serait-il pas temps de réorienter ce dispositif afin que le critère de la puissance administrative s’adapte à nos objectifs environnementaux, ou du moins que celui-ci ne soit pas le critère le plus déterminant ?
En effet, de nombreux Français se déplacent pour leur travail, notamment dans le secteur de l’aide à la personne, ô combien indispensable à la Nation. En les privant d’accès à une déduction convenable, on les pénaliserait indirectement, à rebours de nos objectifs.
Enfin, je tiens à évoquer le retrofit.
Les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiennent cette pratique depuis longtemps, mais cette forme de conversion vers l’électrique a elle aussi un coût. Elle s’inscrit pleinement dans le panel de solutions qui s’offrent à nous et, pour ma part, je crois fortement en l’écocircularité des voitures déjà en service.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous détailler les évolutions, au 1er janvier 2024, de la prime au retrofit électrique ? Envisage-t-on de rendre cette pratique éligible au bonus écologique ?
Madame la sénatrice Bourcier, je l’ai rappelé dans mon propos liminaire, nous sommes face à un enjeu majeur : permettre les mobilités partout sur notre territoire. À ce titre, dès lors qu’il faut couvrir de longues distances ou desservir des territoires peu denses, la voiture est irremplaçable. J’ajoute que, dans certains secteurs, elle procure une liberté difficile à obtenir par d’autres moyens.
Notre dispositif d’aide se déploie à plusieurs niveaux.
Le leasing constitue la dernière nouveauté et nous aurons l’occasion d’y revenir. À cet égard, 25 000 véhicules seront proposés et, comme le prouvent les réservations, la demande est très supérieure à l’offre. Pourquoi se limiter à 25 000 ? Parce que – vous avez vous-même plaidé en ce sens – nous réservons le bonus aux véhicules fabriqués en France ou en Europe pour éviter que l’argent public n’aille financer des produits fabriqués en Chine, qui dégradent notre balance commerciale et ont un impact écologique.
Nous déployons deux dispositifs complémentaires : le bonus et la prime à la conversion, éligibles pour les cinq premiers déciles et pour les gros rouleurs. Le bonus peut aller jusqu’à 7 000 euros, la prime à la conversion jusqu’à 6 000 euros. Si vous vivez dans une ZFE, vous pouvez obtenir un complément et recevoir, dès lors, jusqu’à 14 000 euros de soutien.
Enfin, je tiens à m’arrêter un instant sur le retrofit.
La fabrication concentre 80 % de l’empreinte environnementale d’un véhicule. Prolonger un véhicule en changeant son moteur, c’est donc faire de grandes économies de matériaux et d’énergie. C’est un moyen de réduire rapidement les émissions.
En la matière, nous sommes face à une difficulté. Certains constructeurs objectent que les crash tests ont été effectués sur des véhicules thermiques. Ils rechignent à donner les garanties permettant de conduire à leur terme une partie de ces évolutions, le développement de la filière s’en trouvant parfois compliqué.
Cela étant, les choses bougent, notamment sous l’impulsion des consommateurs, et nous allons vers la démocratisation de ce dispositif. Non seulement des aides sont possibles, mais les prix baissent à mesure que les offres d’occasion se multiplient.
Jusqu’à présent, peu de Français achètent des voitures électriques neuves ; à terme, le marché de l’occasion a vocation à prendre toute sa place pour accélérer cette transition.
Monsieur le ministre, la transition écologique implique nécessairement de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, ce qui requiert des investissements considérables : il s’agit par exemple de construire des centrales nucléaires, des parcs éoliens et photovoltaïques.
Le corollaire de ces investissements, c’est l’augmentation significative et durable de nos factures d’énergie, ressentie plus durement encore par nos concitoyens en situation de précarité.
Le chèque énergie constitue, à cet égard, un début de réponse, mais ce dispositif pourrait être grandement amélioré.
Tout d’abord, il faudrait faire en sorte qu’il suive l’évolution des factures d’énergie de nos ménages.
Ainsi, leur renchérissement appelle un rehaussement du chèque énergie, dont le montant ne représente en moyenne, selon la Fondation Abbé-Pierre, que 9 % de la facture énergétique annuelle des Français en 2022. À l’occasion de la journée contre la précarité énergétique, nombre d’associations l’ont d’ailleurs signalé : le seuil pour bénéficier du chèque énergie est désormais inférieur au seuil de pauvreté, ce qui justifie son relèvement.
En outre, près d’un ménage sur cinq n’utilise pas le chèque énergie qu’il reçoit et le taux de non-recours semble stagner. Il faut simplifier ce dispositif pour massifier son utilisation.
Enfin, il faut aujourd’hui occuper un logement imposable à la taxe d’habitation pour bénéficier du chèque énergie. La taxe d’habitation sur les résidences principales ayant totalement disparu en 2023, il paraît essentiel d’adapter le dispositif en y associant les parties prenantes.
Monsieur le ministre, quelles évolutions le Gouvernement entend-il apporter à ce dispositif utile, mais perfectible ?
Madame la sénatrice Saint-Pé, je vous remercie de votre question.
L’évolution de notre mix énergétique est évidemment souhaitable pour des raisons climatiques – sortir des énergies fossiles, c’est bon pour la planète –, mais elle aura aussi un impact sur le pouvoir d’achat, et ce pour une raison simple : nous n’avons pas la maîtrise d’énergies que nous ne produisons pas.
Qu’il s’agisse du gaz naturel ou du pétrole, nous dépendons de pays tiers, qui, de surcroît, ne sont pas des démocraties ; nous leur achetons leurs productions à des prix élevés, dépendant fortement d’un contexte géopolitique, qui – cela ne vous a pas échappé – devient de plus en plus inquiétant. D’ailleurs, c’est moins la transition écologique que la guerre en Ukraine qui a fait exploser une partie des prix, même si, dans un monde où nous sommes de plus en plus nombreux et où les sources d’énergies fossiles se contractent, la tendance est par nature inflationniste.
Décarboner, que ce soit pour aller vers l’énergie nucléaire, que nous produisons nous-mêmes et qui a l’avantage d’être pilotable, ou vers les énergies renouvelables, dont je souligne toute l’importance, c’est aussi aller dans le sens d’une politique plus sociale.
Au sujet du chèque énergie, les décrets d’attribution du nouveau gouvernement seront pris dans quelques jours. Ils assureront notamment la répartition entre l’énergie et le climat, entre ce qui relève de la production, avec, potentiellement, des mesures de soutien octroyées par Bercy, et ce qui relève de l’efficacité et de la sobriété énergétiques, c’est-à-dire du ministère de l’écologie ; aussi, je ne serai peut-être pas votre interlocuteur durable sur ce dossier.
En 2023, le taux d’usage du chèque énergie s’élève à 78, 5 %, ce qui signifie qu’un peu plus de 20 % des bénéficiaires potentiels n’y ont pas recours. Nous devons donc mener un premier effort au titre de l’information. Il nous faut travailler sur les circuits de l’information, sur la manière d’accorder ces aides et d’accompagner leurs bénéficiaires.
Au-delà, vous m’interrogez sur le montant de ce chèque. L’enjeu, pour nous, est non pas d’accompagner des factures qui augmentent, mais bel et bien de les réduire, ce qui suppose de diversifier nos sources de production d’énergie.
Il me serait difficile d’être beaucoup plus précis ce soir.
Monsieur le ministre, tout d’abord, je tiens à remercier nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de poser le débat en ces termes.
Les écologistes le savent bien, la transition écologique ne peut se faire sans un pacte social à la fois solide et fort, car écologie et social sont les deux faces d’une même pièce : celle de la transition.
Pour réussir la transition écologique, nous devons donc répondre aux grands défis sociaux qui se présentent à nous : la mutation du travail et la transformation de l’économie, l’accès à une alimentation saine et le renforcement de nos services publics de santé, d’éducation et de logement, car les services publics sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.
Nous devons aussi assumer notre devoir de solidarité intergénérationnelle.
Notre génération a une responsabilité, non seulement envers les générations futures, mais aussi et surtout envers notre jeunesse, une jeunesse précarisée et vulnérable, ici et aujourd’hui.
Nous ne pouvons pas exclure les plus jeunes d’un développement sain et pérenne.
Les chiffres sont sans appel : les moins de 30 ans subissent le taux de pauvreté le plus élevé, loin devant les autres groupes d’âge.
Notre jeunesse fait face à deux crises : la crise climatique et la crise économique.
Dans une étude publiée en juin 2023, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) révèle que les jeunes âgés de 15 ans à 25 ans sont très pessimistes face à la crise environnementale et même, bien souvent, fatalistes. À ce titre, l’urgence n’est vraiment pas à l’uniforme à l’école…
Pour concilier le bien-être de la jeunesse et la lutte écologique, nous aurons besoin de moyens.
Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à subordonner les aides publiques aux entreprises à leur impact écologique, afin de dégager des moyens pour les politiques sociales de la transition ?
En outre, quelles politiques sociales et environnementales entendez-vous mettre en œuvre pour la jeunesse ?
Madame la sénatrice Guhl, vous me posez vous aussi des questions extrêmement larges, auxquelles je vais m’efforcer de répondre de la manière la plus concise possible.
Accompagner notre jeunesse, c’est la former aux questions et aux enjeux que vous évoquez. Si l’on veut lutter contre l’écoanxiété, il faut bien sûr agir, mais il faut aussi éviter d’entretenir une forme d’écolo-défaitisme, laissant à penser, par exemple, que l’on ne fait rien ou que l’on n’obtient pas de résultat.
Bien sûr, je ne prétends pas que le Gouvernement fait tout bien. Mais si l’on ne braque jamais les projecteurs sur les actions mises en œuvre, sur les émissions que nous baissons ou sur les succès que nous avons obtenus ; si on laisse croire que les politiques conduites et les efforts engagés ne valent rien, on dissuade les gens d’agir. On alimente ainsi l’écoanxiété tout en prétendant la combattre.
Voilà pourquoi il faut insister sur les 4, 6 % de baisses d’émissions obtenus au titre de l’année écoulée. Il faut rappeler que la France est le premier pays au monde à avoir interdit la vaisselle jetable dans la restauration rapide, que notre jeunesse fréquente tout particulièrement. Il faut valoriser les décisions que nous avons prises, y compris au sujet de la voiture thermique. C’est un moyen concret de lutter contre l’écoanxiété.
De même, nous devons réviser une partie des programmes scolaires et créer des modules à l’université, sur la base du rapport Jouzel, pour donner un certain nombre d’éléments à nos élèves et à nos étudiants.
De plus, nous devons proposer des leviers pour agir, par exemple à travers le service national universel (SNU) ou le service civique. Il faut encourager les engagements en direction de la nature, répondant aux préoccupations des jeunes et permettant à ces derniers d’agir concrètement, l’action étant un moyen de lutter contre la désespérance.
En parallèle, il y a les politiques sociales, qui, comme vous le suggérez, ne sont que le recto ou le verso de la page où se trouve inscrite la transition écologique.
En permettant d’offrir un avenir économique et des perspectives à nombre de nos jeunes, la lutte pour le plein emploi et la réindustrialisation de notre pays est un moyen de rompre avec le défaitisme. La transition écologique est pleine de potentialités économiques : elle permet de relocaliser des activités et d’en créer d’autres. Elle est gage d’une amélioration de la qualité de vie dans son ensemble, qu’il s’agisse de changer de rythme, de renouer avec une forme de simplicité ou de retrouver des espaces de compétitivité que nous avons perdus au fil des délocalisations à l’autre bout du monde.
Monsieur le ministre, les phénomènes météorologiques extrêmes se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu. L’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée dans l’histoire ; à l’évidence, une véritable bifurcation écologique s’impose à nous.
Nous devons réduire immédiatement nos émissions de gaz à effet de serre, faute de quoi nos perspectives de réchauffement bondiraient de 1, 5 à 4 degrés, ce qui nous ferait plonger dans l’inconnu.
Ce grand défi qu’est la lutte contre le changement climatique ne pourra être relevé que par la coopération internationale et dans la justice sociale. Voilà pourquoi il faut accompagner nos concitoyens les plus modestes.
Une transition juste implique de demander davantage d’efforts à ceux qui le peuvent ou qui polluent le plus. Elle doit donner, en même temps, les moyens à l’ensemble des Français de réduire leurs émissions tout en vivant mieux. Or, aujourd’hui, la montée des inégalités sociales place l’abondance pour quelques-uns devant le confort pour tous et devant, précisément, le pouvoir de vivre.
Au lieu des ZFE, nous proposons la gratuité des transports collectifs urbains ; l’investissement massif dans la rénovation thermique globale des logements, en accompagnant non seulement les propriétaires occupants les plus modestes, mais aussi les bailleurs sociaux ; le développement d’une alimentation plus saine, en soutenant l’agriculture durable et nos agriculteurs par l’intervention publique sur les prix.
Monsieur le ministre, l’urgence est là. En cette seconde partie du quinquennat, comptez-vous relever ce défi historique par une plus juste répartition de la valeur, quand on sait que les entreprises du CAC 40 ont battu l’année dernière le record des dividendes distribués, à hauteur – excusez du peu ! – de 97 milliards d’euros ?
Mme Cécile Cukierman et M. Franck Montaugé applaudissent.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, je vous remercie de m’avoir posé cette question et d’avoir su ménager la surprise jusqu’au bout !
Sourires.
Oui, nous devons massifier nos efforts : c’est très exactement le sens du rapport que Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz ont remis au Gouvernement. C’est le sens des 10 milliards d’euros de crédits supplémentaires accordés à la transition écologique pour l’année 2024, effort tout bonnement historique ; c’est le sens du fonds vert et des 2, 5 milliards d’euros mis à disposition des collectivités territoriales. Il faut s’en féliciter, même si, dans bien des cas, nous ne faisons que gravir de premières marches.
Vous souhaitez demander plus à ceux qui peuvent faire plus : ce n’est absolument pas quelque chose qui me choque. De manière générale, plus on a de pouvoir ou de responsabilités, plus on doit être capable d’agir. Cela étant, il faut intervenir de manière intelligente.
Ce matin, aux côtés d’Action Logement, j’ai salué la nouvelle convention quinquennale de 14, 4 milliards d’euros, qui va permettre à cet opérateur de décarboner 55 % de son parc. Nous parlons bien là d’un parc social.
En outre, une enveloppe de 1, 2 milliard d’euros a été négociée par Patrice Vergriete avec l’Union sociale pour l’habitat (USH) afin d’accélérer les travaux de rénovation à l’échelle des copropriétés sociales.
Quant au projet de loi relatif aux copropriétés dégradées, qui arrivera lundi prochain en discussion, il permettra aux maires de disposer de leviers au sein des copropriétés dont les difficultés sont connues. Grâce à ce texte, on pourra également se dispenser d’obtenir l’unanimité pour faire des travaux de rénovation énergétique répondant à de véritables besoins et permettant de soulager les factures.
Vous citez, entre autres chantiers, la gratuité pour tous des transports publics urbains : c’est un sujet beaucoup moins consensuel que ceux que je viens d’évoquer. Plusieurs grandes villes, y compris de gauche, considèrent que ce n’est ni une politique sociale ni une urgence.
La véritable urgence, c’est l’investissement dans l’offre et dans la fréquence. Il est très rare que l’on renonce aux transports en commun du fait de leur prix : il y a partout des politiques sociales. En revanche, certaines personnes ne peuvent les prendre, car l’offre est insuffisante : il n’y a pas assez de bus ou de trams, ou alors ils ne circulent pas aux bons horaires. J’ajoute que certains usagers ne s’y sentent pas en sécurité.
À mon sens, mieux vaut investir dans le service que de baisser les prix, sur les modèles lyonnais, strasbourgeois ou angevin : la transition écologique progressera davantage. Il s’agit précisément de mener une politique sociale sur les prix tout en augmentant l’offre disponible.
Monsieur le ministre, l’empreinte carbone des 10 % les plus riches de notre pays est au moins sept fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres.
Je vous renvoie aux constats dressés par l’organisation non gouvernementale (ONG) Oxfam : dans un tel contexte, des réformes fiscales justes pourraient permettre de dégager 88 milliards d’euros par an tout en préservant le pouvoir d’achat de 70 % des Français les plus modestes.
À l’heure où les banques continuent à financer les énergies fossiles, nous ne pourrons répondre à l’urgence climatique sans le courage de sortir de ce capitalisme financier, qui concentre les richesses et nuit à notre souveraineté économique comme au climat.
Applaudissements sur des travées des groupes CRCE-K et SER.
L’État vient de lancer une offre de location longue durée de véhicule électrique à bas prix. Ce leasing social connaît un franc succès, 80 000 dossiers ayant déjà été déposés.
Au-delà de son caractère attractif, l’offre suscite un engouement, qui s’explique notamment par les immenses besoins de mobilité solidaire et écologique dans les zones rurales.
Dans ces territoires, où le revenu par habitant est moins élevé qu’ailleurs, et où la voiture reste indispensable, des innovations se mettent en place. Dans le bassin de Riom – le maire de cette ville est en tribune ce soir –, situé dans mon département, la communauté de communes Chavanon Combrailles et Volcans a ainsi lancé un réseau solidaire de mobilité. Celui-ci permet de mettre en relation des bénéficiaires et des bénévoles propriétaires d’une voiture – des retraités disponibles ou des actifs –, qui effectuent le même trajet tous les jours et qui se proposent de covoiturer.
Ils sont actuellement vingt-neuf à transporter soixante-cinq bénéficiaires. En général, ces derniers sont plutôt âgés, non titulaires du permis de conduire ou désormais incapables de conduire. Souvent, ils souhaitent se rendre à des rendez-vous médicaux.
Dans ce territoire, composé de trente-six villages de faible densité, la mise en place de lignes de transport en commun régulières est inenvisageable.
Plus souple et plus agile, cette plateforme a été décidée à la suite de la prise de compétence mobilité par les petites intercommunalités permise par la loi d’orientation des mobilités, et financée dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté.
D’autres initiatives ont été mises en place, mais la multiplication de telles innovations nécessite d’instaurer un portail unique national recensant les offres de mobilité solidaire et partagée.
Monsieur le ministre, vous le savez, la réduction de la place de la voiture individuelle est un enjeu écologique et de santé majeur.
Or le leasing électrique proposé par le Gouvernement ne permettra pas de répondre à tous les besoins, notamment à ceux des classes moyennes, qui souffrent aussi de l’inflation.
J’aimerais donc savoir si d’autres projets sont envisagés par le Gouvernement pour faire face à l’enjeu de la mobilité en zone rurale.
Monsieur le sénateur Gold, j’ai plusieurs éléments de réponse à vous apporter.
Tout d’abord, vous prenez l’exemple de villages où il n’y a manifestement pas de solutions de substitution. À cela, je réponds que la réouverture de petites lignes ferroviaires peut être une solution dans certains territoires, à condition de faire des travaux de régénération des voies.
Les budgets en la matière n’ont cessé de diminuer depuis le milieu des années 1980 ; ils n’ont augmenté de nouveau qu’à partir de 2017 ! Encadré par le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) et financé par le plan ferroviaire à 100 milliards d’euros, cet effort apportera des réponses.
Ensuite, je peux citer le plan France Ruralités, qui prévoit notamment la création d’un fonds de 90 millions d’euros pour soutenir les autorités organisatrices de mobilité en milieu rural. Présenté par la Première ministre voilà quelques mois, il sera déployé au cours de cette année.
Il y a également le fonds vert et le plan national covoiturage qui ont déjà permis d’accompagner concrètement presque une centaine de territoires en 2023, année de leur mise en œuvre.
Enfin, j’irai plus loin : le secteur des transports représente 30 % des émissions de CO2 de notre pays. On voit bien l’intérêt de massifier le transfert des voitures thermiques vers l’électrique, ce qui prend du temps.
On voit surtout l’intérêt d’investir dans la décarbonation en tenant compte de la réalité vécue dans nos territoires. La planification écologique est justement entrée dans une phase où les territoires eux-mêmes – et non Paris ! – évaluent leurs besoins pour baisser leurs émissions.
J’ai eu l’occasion de me rendre en Auvergne-Rhône-Alpes ; il me reste trois ou quatre COP territoriales à installer pour que, partout en France, chaque bassin de vie fasse remonter, d’ici à juillet prochain, leurs besoins pour accélérer leur décarbonation.
L’objectif est de disposer de ces éléments d’ici le milieu de l’année 2024, au moment où l’on bâtira le projet du budget de l’année 2025. Il s’agit de poursuivre la trajectoire de soutien à la transition écologique, en fonction non pas de ce qui semble juste depuis Paris, mais de la réalité des besoins, évaluée à l’échelle des territoires.
M. Loïc Hervé se montre dubitatif.
Dans certains endroits se posera peut-être la question des friches, dans d’autres celle de la mobilité, dans d’autres encore celle de la relocalisation.
L’enjeu, c’est d’écouter les territoires. Vous nous y encouragez en vous faisant le porte-parole ce soir du bassin de Riom, monsieur le sénateur.
Je veux tout d’abord remercier nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain pour l’inscription de ce débat à l’ordre du jour.
L’acceptabilité et la faisabilité sociales de la transition écologique sont des sujets fondamentaux.
À ce propos, je citerai en préambule un extrait d’un article paru en 2021, intitulé « Les classes populaires et l’enjeu écologique » : « Paradoxalement, les classes populaires glanent moins de profits symboliques de la valorisation publique de l’enjeu environnemental que les catégories sociales privilégiées, alors même qu’elles contribuent moins aux pollutions et en souffrent plus. »
Il est important, je crois, de rappeler ce point à ceux qui tiennent des discours reçus par beaucoup comme moralisateurs, alors qu’ils connaissent des niveaux de vie difficilement compatibles avec des prises de parole culpabilisantes.
Monsieur le ministre, faisant suite à une étude de l’Institut de l’économie pour le climat, le journal Les Échos a dressé le constat suivant en octobre dernier : « Les aides publiques à la rénovation thermique des logements et à l’acquisition d’une voiture électrique deviennent enfin compatibles avec le portefeuille des Français. »
L’évolution prévue de MaPrimeRénov’ fait reculer le reste à charge pour la rénovation d’un logement. Le leasing social envisagé pour l’achat d’une voiture électrique représente également une avancée considérable : afin d’atteindre l’objectif d’une « écologie accessible et juste », fixé par le Président de la République, le Gouvernement a proposé la solution du leasing d’une voiture électrique à 100 euros par mois.
Monsieur le ministre, pourriez-vous revenir en détail sur cette proposition, son périmètre et sa montée en puissance envisagée ?
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, j’aurais presque envie non pas de répondre à votre question, mais d’acquiescer, en vous invitant à utiliser les deux minutes de mon temps de parole pour que vous développiez votre propos !
Sourires.
Plus sérieusement, au moment où je vous parle, certaines innovations prometteuses se sont concrétisées à un niveau de prix permettant de faciliter leur généralisation.
Sans faire de long discours, je dirai simplement que la planification écologique à la française ne repose pas sur des innovations qui n’existent pas – ce n’est pas du technosolutionnisme, l’exemple de la voiture électrique le prouve.
Nous considérons en effet que l’effort pour diminuer nos émissions doit résulter à 20 % de changements de comportement individuel, à 60 % du développement de solutions déjà existantes, comme le recours à la voiture électrique, et à 20 %, enfin, d’espérances ou d’innovations, notamment en matière de transport, à l’instar des possibilités offertes par l’hydrogène pour des véhicules lourds ou par les autoroutes électriques.
Le leasing répond à deux ambitions. Premièrement, il s’agit de soutenir la transformation de notre industrie automobile. Si nous n’avions rien fait, nous aurions pris le risque d’être submergés par des produits venus du bout du monde, en particulier de Chine.
Nos concitoyens prennent aujourd’hui le virage de l’électrique, et ce malgré certains discours : chaque mois, le taux d’immatriculation de voitures électriques ou hybrides augmente. Ainsi, le taux de 20 % a été franchi au cours du mois dernier ; les taux atteints en 2023 sont des points hauts historiques.
On le sait, en raison du reste à charge, certaines personnes ne peuvent pas financer ces voitures, et ce malgré les aides de 14 000 euros que j’ai évoquées précédemment.
Deuxièmement, il s’agit de répondre à la promesse du candidat Emmanuel Macron à sa réélection. Le leasing à 100 euros est donc un engagement qui se concrétise, un garde-fou ayant toutefois été mis en place : l’empreinte carbone des véhicules doit les rendre éligibles à ce dispositif. Ils doivent donc être fabriqués en Europe.
De plus, il s’agit d’un contrat de location d’une durée de trois ans, lequel ne prend pas en compte le coût de l’assurance. Le dispositif s’appuie évidemment sur les revenus des personnes, car il relève bien d’une politique sociale.
Plus on avancera dans le temps, plus l’offre disponible sera importante, aussi bien en nombre qu’en modèles. Du reste, les véhicules d’occasion vont arriver, ce qui permettra une démocratisation de l’électrique, dans le sillage de cette mesure emblématique.
Mme Cécile Cukierman se montre dubitative.
En 2023, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a publié son rapport annuel sur l’état de la France en l’intitulant ainsi : Inégalités, pouvoir d ’ achat, écoanxiété : agir sans attendre pour une transition juste.
Ce rapport évalue la capacité des Français et des Françaises à adhérer à l’appel aux efforts individuels et collectifs pour relever le défi de la transition écologique.
Sans surprise, l’écoanxiété s’installe, accentuée par la barrière financière, qui empêche de s’engager réellement dans la transition écologique.
Nous attendions beaucoup de la loi de programmation sur l’énergie et le climat, qui devait être présentée avant le 1er juillet 2023.
À la place, et avec près de six mois de retard, un projet de loi relatif à la souveraineté énergétique est en train de voir le jour.
Alors qu’il devait aborder la question du financement de la transition écologique, public comme privé, et la décliner en une trajectoire financière pluriannuelle ayant valeur d’engagement financier des parties, le texte qui nous est proposé ne concernera finalement que la production énergétique.
Monsieur le ministre, avez-vous abandonné l’idée d’une loi de programmation ?
Comptez-vous prendre en considération l’inégalité flagrante pesant sur les ménages pauvres et modestes, lesquels doivent assumer les hausses de dépenses contraintes liées au changement climatique ? Quelles sont les propositions de ce gouvernement en la matière ? Ainsi, que ferez-vous pour les plus modestes, qui seront confrontés à l’augmentation de 10 % du coût de l’électricité à venir ?
Le taux d’effort, qui représente le ratio entre les dépenses liées à la transition écologique et le revenu du ménage, n’est pas le même pour toutes et tous. Il faut donc travailler sur cette inégalité. C’est ce que j’ai fait lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, en soutenant, par exemple, le rééquilibrage de la charge fiscale de l’eau pesant sur les différentes catégories de redevables et dont le coût repose aujourd’hui essentiellement sur les ménages. Le plan Eau devait théoriquement en profiter !
Le dérèglement climatique soulève aussi une question de justice sociale. Il est donc essentiel que nous disposions d’une feuille de route claire et partagée.
Mme Colombe Brossel applaudit.
Notre pays, au moment où nous parlons, est le seul à avoir arrêté une planification.
Après avoir fourni un important travail nous permettant de disposer d’un document sérieux – il ne s’agit pas d’une simple compilation avec de belles couleurs et de beaux tableaux –, nous devons maintenant faire franchir d’autres étapes à cette planification : premièrement, sa territorialisation ; deuxièmement, sa trajectoire de financement, que vous avez appelée de vos vœux.
Monsieur Gillé, je veux croire que ce qui vous importe est non pas la date de la présentation du dispositif, mais sa cohérence et son ambition.
Le temps que l’on prend entre l’établissement de la planification nationale et sa déclinaison de l’échelle régionale à celle du bassin de vie, en associant l’ensemble des élus locaux, ne me semble pas perdu. C’est cette démarche qui nous permettra d’identifier les endroits où nous devrons accentuer nos efforts et de choisir les lignes budgétaires appropriées.
Des équilibres économiques vont être trouvés en matière de transition écologique, car le coût de l’inaction ou l’explosion des factures va nécessairement pousser certains acteurs à accélérer leur décarbonation.
La performance de l’industrie – elle est remarquable, regardons les baisses d’émissions ! –, est liée non pas simplement à la soudaine prise de conscience citoyenne de la nécessaire décarbonation, mais surtout aux exigences des clients et aux effets économiques de la dépendance aux énergies dont on ne maîtrise pas la production.
L’argent public, par nature limité, doit être concentré sur les impasses de financement. Je pense aux transports publics : il s’agit d’élaborer des politiques tarifaires pour accompagner les plus fragiles. Je pense également à la nécessité d’ajuster à ces évolutions les politiques ad hoc, à l’instar du chèque énergie évoqué par Denise Saint-Pé.
En même temps, on ne peut pas laisser penser que l’argent public sera la réponse à tout. Celui-ci doit être ciblé, en assumant ce ciblage, sur le fondement d’un diagnostic territorial fin, que nous sommes en train d’établir.
Il va sans doute falloir réinventer la manière dont on mesure le taux d’effort.
Pour cela, il faudra associer les caisses d’allocations familiales (CAF) et les conseils départementaux, organisations les mieux placées pour accompagner les plus modestes.
Je vous propose d’ouvrir ce chantier, monsieur le ministre.
Je remercie également nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’avoir pris l’initiative de ce débat de société, qui englobe beaucoup de sujets.
C’est vrai, la transition écologique représente, en masse financière, un budget très important, ce que l’on constate lors de l’examen de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », au cours de l’examen du projet de loi de finances.
J’aurais pu intervenir sur d’autres sujets, mais je me contenterai d’aborder celui qui m’anime régulièrement dans cet hémicycle : les transports publics ferroviaires.
Je connais l’engagement de l’État en la matière, notamment en faveur des petites lignes de fret, qu’il s’agisse des lignes capillaires ou des autres.
Certaines personnes utilisent très souvent les transports publics, notamment ferroviaires, quand d’autres, inconditionnelles de la voiture, les prennent très rarement.
Cela soulève des problèmes de desserte et de tarification, mais également de moyens humains : le problème de la sécurité dans les transports est souvent mis en évidence.
Les trains express régionaux (TER) relèvent de la compétence des régions.
Il y a de moins en moins de contrôleurs et d’agents au service des usagers. Dans les gares du département des Ardennes – j’associe ma collègue Mme Joseph à ce constat –, il n’y a plus grand monde pour aider et guider. Or tout le monde ne comprend pas les distributeurs, qu’ils fonctionnent ou non ; parfois, ils ne prennent pas les cartes, ou les rejettent ! Il importe pourtant de garder ce lien humain.
Tous ceux qui vous connaissent savent qu’il s’agit d’un combat non pas d’une soirée, mais d’une existence, si j’ose dire.
Notre pays est riche de ses 29 000 kilomètres de voies ferrées, un patrimoine unique.
Le choix de tout investir dans les grandes lignes a détérioré une partie du service et il est très compliqué de rattraper le retard.
Vous avez cité, à juste titre, le problème du capital humain, qui s’ajoute à celui du capital financier : il faut conduire des études, les accompagner, retrouver des capacités industrielles. Il ne suffit pas d’inscrire une somme dans un projet de loi de finances pour que les travaux se fassent. Il faut respecter le délai des études, assurer la complétude et la cohérence des lignes.
Quand on voit le montant des investissements rendus nécessaires par la réouverture de quelques trains de nuit – je pense aux lignes Paris-Berlin ou Paris-Aurillac – ou l’amélioration du service, on mesure bien que nous sommes appelés à un véritable sursaut national pour retrouver une desserte fine du territoire.
L’engagement budgétaire acté par la Première ministre Élisabeth Borne, qui sera évidemment confirmé par Gabriel Attal, s’élève à 100 milliards d’euros. Cet effort est l’une des pierres angulaires de notre politique de décarbonation.
Vous avez cité le fret ferroviaire : avec 10 % des marchandises transportées par des trains de fret, nous sommes près de deux fois en dessous de la moyenne européenne. Un excellent rapport d’information du Sénat en la matière propose, pour augmenter la part du fret, non seulement d’investir dans les rails, mais également de se préoccuper de la rénovation des plateformes, des systèmes de compatibilité entre les compagnies qui assurent ces services et de l’élargissement des chaînes d’intermodalité.
Enfin, il faut noter le travail de l’opérateur. De ce point de vue, les niveaux historiques de fréquentation témoignent de l’appétence de plus en plus grande de nos concitoyens pour ce mode de transport, le plus décarboné.
Aussi, il nous revient, en lien avec la SNCF et l’ensemble des parties prenantes, de proposer aux voyageurs une expérience client, si j’ose dire, qui allie la propreté et la sécurité à la promesse écologique que le train représente encore.
Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur la diminution de 30 % des aides MaPrimeRénov’ pour le chauffage au bois.
Près de 7 millions de foyers français, soit environ un quart de la population, se chauffent au bois. Plus de 90 % des installations de chaudières à bois visent à remplacer une chaudière au fioul ou au gaz. En 2022, l’installation de poêles à granulés était la troisième installation la plus financée par le dispositif MaPrimeRénov’.
En parallèle, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit le doublement des logements chauffés par de la biomasse solide, principalement du bois, à l’horizon de 2028.
Pourtant, à compter du 1er avril 2024, les forfaits MaPrimeRénov’ pour l’installation d’équipements de chauffage fonctionnant au bois vont baisser de 30 %. Cette baisse est d’autant plus paradoxale qu’elle ne se justifie ni sur le plan environnemental ni sur le plan sanitaire.
D’un point de vue environnemental, en France, l’ensemble du bois prélevé pour le chauffage, mais aussi pour le papier et la construction, est largement inférieur à l’accroissement de la forêt.
D’un point de vue sanitaire, un plan d’action gouvernemental a vu le jour en 2021, ayant pour objectif de réduire de 50 % les émissions de particules fines liées au chauffage au bois domestique d’ici à 2030. Cela passe notamment par le remplacement des appareils anciens et l’installation d’équipements performants.
La baisse des aides MaPrimeRénov’ semble donc contraire à l’urgence de la décarbonation du chauffage, surtout dans les territoires ruraux et périurbains, où près de la moitié des foyers ont recours à ce type de chauffage domestique.
Au regard de ces considérations, pouvez-vous nous éclairer, monsieur le ministre, sur les raisons ayant conduit à baisser les aides aux chaudières à bois ?
Pouvez-vous également préciser la place que le Gouvernement entend donner au chauffage au bois dans la transition écologique des ménages ?
Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui n’est pas la plus simple !
Nous n’avons évidemment rien contre le chauffage au bois. Vous avez raison de le signaler, aujourd’hui, la part du chauffage au bois est loin d’épuiser la biomasse produite dans notre pays.
Néanmoins, si tous les Français se chauffaient au bois, la situation ne serait pas exactement la même. Vous l’avez rappelé en évoquant le plan d’action pour réduire de 50 % les émissions de particules fines du chauffage au bois domestique, publié en 2021, la question de l’émission des particules fines ne se pose pas de la même manière selon que l’on se trouve dans un espace peu dense ou en pleine ville. D’ailleurs, de grandes villes, particulièrement des capitales ou des mégapoles d’Amérique du Nord, ont interdit pour cette raison le chauffage au bois. Dans certains autres territoires, des restrictions peuvent exister.
Mais ce n’est pas ce qui nous a poussés à faire évoluer le dispositif MaPrimeRénov’. Vous l’avez dit, un plan d’action vise à favoriser les foyers fermés et à rappeler aux Français les bonnes pratiques, par exemple éviter de brûler du bois humide, car c’est la façon d’allumer le feu qui provoque ou non l’émission de particules fines. Vous êtes un spécialiste, donc ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre.
Le niveau des aides MaPrimeRénov’ était élevé, parce que, au moment de la crise ukrainienne, le tarif des pellets et du bois avait grimpé à des niveaux sans commune mesure avec ceux auxquels ils sont désormais revenus aujourd’hui. Certains avaient en effet profité de la guerre en Ukraine pour multiplier par deux, trois, voire quatre, le tarif des pellets ! D’ailleurs, dans ce contexte, la Haute Assemblée avait souhaité instaurer un chèque et un dispositif spécifique de soutien pour le bois.
Malgré la baisse de 30 % des aides, le chauffage au bois n’est pas exclu du bouquet des dispositifs éligibles au dispositif MaPrimeRénov’. On souhaite simplement ne pas inciter les Français à choisir davantage le bois que les pompes à chaleur, parce que si tout le monde faisait ce même choix, cela poserait un problème de bouclage sur la biomasse.
Dans les zones plus denses, il s’agit d’aller vers des modes de chauffage moins émetteurs. Nous souhaitons cependant soutenir le chauffage au bois, auquel nous croyons, en continuant de l’accompagner, avec une baisse du niveau de subventions à l’investissement.
Du reste, son faible coût de fonctionnement lui permet d’être compétitif économiquement et écologiquement sur le long terme.
Monsieur le ministre, l’accès à un logement abordable et digne est un droit fondamental.
Pourtant, le secteur du logement subit l’explosion des inégalités, confirmée par les chiffres. Le logement représente jusqu’à 40 % des dépenses contraintes des ménages les plus pauvres, 37 % des passoires énergétiques sont occupées par des ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté, et plus de 5 millions de logements sont des passoires thermiques, classées F ou G.
La vulnérabilité énergétique est particulièrement prégnante dans les territoires ruraux. Le logement étant pour nombre de ménages le premier poste de dépenses, leur pouvoir de vivre se résume à choisir entre payer le loyer ou se nourrir correctement !
L’État est l’un des responsables de cette situation, en raison de son désengagement depuis 2017. Il est même allé plus loin dans l’injustice sociale avec une énième loi sur l’immigration qui subordonne le bénéfice des aides personnelles au logement (APL) pour les étrangers en situation régulière à cinq ans de résidence sur le territoire français.
Notre groupe a pourtant multiplié les tentatives pour rétablir de la justice sociale dans le secteur du logement, avec la proposition de loi visant à résorber la précarité énergétique, qui avait pour objet de limiter le reste à charge pour les familles modestes, ainsi que le dépôt de nombreux amendements au cours des deux derniers projets de loi de finances pour relancer la politique de logement. Aucune de nos propositions n’a été entendue, soutenue, ou même reprise.
Il est urgent de réduire les inégalités sociales et territoriales qui se creusent dans notre pays.
Monsieur le ministre, comptez-vous mettre en œuvre une véritable politique d’accompagnement des citoyens pour que la transition écologique se traduise enfin par la réduction des inégalités en matière d’habitat et par la garantie d’une meilleure qualité de vie ?
Madame la sénatrice, je ne m’attendais pas forcément à être interpellé sur la loi Immigration ce soir.
Aussi, je ferai miens – cela ne vous surprendra guère, même si vous pouvez y voir une facilité rhétorique – les mots de Michel Rocard, pour qui notre pays ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde.
Protestations sur les travées du groupe SER.
Il n’a pas dit que ça, c’est incomplet ! Il ajoutait : mais chacun doit en prendre sa part !
Vous ne pouvez pas, d’un côté, déplorer le manque de logements, et, d’un autre, considérer qu’il serait indigne, en démocratie, qu’une majorité, laquelle correspond manifestement à la majorité de l’opinion, vote une loi ou décide de modifier les règles.
Je trouve que les jugements moraux que vous portez sur ce sujet sont à géométrie variable.
Oui, le logement soulève nombre de difficultés, lesquelles ont plusieurs explications, mais il ne s’agit pas d’un problème franco-français. Partout en Europe, les gouvernements, quelle que soit d’ailleurs leur couleur politique, rencontrent des difficultés résultant du recul du pouvoir d’achat immobilier. C’est lié à l’augmentation à la fois du coût de l’argent et du coût des chantiers.
Lorsqu’il y a moins d’argent pour acheter un bien qui coûte plus cher, alors il y a une contraction du nombre de mètres carrés, ce qui aboutit à ces situations difficiles. C’est vrai en France, en Allemagne, en Espagne, ou encore en Belgique !
Vous pouvez constater cela dans tous les pays qui nous entourent, quelle que soit leur tendance politique.
Parallèlement, il y a un deuxième sujet, dont nous sommes en train de débattre, et qui est l’écologie.
Il faut certes encourager les constructions neuves pour satisfaire des besoins, mais aussi, dans le même temps, accélérer sur les réhabilitations et les rénovations. Dans notre pays, il y a des millions de logements vacants. La seule région Île-de-France compte 3, 5 millions de mètres carrés de bureaux vides. Une partie des habitants de nos communes, allergiques aux voisins, signent des pétitions contre les permis de construire accordés par les maires, quelle que soit leur sensibilité politique.
Il s’agit d’une question d’ordre budgétaire, mais également philosophique. Nous devons remettre à zéro notre logiciel et retrouver les raisons collectives de construire plus sobrement, tout en répondant à des préoccupations sociales, économiques et écologiques.
Monsieur le ministre, une transition écologique réussie doit bénéficier à l’ensemble de nos concitoyens, et pas seulement aux plus aisés.
Or nombre de Français ne se sentent pas concernés par la transition écologique, parce que les politiques déployées en la matière n’apportent aucune amélioration concrète à leur quotidien.
C’est une nécessité sociale et environnementale d’arrêter de considérer le logement comme une variable d’ajustement budgétaire pour en faire, enfin, une véritable cause de mobilisation nationale.
La question des solidarités au service de la transition écologique dans les territoires renvoie à l’enjeu primordial des mobilités. Des déplacements pendulaires à l’accès aux services, les transports et leurs réseaux sont au cœur du quotidien de nos concitoyens.
La dépendance à la voiture, qui varie très fortement selon la densité du territoire, domine le débat qui nous concerne. Dans les zones peu denses, essentiellement rurales, plus de trois quarts des déplacements sont effectués en voiture. Ce constat concerne environ 22 millions d’habitants, soit un tiers de la population française.
Pour les jeunes actifs, pour les familles, pour les seniors et les personnes dépendantes, mais aussi pour les touristes et les nouveaux arrivants, le pouvoir de vivre, c’est avoir accès aux mobilités routières et pouvoir compter sur leurs performances.
Or les conditions d’utilisation de la voiture personnelle ont largement influencé négativement le pouvoir de vivre ces dernières années, sous l’effet de la réduction de la vitesse maximale à 80 kilomètres par heure – les automobilistes se sont sentis stigmatisés –, de la hausse des prix des carburants, des augmentations des tarifs de péages, et des coûts inflationnistes des véhicules et de leur entretien.
C’est l’une des conséquences des inégalités territoriales : la transformation des mobilités se fait difficilement dans les zones rurales, faute de solution de substitution efficace aux modèles existants. Cette situation nécessite une action politique prioritaire et des investissements ciblés.
En Aveyron, par exemple, nous attendons un signal fort de l’engagement de l’État – il se fait toujours attendre –, pour achever la RN 88.
Aussi, monsieur le ministre, quels investissements compte faire le Gouvernement pour répondre aux contraintes de l’augmentation du coût des mobilités en zones rurales, et particulièrement en Aveyron pour la mise à 2x2 voies de la RN 88 entre Rodez et Séverac-d’Aveyron ?
Merci de votre question, monsieur le sénateur Anglars. La loi 3DS a prévu, à son article 38, que certaines voies du domaine routier national pourraient être transférées aux départements et aux métropoles.
Tel est le cas de la RN 88 : le 1er janvier 2024, cette route nationale est passée sous la maîtrise du département de l’Aveyron. Je me suis entretenu de ce sujet, par téléphone, aux alentours du 22 décembre dernier, avec le président de son conseil départemental, Arnaud Viala, qui m’a fait remarquer que, dans la phase de bouclage final du contrat de plan État-région (CPER), il serait souhaitable que l’État envoie un signal au moins sur la partie « études » de ce projet d’aménagement.
Vous savez que, même si l’on tend de plus en plus à favoriser les projets d’infrastructure ferroviaire dans les CPER, ceux-ci peuvent également inclure, bien entendu, des infrastructures routières. Dès lors, au vu de ces échanges avec Arnaud Viala, nous garderons bien évidemment le projet d’aménagement de la RN 88 en tête lors de la finalisation du CPER en question, dans les prochaines semaines.
Rappelons que ce projet a reçu sa déclaration d’utilité publique (DUP) il y a vingt-cinq ans déjà. Les enjeux de mobilité qu’il soulève dépassent le territoire directement concerné. Dès lors, même si, à court terme, le financement de la réalisation du projet ne peut être envisagé, il conviendra de finaliser un financement partiel, d’autant que des études fines devront être réalisées dans certains secteurs situés en zone Natura 2000, afin de déterminer comment concilier les différents impératifs.
Je voudrais à présent revenir sur le début de votre propos, monsieur le sénateur, et sur la stigmatisation que vous avez évoquée.
Pour ma part, j’ai la conviction que, si l’on commence à expliquer qu’il y a les bons d’un côté et les mauvais de l’autre, on stigmatisera une partie des Français, ceux qui n’ont pas accès aux solutions du fait de l’endroit où ils vivent et de l’impossibilité où ils se trouvent d’accéder aux domaines dans lesquels on fait les investissements les plus importants. On leur donnera le sentiment d’être exclus de la transition écologique et l’on fera d’eux des adversaires de celle-ci, alors qu’elle est nécessaire et qu’ils seront encore plus pénalisés si elle n’a pas lieu.
C’est bien pourquoi, dans les politiques de soutien à l’électrification de la voiture tout comme dans l’aide que nous apportons aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM), notamment au travers du plan France Ruralités, nous avons le souci de ne laisser personne sur le bord de la route, qu’elle soit nationale ou départementale.
Dernier sénateur à pouvoir vous interroger ce soir, monsieur le ministre, je note que beaucoup de sujets ont déjà été évoqués. Je vous ai écouté avec attention et j’avoue que, en fin de compte, je ne regrette pas d’avoir assisté à ce débat.
Bien sûr, je suis quelque peu frustré de n’avoir pu suivre le discours de politique générale que le Président de la République a souhaité tenir ce soir, d’une manière assez audacieuse, constitutionnellement parlant, lors de sa conférence de presse. Mais le débat qui se tient en même temps ici, au Sénat, est très intéressant, car il porte sur un sujet essentiel : l’acceptabilité sociale des efforts de transition écologique et l’accompagnement nécessaire.
Si vous me le permettez, monsieur le ministre, je ferai un constat et deux remarques avant de vous poser une question.
Le constat, je le fais en relayant, à mon tour, les inquiétudes que je ressens sur le terrain, dans ma commune ou mon département, quant à la fracture sociale qui se creuse.
Beaucoup de nos concitoyens ont le sentiment que cette politique de transition écologique est menée bien loin d’eux, dans une sorte de monde parallèle, par des responsables rêvant toujours à des solutions qui semblent idéales, mais qui coûteraient toujours plus cher : plus cher pour la voiture, plus cher pour le logement, plus cher pour la consommation de tous les jours.
Ainsi, les responsables politiques ignoreraient les difficultés de leurs concitoyens ; ils vivraient dans un univers similaire au monde idyllique de Barbieland – je sais combien cette évocation cinématographique fait sens dans cette assemblée… §– dont les habitants, les Ken et les Barbie, découvrent un jour la dureté du monde réel…
Il faut donc s’interroger sur la méthode employée en la matière, ce que je voulais faire au travers de deux remarques sur des situations que j’ai vécues récemment, même si je dois reconnaître que vous avez déjà apporté des éléments de réponse au cours du débat.
En premier lieu, j’ai assisté à la présentation aux maires, par le sous-préfet de mon arrondissement, des objectifs de planification écologique. À vrai dire, cet exercice de centralisme jacobin était un peu effrayant. Il me semble qu’il convient d’associer bien davantage les collectivités locales à cette démarche. D’ailleurs, les débats sur l’accélération du développement des énergies renouvelables prouvent la mobilisation des élus sur cette question.
En second lieu, je m’interroge sur la réalité de la politique du logement menée au travers des aides MaPrimeRénov’ : là encore, une meilleure association des collectivités locales est nécessaire. Je relève que vous avez annoncé que des projets de décentralisation seraient certainement engagés en la matière.
J’en viens enfin à ma question : monsieur le ministre, je voulais vous interroger sur l’autoconsommation énergétique, au travers notamment de panneaux photovoltaïques. Un certain nombre de mesures pourraient être prises pour favoriser celle-ci, notamment l’ouverture de l’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) à de tels projets, ou encore un taux de TVA réduit à 5, 5 % pour ces panneaux. Nous vous avions fait ces deux propositions au cours du dernier débat budgétaire, mais le 49.3 en a décidé autrement… Monsieur le ministre – nouveau ministre d’un nouveau gouvernement –, pourriez-vous nous rassurer en nous indiquant que, peut-être, une évolution est possible ?
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Pour ma part, je vous ferai une confidence, deux remarques et une réponse. La confidence, la voici : je n’ai pas vu Barbie – j’ai préféré Oppenheimer et je n’ai pas trouvé le temps de regarder le deuxième film de l’été…
Sourires.
Nouveaux sourires.
J’en viens à mes deux remarques.
Tout d’abord, je ne vais pas feindre d’être en désaccord avec vous sur certains des points que vous venez d’évoquer. Oui, nous avons des marges de progrès en matière d’association des élus à cette politique encore balbutiante, qui vit ses premières années. Je pense en particulier au fonds vert : on a créé un objet nouveau, pour lequel on a décidé de faire confiance aux territoires, mais tous ne s’en sont pas saisis de la même manière, les parlementaires et les élus locaux n’ayant pas toujours été associés au niveau qui convenait. J’aurai donc, dans les jours qui viennent, une conférence visiophonique avec la totalité des préfets pour faire en sorte de donner une meilleure place à tous ces élus au sein de ce dispositif.
Ensuite, – c’est ma deuxième remarque –, l’enjeu est bien que nos concitoyens mesurent que le risque, le surcoût réel, ce n’est pas d’agir, c’est de ne pas agir. Je ne veux pas, en cette heure tardive, sur les sujets dont nous débattons, forcer le trait, mais je tiens à redire l’intérêt, par exemple, de ne pas trop étaler les zones urbanisées dans certains territoires, de sorte que l’on bouche les nappes phréatiques, ce qui peut conduire à ce que l’on vit aujourd’hui dans le Pas-de-Calais.
J’ai eu des échanges, ces dernières semaines, avec des habitants qui s’interrogent sur certains permis de construire délivrés dans des zones où, voilà vingt ans, personne ne s’interrogeait. Nous devons changer notre approche sur un certain nombre de sujets.
Enfin, je veux vous apporter une réponse sur l’autoconsommation énergétique. En 2023, elle a presque doublé par rapport à 2022, en passant de 460 mégawattheures à environ 800. En vingt-quatre mois, la capacité de notre pays a triplé ! Alors, si vous y croyez, continuez d’y croire, parce que ce phénomène est en plein décollage ! Cela correspond à une attente de nos concitoyens, tout en constituant un excellent moyen de diversifier notre mix énergétique et de limiter le reste à charge pour les consommateurs – c’est aussi une façon de les accompagner.
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe auteur de la demande.
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque secteur de notre économie et de notre société est confronté à la nécessité de produire un effort sans précédent pour la transition écologique.
On ne peut y faire face sans réaffirmer la nécessité de mettre en place et de consolider des politiques de solidarité pour accompagner cette transition.
Nous redisons donc ici la centralité de l’enjeu du « pouvoir de vivre » des Français, ainsi que celle de la répartition de l’effort à consentir pour mener à bien la transition écologique.
Cette centralité implique que les plus précaires fassent l’objet d’une attention renforcée. Souvent plus durement affectés que les autres par la dégradation de l’environnement, ils disposent de moins de moyens pour remédier à ses conséquences.
Une étude que vient de publier le ministère de la santé souligne ainsi que les banlieues et les communes habitées par les plus modestes sont particulièrement exposées à la pollution de l’air, dont l’impact délétère est très sensible chez les plus jeunes.
Les communes pauvres, quant à elles, sont plus touchées par la pollution des sols que celles où résident les riches. Cette pollution touche 80 % des villes moyennes situées dans les 10 % de communes les moins riches, selon une étude publiée par l’Observatoire des inégalités en mars 2023.
Or nous savons que les plus précaires ne sont pas ceux dont l’empreinte environnementale est la plus préoccupante ou dont le bilan carbone pèse le plus lourd.
Philippe Coulangeon, sociologue et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), synthétise une partie du problème en soulignant que « la frugalité sans intention (…) pèse lourd chez 27 % de ménages sans préoccupations environnementales affirmées, souvent des catégories populaires précarisées et dont le bilan carbone reste faible, puisqu’ils consomment peu du fait de faibles revenus ».
Il souligne par ailleurs, concernant les efforts à consentir en faveur de la transition écologique, que l’acceptabilité sociale est un enjeu extrêmement important, estimant que « des mesures mal préparées, inéquitablement réparties, sont source de résistance ». Il en prend pour exemple la taxe carbone, qui a fait perdre un temps considérable et qui a dévoilé la très profonde crise que traverse notre pays.
Dans leur rapport remis au Gouvernement en mai 2023, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz soulignent par ailleurs que, « quand on sait à quel point les sociétés avancées se sont montrées incapables de distribuer équitablement les gains induits par la mondialisation, on ne peut qu’être dubitatif sur leur capacité à répartir les coûts de la transition de manière équitable ».
La social-écologie est pourtant une réponse à ces enjeux. Ce concept a été théorisé au début des années 2010 par Éloi Laurent, qui souligne que « les inégalités sociales jouent un rôle moteur dans nos crises écologiques » et que « ces crises aggraveront encore les inégalités sociales si rien n’est fait pour contrecarrer leur impact ». Il met ainsi en évidence qu’« il revient aux pouvoirs publics de comprendre cette interface social-écologique, (…) puis de s’appuyer sur elle pour réduire les inégalités sociales et atténuer les crises environnementales ».
Il nous semble qu’indépendamment des mécanismes qui peuvent être mis en place dans la perspective de favoriser des comportements et des choix économiques vertueux, il est impératif de permettre à la population de s’engager dans de bonnes conditions dans notre projet de transition écologique.
Pour ce faire, dans un pays qui comptait, en 2019, 9, 2 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté monétaire, il est par exemple indispensable d’adapter les minima sociaux.
L’alternative, c’est de laisser une partie considérable de la population sur le bord du chemin, enfoncée dans la précarité par le poids de l’effort économique nécessaire pour ménager leur simple participation à la vie de notre société.
C’est dans ce souci que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de notre assemblée a défendu, en janvier 2021, l’ouverture du revenu de solidarité active (RSA) aux jeunes dès l’âge de 18 ans. On ne peut se satisfaire que près d’un jeune majeur sur cinq, considéré comme pauvre, soit d’office exclu de la société que nous essayons de bâtir.
Cette préoccupation vaut pour tous : en 2021, en France métropolitaine, 9, 1 millions de personnes vivaient au-dessous du seuil de pauvreté monétaire.
C’est pourquoi nous sommes également attentifs à la construction et à la rénovation de logements sociaux de qualité, ce qui permettrait de loger les ménages aux revenus les plus modestes dans des habitations adaptées aux contraintes du réchauffement climatique.
C’est aussi pourquoi nous voulons, sur le front des mobilités, voir la sécurisation d’une industrie à même de construire des véhicules vertueux à des prix adaptés. Les populations rurales ne pouvant se rabattre sur le train ou le métro au quotidien, elles doivent pouvoir accéder à des moyens de déplacement individuels ménageant l’environnement.
Je conclurai cette intervention sur les politiques de solidarité et l’amortissement du choc de la transition écologique en rappelant qu’il est indispensable d’en passer non pas par des taxes à vocation punitive, mais par le rétablissement d’une juste redistribution de l’impôt, qui permettra à l’État d’accompagner les plus modestes dans la transition écologique.
Applaudissements sur les travée s des groupes SER, GEST et CRCE- K.
Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « “Pouvoir de vivre” : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? »
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 17 janvier 2024 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente :
Désignation des vingt-trois membres de la commission d’enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050 ;
Proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à condamner l’offensive militaire de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et à prévenir toute autre tentative d’agression et de violation de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie, appelant à des sanctions envers l’Azerbaïdjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh, présentée par MM. Bruno Retailleau, Gilbert-Luc Devinaz et plusieurs de leurs collègues (texte n° 157, 2023-2024) ;
Proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale, présentée par Mme Nathalie Delattre et plusieurs de ses collègues (texte n° 602, 2022-2023).
Le soir :
Débat portant sur les violences associées au football, dans et hors des stades.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-deux heures cinquante-cinq.