Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette nouvelle année, qui voit chacune et chacun d’entre nous sillonner son département pour honorer les invitations qu’il reçoit à l’occasion des vœux, nous sommes de plus en plus souvent interpellés à propos du « zéro artificialisation nette » (ZAN). C’est donc de ce sujet capital pour l’avenir de nos communes que les élus de notre groupe souhaitent débattre.
Sous cet acronyme – ZAN – qui s’impose à nous tous se cache en réalité l’avenir de la construction de logements et du développement économique dans la France rurale et périurbaine.
Sous cet acronyme, ce qui se joue, c’est l’attractivité de nos territoires et l’avenir de ceux qui y vivent.
Sous ce nom de « zéro artificialisation nette » s’impose aussi à nous l’impérieuse nécessité de préserver la biodiversité, nos espaces verts et nos espaces agricoles.
Mais une politique publique, particulièrement pour ce qui concerne la transition écologique et sociale, ne saurait être efficace en opposant l’impératif écologique au besoin de logements. L’un n’ira pas sans l’autre : c’est en se libérant de certains dogmatismes que nous réussirons à relever les défis de demain.
Mes chers collègues, ne l’oublions pas : au terme du processus législatif qui – j’y reviendrai – nous a conduits à voter, ici, à une quasi-unanimité, le texte que nous appelons communément loi ZAN, se trouvent les élus locaux. Ces derniers sont en effet chargés de mettre en application les objectifs de la loi Climat et résilience.
C’est à ces élus locaux que je pense. Lors du dernier congrès des maires, un point d’information visant à décrypter les modalités d’application de l’objectif de « zéro artificialisation nette » a fait salle comble. Nous le voyons bien : face à la complexité du dispositif, les élus continuent d’exprimer leur perplexité, alors même qu’ils devront très rapidement le décliner dans leurs documents de planification.
La loi du 20 juillet 2023, dont je salue le rapporteur au Sénat, Jean-Baptiste Blanc, apporte un certain nombre d’adaptations. Elle se fonde notamment sur les remontées de terrain – ceux qui ont siégé au sein de la commission spéciale chargée d’examiner ce texte sont bien placés pour le savoir.
Malgré tout, le ZAN continue d’effrayer dans nos territoires. Les échéances sont pourtant connues : il va falloir diviser par deux la consommation d’espaces naturels agricoles et forestiers (Enaf) sur la période 2021-2031 par rapport à la décennie précédente, avant l’atteinte du « zéro artificialisation nette » à l’horizon 2050.
Certes – nous en conviendrons tous ici –, la loi du 20 juillet dernier a apporté certains correctifs. Je pense à la valorisation des efforts de renaturation dès la décennie 2021-2031, ou encore à la définition d’un nouveau calendrier pour l’inscription des objectifs dans les documents de planification et d’urbanisme.
Permettez-moi de rappeler brièvement ces échéances : on a retenu la date du 22 novembre 2024 pour la déclinaison des objectifs et de la trajectoire ZAN dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) et autres schémas régionaux ; celle du 22 février 2027 pour la compatibilité des schémas de cohérence territoriale (Scot) aux objectifs régionaux ; et la date du 22 février 2028 pour la compatibilité des plans locaux d’urbanisme (PLU), plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) et cartes communales aux objectifs régionaux.
En outre, je ne saurais oublier l’apport de la garantie rurale, ou surface minimale d’un hectare pouvant être consommée par chaque commune dotée d’un document d’urbanisme avant le mois d’août 2026, dès lors que ce document est au moins prescrit.
On ne saurait en déduire que toutes les communes utiliseront ce droit et qu’elles artificialiseront demain ce qu’elles n’ont pas artificialisé hier. En revanche, elles garderont la possibilité et, donc, l’espoir d’accueillir un équipement, une construction nécessaire au dynamisme et à la vitalité du territoire.
Mes chers collègues, j’ai eu à cœur de le répéter pendant toute la période de la campagne sénatoriale : si elle demeure incomplète, la loi du 20 juillet 2023 a eu le mérite de ne pas laisser se refermer définitivement la porte.
Au cours des mois à venir, nous devrons retravailler ce sujet. Nous devrons ajuster les mesures prises, afin de répondre au mieux aux attentes de ceux qui font vivre la démocratie partout sur le territoire national.
Les élus locaux, tout particulièrement les maires des communes rurales, sont dans l’attente : ils voient bien que les dispositifs en vigueur ne prennent pas suffisamment en compte leurs spécificités et les aspirations des habitants.
Ne laissons pas croire à ces élus qu’il existe une France à deux vitesses, la France urbaine, dotée d’une ingénierie suffisante, et la France rurale, qui n’en dispose pas – c’est aussi cela, la réalité.
Monsieur le ministre, votre gouvernement doit entendre cette inquiétude. Ce que demandent les maires, que nous rencontrons tous ici, c’est de l’ingénierie, des moyens pour concevoir et mettre en œuvre tout ce qui découle des nouvelles directives. Ils ne souhaitent en aucun cas que l’État agisse à la place des élus.
Les intercommunalités et les communes ont aujourd’hui le sentiment d’être éloignées de ce qui se passe. Or il est illusoire de croire que nous pourrons répondre aux besoins par la seule réhabilitation du bâti existant. Nous aurons besoin de construire demain encore, mais pas n’importe comment ou n’importe où.
Dans les années à venir, nous devrons encore travailler, pour faire face à la nécessité d’adapter nos territoires au changement climatique et aux besoins de création d’emplois et de logement dans les communes, petites ou moyennes, situées loin des métropoles.
À ce titre, les friches représentent un potentiel considérable : si, dans les grandes agglomérations, la densité impose déjà une reconstruction de la ville sur elle-même, dans la France périurbaine et rurale, les sites en perdition ne demandent qu’à être recyclés.
Nous en sommes convaincus : s’atteler à la mutation de ces friches, c’est satisfaire des besoins en matière de foncier. Réemployer les surfaces déjà artificialisées, c’est aussi écouter, considérer et respecter ces territoires et leurs habitants ; et, en matière d’écologie, c’est tout simplement faire preuve de bon sens.
Pour que nous soyons à la hauteur de nos ambitions, monsieur le ministre, il faut que l’État s’engage davantage aux côtés des communes et intercommunalités, tout en leur laissant de la place : les acteurs territoriaux doivent avoir le droit de décider, d’aménager et d’ajuster. Ils ne sauraient se contenter de subir des directives venues de Paris, sans prise en compte des réalités du terrain. Laissons faire le bon sens, et évitons de provoquer une avalanche normative, à l’opposé même de l’initiative locale.
Vous savez combien je suis attachée au principe de libre administration. Pour relever le défi du ZAN, nos élus doivent garder des marges de manœuvre sur le territoire. Ils sauront respecter le cadre qui leur est assigné, d’autant que, dans l’ensemble de notre pays, nos concitoyens souhaitent que l’environnement soit respecté.
Enfin, si les trois décrets parus en décembre dernier, relatifs respectivement à la territorialisation des objectifs de la loi ZAN, à la classification des zones artificialisées et à la commission de conciliation sur l’artificialisation des sols, ont pu éclairer plusieurs points, les élus locaux attendent encore un certain nombre de réponses.
Je forme le souhait que ce débat leur permette d’obtenir davantage de précisions, qu’il pointe les nombreux manques et incongruités déplorés, et que nous relevions ensemble le défi social et environnemental auquel sont confrontées l’ensemble de nos communes.