Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’offensive éclair des forces de l’Azerbaïdjan le 19 septembre dernier, pour la première fois depuis plus de deux mille ans, la quasi-totalité des habitants de la république d’Artsakh a fui l’Arménie. Les seuls qui restent sont dans leurs tombes, d’ailleurs profanées dans des mises en scène absolument odieuses et lamentables, sans aucune protestation de la communauté internationale.
Cet exode, vécu comme une nouvelle tragédie par tous les Arméniens, s’inscrit dans le conflit séculaire marqué par le génocide de 1915.
Cette tragédie aurait pu être évitée. Le New York Times a récemment écrit, à propos de ce drame, que « presque personne ne l’avait vu venir ». Quelle hypocrisie ! Quelle contre-vérité !
Les Arméniens, ainsi que ceux qui, comme nous, dans cet hémicycle ou dans celui de l’Assemblée nationale, ont suivi le conflit avaient prévenu depuis longtemps que cela arriverait. C’était même le projet que l’Azerbaïdjan et la Turquie avaient en tête.
Monsieur le ministre, pas une année je n’ai cessé, à vos côtés ou aux côtés des députés et des sénateurs, d’alerter sur ce massacre annoncé.
Nous connaissons tous la situation géopolitique de cette région, qui vit avec les attaques, les résolutions et des négociations qui s’enlisent depuis des dizaines d’années.
Nous avons tous vu le conflit, que certains croyaient gelé, regagner de la vigueur en 2020.
Nous avons tous été témoins de l’escalade, dans la solitude et l’indifférence pour les Arméniens. Aujourd’hui, nous voyons le drame qui se joue dans le Caucase.
Nous avions d’ailleurs alerté, dans cet hémicycle, notamment à l’occasion de nos résolutions pour l’Arménie et l’Artsakh, en novembre 2020 et en 2022. À cet égard, je veux saluer et remercier l’engagement exceptionnel du président de notre Haute Assemblée, Gérard Larcher, dans le processus d’adoption de ces résolutions.
Je veux aussi souligner l’investissement de l’ancien président de notre commission, Christian Cambon, du président du groupe d’amitié France-Arménie, Gilbert-Luc Devinaz, à qui je veux rendre hommage, des présidents de l’ensemble des groupes, au premier rang desquels, bien sûr, figure Bruno Retailleau, qui s’est investi personnellement, avec beaucoup d’énergie, de courage et de conviction.
Le 7 juillet 1923 naissait la république autonome d’Artsakh, peuplée essentiellement d’Arméniens chrétiens, au sein de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan, dont la population était principalement azérie, turcophone et chiite.
Un siècle plus tard, le 28 septembre 2023, les dirigeants de l’Artsakh annonçaient la dissolution de l’entité indépendante de fait depuis 1991, avant d’être arrêtés par les forces azerbaïdjanaises.
Pourtant, à l’été 2022, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’était rendue à Bakou afin de signer un accord honteux sur la livraison du gaz de l’Azerbaïdjan à l’Europe. Par la suite, elle a plusieurs fois loué ce pays comme un « partenaire énergétique fiable » de l’Union européenne. Quelle déroute morale, quelle honte et quelle infamie pour l’Europe et tous les pays qui l’ont soutenue !
Quelques mois plus tard, encouragé par ce soutien, l’Azerbaïdjan a lancé une attaque, non sur le Haut-Karabagh, mais sur plusieurs zones à l’intérieur même de l’Arménie, du territoire souverain de ce pays reconnu par la communauté internationale, avec des frontières bien définies. Depuis lors, l’Azerbaïdjan occupe plus 100 kilomètres carrés de territoires incontestés et internationalement reconnus.
En décembre 2022, il a imposé un blocus sur le couloir de Latchine, l’unique passage entre l’Artsakh et l’Arménie.
En février 2023, la Cour internationale de justice de La Haye a émis une ordonnance contraignante, selon laquelle l’Azerbaïdjan devait immédiatement permettre la libre circulation des personnes et des marchandises dans le couloir : l’Azerbaïdjan l’a ignorée, méprisée.
Durant l’été 2023, la situation a empiré pour les 120 000 Arméniens du Haut-Karabagh, avec de graves pénuries de nourriture, de combustibles et de médicaments.
La malnutrition a sévi et la situation est devenue si critique que plusieurs organisations ont mis en garde contre un possible génocide par la faim et par le manque de soins.
En août 2023, Luis Moreno-Ocampo, ancien procureur de la Cour pénale internationale, a déclaré que les agissements de l’Azerbaïdjan devaient être considérés comme un génocide au regard de la convention sur ce crime. Pendant les plus de neuf mois qu’a duré le blocus, plusieurs dirigeants l’ont condamné et ont demandé à l’Azerbaïdjan d’y mettre un terme.
J’ai encore en tête les images du président de notre groupe, Bruno Retailleau, sur place, aux côtés de plusieurs élus et de camions humanitaires bloqués par les forces azerbaïdjanaises, aux portes de l’Artsakh.
Toutefois, contrairement à nos demandes, il n’y a eu ni sanctions ni même commencement de menace de sanctions. Là encore, quelle déroute morale !
Le gouvernement azéri a bien retenu le message : oui, il est possible de provoquer une crise humanitaire envers plus de 100 000 personnes, jusqu’à frôler le génocide, sans rien subir d’autre que des communiqués de presse timides des instances internationales ! Oui, il est possible de pratiquer la diplomatie du chantage. Oui, il est possible d’être un État corrupteur et corrompu. Tout est possible et tout se passe bien…
Malheureusement, ce qui est valable pour l’Ukraine, à juste titre, ne l’a jamais été pour l’Arménie.
Or, nous le savons tous, les mots n’ont jamais suffi à stopper les plans agressifs, génocidaires et barbares des États autoritaires. Des mesures beaucoup plus fermes étaient et seront nécessaires.
L’Azerbaïdjan considère qu’elle n’a jamais forcé les populations à fuir, mais ces exodes expéditifs s’expliquent par la crainte justifiée de vivre sous le régime autocratique de M. Ilham Aliev, dont la famille règne à Bakou depuis 1993. Ce dictateur n’a jamais caché ses intentions génocidaires.
Après le blocus du corridor de Latchine, après avoir éprouvé les populations locales, après les bombardements – au moyen, d’ailleurs, d’armes non conventionnelles –, quel choix avaient ces gens, si ce n’est la fuite, la prison ou la mort ? La valise ou le cercueil ? Certains ont même emporté leur cercueil de peur qu’il ne soit profané !
Voilà désormais l’Arménie qui a la lourde tâche d’accueillir, de soigner et de rassurer seule 100 000 personnes ayant quitté leur pays, leur terre, leur foyer, dans une indifférence presque générale, après avoir vécu le pire.
Je tiens à évoquer ici la mémoire des prisonniers torturés. Et je veux avoir une pensée pour Anouch Apetian, violée, démembrée, filmée, dont personne n’a parlé. Je n’ai entendu aucune association féministe parler du sort de cette femme ni d’autres, elles aussi victimes de l’indifférence…
Dans ce contexte, alors qu’il cherchait à se rendre en Arménie, Ruben Vardanian, humanitaire arménien et ancien ministre d’État, a été illégalement arrêté. Il fait partie des derniers habitants d’Artsakh récemment arrêtés de manière arbitraire pour des raisons politiques et détenus illégalement.
C’est également le cas de trois anciens présidents – Arayik Haroutiounian, Bako Sahakian, Arkadi Ghoukassian –, mais aussi d’autres hommes politiques, comme David Babayan, Levon Mnatsakanian, David lchkhanian et Davit Manoukian.
De nombreux autres Arméniens continuent d’être illégalement détenus dans les geôles de Bakou. Le peu d’informations accessibles sur leur état de santé et leur bien-être est profondément inquiétant. On sait qu’ils subissent tortures et menaces.
Ces personnes sont détenues en violation flagrante du droit international. Les conditions de leur détention sont particulièrement préoccupantes.