Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aucune institution n'incarne mieux la promesse républicaine que l'école, à condition de veiller à faire en sorte qu'elle assume ces valeurs d'égalité et de fraternité gravées sur les frontons de nos établissements scolaires.
C'est pourquoi l'école inclusive fait l'objet d'une attention particulière et ancienne de notre commission. Je remercie donc Cédric Vial de nous avoir donné l'occasion d'en débattre en examinant sa proposition de loi visant à la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap sur le temps méridien.
La dernière fois que nous avons abordé le sujet avec le ministre de l'éducation nationale, c'était au mois de novembre dernier, dans un tout autre contexte. Sur toutes les travées de notre Haute Assemblée, nous avions dénoncé la volonté du Gouvernement de transformer les pôles inclusifs d'accompagnement localisés (Pial) en pôles d'appui à la scolarité. Cette réforme, pourtant systémique, se faisait sans concertation et en catimini lors du débat budgétaire.
Bien entendu, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui ne réglera pas à elle seule l'ensemble des problématiques auxquelles l'école inclusive doit faire face. Mais elle constitue une première étape. Il s'agit de garantir une continuité tout au long de la journée dans la prise en charge des élèves en situation de handicap scolarisés.
Combien d'enfants ont besoin d'un accompagnement humain sur le temps méridien ? Répondre avec précision à une telle question nécessiterait de disposer de données exhaustives qui – hélas ! – font défaut.
L'ordre de grandeur qui m'a été donné par les services du ministère de l'éducation nationale est de 20 000 à 25 000 élèves concernés en 2023, une estimation sans doute basse.
Ce sont en tout cas plusieurs milliers d'enfants et leur famille qui ont été perturbés par la décision du Conseil d'État du 20 novembre 2020. En effet, celui-ci a considéré que la compétence de l'État devait se restreindre à la prise en charge des situations de handicap sur la seule période scolaire. Les temps périscolaires, incluant le passage à la cantine, relèvent de la responsabilité des collectivités territoriales. Cette décision a modifié la prise en charge financière et administrative des AESH sur le temps méridien, à rebours de la pratique en vigueur.
La nouvelle situation a fait deux perdants : les élèves et leurs accompagnants. Ces AESH, qui sont principalement des femmes, ont en effet vu leur emploi du temps malmené, ne pouvant plus travailler pour l'éducation nationale sur le temps périscolaire. Surtout, elles se retrouvent à présent avec deux employeurs : l'État pour le temps scolaire, et la commune pour le temps périscolaire. Elles enchaînent ainsi les heures sans pause réglementaire de vingt minutes à midi ou sans prise en compte des temps de trajet lorsqu'elles sont affectées l'après-midi dans un autre établissement.
Les communes ont dû assumer une charge financière supplémentaire, et ce dans un contexte budgétaire contraint. Elles doivent également exercer une compétence qui n'est pas de leur ressort et peuvent ainsi avoir des difficultés pour identifier la bonne personne à recruter.
Enfin, certains élèves en situation de handicap se retrouvent sans accompagnement sur le temps méridien malgré les recommandations de la maison départementale des personnes handicapées.
D'ailleurs, afin d'éviter de mettre en difficulté des élèves qui étaient jusqu'ici accompagnés à la cantine avec une prise en charge de l'État, les personnels de l'éducation nationale ont eu pour consigne de ne pas remettre en cause les situations existantes. Le ministère m'a indiqué continuer à financer 60 % des besoins d'accompagnement sur le temps périscolaire. Bien évidemment, je salue la décision de ne pas retirer du jour au lendemain son accompagnant à un élève. Mais quid des 40 % restants ?
Car la jurisprudence du Conseil d'État entraîne des différences de traitement.
Je pense notamment aux élèves du premier degré, pour lesquels, à l'exception de ceux qui étaient déjà accompagnés en 2020, la prise en charge de l'accompagnement humain sur le temps méridien dépend des capacités de la commune. Pour le second degré, en revanche, c'est l'État qui continue de financer.
Je pense également aux élèves en situation de handicap scolarisés dans des établissements privés sous contrat.
Le forfait scolaire ne permet pas de couvrir les dépenses qui interviennent sur le temps périscolaire, contraignant les établissements à faire appel à des volontaires – parents, grands-parents ou enseignants retraités. Parfois, des AESH sont présents sans refacturation par le rectorat et la question de la responsabilité en cas d'accident de travail est passée sous silence.
Enfin, l'absence de solution a aussi malheureusement conduit certains parents à retirer leur enfant de l'établissement.
Face à ces situations et aux nombreuses questions des communes, quelle a été la réponse du ministère ?
Une note adressée aux recteurs le 4 janvier 2023 a rappelé les trois modalités pour l'organisation de la prise en charge des élèves handicapés pendant la pause méridienne : le recrutement direct par la collectivité territoriale, le recrutement en commun et la mise à disposition par l'éducation nationale d'AESH volontaires aux collectivités territoriales.
Reconnaissons-le, la mise à disposition représente un progrès. Elle permet de réduire le nombre d'employeurs des AESH et d'améliorer leurs conditions de travail, permettant aussi une vraie continuité dans le suivi des élèves en situation de handicap.
Néanmoins, elle reste difficile à mettre en œuvre pour les communes, car il n'existe pas de convention type harmonisée. La mise à disposition, qui est une convention tripartite entre le rectorat, la commune et l'AESH, reste donc un outil juridique complexe, notamment pour les petites communes.
Enfin, le conventionnement ne règle pas la question du coût pour les communes et pour les établissements privés sous contrat. Je signale d'ailleurs qu'au moins une académie applique des frais de gestion de 5 % pour la mise à disposition d'un AESH à une commune.
Au regard de cette situation confuse, que tous les acteurs s'accordent à faire évoluer, notre collègue Cédric Vial a donc déposé cette nécessaire proposition de loi, qui vise à transférer à l'État la prise en charge des AESH intervenant sur le temps méridien.
Et c'est en considérant les impératifs de solidarité et de l'intérêt de l'enfant que la commission a adopté ce texte sans modification. Celui-ci réduit les inégalités de situation entre des enfants aux besoins comparables et assure une continuité dans leur prise en charge. Je tiens à féliciter une nouvelle fois Cédric Vial de son initiative salutaire.
Une telle évolution législative pose aussi la question de la formation des AESH. Les soixante heures de formation sont sans doute déjà insuffisantes et doivent être complétées. En effet, les missions à accomplir sur le temps méridien, qui sont plus axées sur les gestes du quotidien, diffèrent du temps pédagogique.
Je conclurai mon propos par deux points.
D'abord, madame la ministre, je souhaite vous alerter sur les unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis). Les élèves concernés sont affectés dans ces classes par l'éducation nationale. L'école qui les accueille peut être située dans une commune autre que leur commune de résidence. Certains élus, au motif qu'ils n'ont pas donné leur accord à une scolarisation en dehors de la commune, refusent de payer la prise en charge de l'AESH sur le temps périscolaire. La situation est telle que certains maires s'opposent aujourd'hui à l'ouverture d'une classe Ulis dans leurs écoles, en raison du reste à charge qu'elle engendre.
Ensuite, il y a urgence à réformer l'école inclusive. Il est nécessaire de remettre au cœur de ses priorités l'accessibilité physique, matérielle et pédagogique et de ne pas se reposer uniquement sur un accompagnement humain, qui ne peut pas tout.