Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un peu plus d'un an après l'adoption unanime de la proposition de loi visant à lutter contre la précarité des accompagnants d'élèves en situation de handicap et des assistants d'éducation, je me réjouis que nous ayons de nouveau l'occasion d'aborder le sujet de l'inclusion scolaire au sein de cet hémicycle.
La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui a consacré le droit à une scolarisation ordinaire – lui-même conforté par la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, qui a introduit la notion d'inclusion scolaire –, a profondément transformé la prise en compte du handicap dans notre paysage éducatif.
Depuis 2006, le nombre d'élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire a ainsi quadruplé, passant de 118 000 à 478 000 en 2023.
Cette concrétisation quantitative de la promesse de l'école inclusive – pour notre part, nous appelons souvent de nos vœux le passage à une logique plus qualitative – repose en grande partie sur les épaules des accompagnantes et accompagnants d'élèves en situation de handicap. Je devrais, d'ailleurs, insister sur le féminin, 93 % des AESH étant des femmes. C'est sur elles que repose la réussite de l'inclusion. Elles la portent à bout de bras.
J'ai à l'esprit la formule utilisée par une enseignante que nous avons auditionnée récemment. À bout de souffle comme beaucoup de ses collègues, elle disait : « Sans AESH, on ne tiendrait plus debout ».
Leur rôle d'appui auprès des élèves en situation de handicap étant indispensable et l'inclusion en milieu ordinaire ne reposant pas seulement sur le temps scolaire en lui-même, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap sur le temps méridien.
Ce texte, qui concrétise l'une des recommandations de la mission d'information que Cédric Vial – je le salue – a menée sur les modalités de gestion des AESH, a le mérite de revenir à l'esprit des lois de 2005 et de 2013, ainsi qu'au paradigme qui était en vigueur jusqu'à la décision du Conseil d'État du 20 novembre 2020.
Cette décision, qui a dégagé l'éducation nationale de toute responsabilité dans le financement de l'inclusion sur le temps méridien, a créé des difficultés multiples, que ce soit pour les collectivités territoriales, pour les AESH ou pour les élèves. En effet, toutes les communes n'étant pas en mesure de financer l'emploi des AESH, des inégalités de prise en charge sont apparues entre territoires et entre établissements scolaires.
Dans le contexte budgétaire très contraint que nous connaissons aujourd'hui, la question est encore plus pressante.
En raison de la dualité des employeurs, les AESH eux-mêmes eux-mêmes ont subi de nouvelles contraintes en matière d'organisation de leur temps de travail, au détriment, notamment, de leur temps de pause, pourtant obligatoire.
Enfin, les élèves en situation de handicap présentant des besoins d'accompagnement sur le temps méridien – selon les estimations, ils seraient entre 20 000 et 25 000 – ont été confrontés au risque d'une rupture d'accompagnement entre les temps scolaire et méridien, obligeant certains parents à prendre le relais et d'autres à recourir à des AESH privés, voire, dans les cas les plus complexes, à déscolariser leur enfant.
Prenant acte de la décision du Conseil d'État, un courrier du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse adressé aux recteurs et rectrices, le 4 janvier 2023, a formalisé les trois cas de figure envisageables pour les collectivités : soit la mise à disposition par l'éducation nationale des AESH volontaires aux collectivités, soit le recrutement direct d'AESH par la collectivité pour les heures relevant du périscolaire, soit le recrutement d'AESH en commun par l'État et les collectivités territoriales.
Si la mise à disposition, solution préconisée par le ministère, représente une avancée, son application sur le terrain se révèle complexe et très inégale.
Dans mon département de la Drôme, il m'a ainsi été indiqué que, à ce jour, l'ensemble des AESH intervenant sur le temps périscolaire étaient recrutés directement par les collectivités. Cette modalité ne règle d'ailleurs pas la question du coût de cette prise en charge pour les communes, qui reste le principal point d'achoppement.
Au regard des fortes contraintes liées à la situation actuelle, nous souscrivons pleinement, par conséquent, à l'objectif de cette proposition de loi.
Je tiens toutefois à partager avec vous quelques points d'alerte, madame la ministre.
Tout d'abord, quelle garantie avons-nous, tout d'abord, que cette nouvelle dépense, qui représente un coût d'environ 31 millions d'euros, ne se fera pas au détriment d'autres dépenses liées à l'inclusion scolaire ?
Ensuite, nous exprimons des réserves quant à la restriction de la prise en charge au seul temps méridien et non au temps périscolaire dans son ensemble. Ce dernier contribue pourtant pleinement à l'inclusion des élèves en situation de handicap.
Je m'interroge, d'ailleurs, sur les conséquences qu'aurait l'application de cette loi pour les AESH qui sont actuellement employés par les collectivités sur le temps méridien et d'autres temps périscolaires. Je crains que le problème de l'emploi des AESH sur le temps périscolaire ne se repose très rapidement.
Enfin, nous devons veiller à ce que ce transfert constitue bien une avancée pour les AESH et n'entraîne pas de nouvelles dégradations de leurs conditions de travail. Je pense notamment à leur niveau de rémunération, certaines communes étant plus généreuses que l'État. La logique du moins-disant ne doit pas prévaloir.
Plus largement, il nous faut réaffirmer l'urgence d'une réflexion plus globale sur l'organisation de l'école inclusive et sur le statut des personnels en charge de l'accompagnement humain.
En quelques années, les AESH sont devenus la deuxième catégorie de personnels de l'éducation nationale. Il est inacceptable qu'ils et elles continuent à exercer dans des conditions aussi précaires, avec un salaire mensuel toujours en deçà du seuil de pauvreté, sans prise en compte du temps de préparation et de formation nécessaire au bon exercice de leurs diverses missions.
Ce manque de considération nuit à l'attractivité de cette profession, comme en témoignent les nombreuses vacances de postes constatées sur le terrain.
Toutes et tous, nous avons pourtant conscience de l'ampleur du besoin, ne serait-ce que pour satisfaire les notifications d'accompagnement humain qui sont émises par les maisons départementales des personnes handicapées.
J'irai même plus loin : le ministère doit réfléchir à la mise en place de brigades de remplacement, qui manquent aujourd'hui cruellement. Je pense ainsi à l'exemple récemment porté à ma connaissance d'une AESH de mon département non remplacée pendant les dix semaines de son arrêt maladie. Des postes supplémentaires sont, là encore, nécessaires.
Il est plus que temps, pour le Gouvernement, de prendre à bras-le-corps le sujet de l'inclusion scolaire, trop souvent source de souffrance pour les élèves concernés, ainsi que pour les personnels de la communauté éducative.
Une seule boussole doit nous guider : la scolarisation dans les meilleures conditions possible des élèves en situation de handicap, à rebours de la logique de rationalisation budgétaire qui se cache derrière les pôles d'appui à la scolarité, heureusement censurés par le Conseil constitutionnel à la suite de l'examen du projet de loi de finances pour 2024.
En gardant ces réserves à l'esprit, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera cette proposition de loi.