Nous dénonçons ces bricolages législatifs délibérés, entrepris à des fins de communication politique.
Au sein de cette proposition de loi, de nombreux points sont problématiques : la création d’une nouvelle mesure de sûreté, la notion très floue d’« inconduite notoire », qui suffirait à renvoyer une personne en prison – l’amendement qui nous est soumis par le rapporteur ne nous semble pas de nature à corriger ce flou –, l’instauration, toujours avec un risque d’arbitraire, de la rétention de sûreté en cas de « trouble grave de la personnalité » ou de radicalisation « persistante », l’interdiction de paraître lors des grands événements, ou dans les transports publics, qui peut durer jusqu’à trois ans, ou encore l’omniprésence constante du pouvoir administratif par rapport au pouvoir judiciaire.
Pour l’instant, la rétention de sûreté est une mesure exceptionnelle qui ne concerne qu’un nombre restreint de crimes graves, dont le viol, le meurtre et l’assassinat, la torture et les actes de barbarie, l’enlèvement et la séquestration. Elle a été créée par la loi du 25 février 2008 ; peuvent y être soumis les individus particulièrement dangereux à l’issue de l’exécution de leur peine.
En élargissant aux crimes terroristes le champ de la rétention de sûreté, vous souhaitez donc créer une nouvelle peine après la peine, non pas pour un acte passé, pour lequel une sanction aura déjà été prononcée, mais pour un acte potentiel, en raison de la dangerosité de la personne et selon des critères dont l’imprécision laisse craindre une application totalement arbitraire. Cette nouvelle peine viserait à sanctionner une personne non pas pour ce qu’elle a fait, mais pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle pourrait faire ! Vous cherchez à instaurer une justice prédictive. Nous refusons cette vision digne d’une œuvre de science-fiction dystopique !
Nous constatons une nouvelle fois qu’aucune réflexion de fond n’est menée, notamment sur la radicalisation en détention et sur les outils employés afin de lutter contre celle-ci. Pire, vous faites de la détention l’alpha et l’oméga de la peine, sans vous soucier d’une exposition renforcée à la radicalisation en prison. Pas à pas, chers collègues, vous êtes en train de mettre à mal notre système pénal et, ainsi, notre État de droit. Vous le savez !
Permettez-moi de citer de nouveau Robert Badinter, qui déclarait voilà quinze ans, à propos de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté : « [Notre] système de justice pénale […] repose sur le principe de la responsabilité entendue comme la contrepartie de la liberté. Vous avez choisi de violer la loi, la peine qui vous est appliquée est la sanction de cette violation. Vous répondez de vos actes selon les principes de l’État de droit. À partir du moment où l’on décide de garder quelqu’un en détention au regard d’un crime virtuel qu’il pourrait commettre, parce qu’on le considère comme dangereux, vous êtes passé dans un autre système. Comment voulez-vous alors vous défendre, puisque vous n’êtes accusé de rien ? Comment les magistrats diagnostiqueront-ils la “dangerosité criminologique” ? »
Avec ce texte, vous souhaitez nous faire passer d’une justice de liberté à une justice de sûreté, renouant avec des courants de pensée du XIXe siècle, qui théorisaient le criminel né, un individu amoral commettant des crimes par nécessité biologique, atavique, tel un sauvage.
Ce texte, c’est le renoncement aux principes fondamentaux de notre droit pénal : la présomption d’innocence, le droit à la réinsertion après la peine effectuée, le respect de la vie privée et familiale, le principe de non-rétroactivité du droit pénal et celui de non-cumul des peines. C’est nier ce que toutes les statistiques révèlent : une véritable réinsertion après la peine limite toute récidive.
Modifier ainsi notre droit pénal serait un point de bascule, mais aussi et surtout un point de non-retour, préparant une fois de plus tous les outils qui seraient mis à disposition d’un régime autoritaire, qui pourrait ainsi mettre à terre notre démocratie.
Enfin, deux articles de cette proposition de loi, les articles 9 et 10, nous interpellent particulièrement, car ils ne sont autres que les articles 9 et 23 du projet de loi Immigration récemment adopté. Que viennent-ils faire ici ? Soit ils sont conformes à la Constitution et entreront en vigueur après la décision du Conseil constitutionnel du 25 janvier prochain, soit ils seront censurés pour inconstitutionnalité. Souhaiteriez-vous donc nous faire adopter deux articles qui seraient contraires à notre Constitution ?
Nous regrettons également le véhicule législatif retenu, à savoir une proposition de loi, laquelle, par définition, ne bénéficie pas d’un avis du Conseil d’État.
Au fond, nous partageons, bien sûr, l’objectif de ce texte. Toutefois, nous considérons que les moyens doivent avant tout être tournés vers le renseignement, la prévention et une application proportionnée du droit existant.
Vous l’aurez compris, au cours de ce débat, le groupe socialiste conservera sa position constante : nous serons très vigilants quant au respect de notre État de droit et de nos principes fondamentaux relatifs aux droits de la défense.