Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 4 mars 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Article 4 bis

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Cet amendement a pour objet d’inscrire le principe du respect de la dignité humaine dans le corps de la loi pénitentiaire.

Dois-je vous rappeler, mes chers collègues, que cette notion de dignité humaine est totalement absente du projet de loi ? En effet, après une brève apparition, elle a été supprimée dans le texte adopté par la commission des lois, au motif que le respect de la dignité humaine allait de soi !

Dans ce cas, mes chers collègues, comment expliquez-vous que la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994 soit entièrement consacrée à cette notion et qu’un chapitre du code pénal soit exclusivement consacré aux atteintes à la dignité de la personne ?

Avec votre permission, je me risquerai à une interprétation de cette omission : j’ai bien peur qu’elle ne soit volontaire et qu’elle ne vise à éviter que les détenus puissent contester les conditions de détention et de prise en charge devant un juge ou même devant le Conseil constitutionnel, par la voie de la question préjudicielle de constitutionnalité.

Selon le Conseil constitutionnel, le principe du respect de la dignité humaine constitue un fil conducteur pour l’interdiction de toute forme de dégradation et d’asservissement. Or les conditions, parfois dégradantes et attentatoires à la dignité, dans lesquelles se trouvent placés les détenus en raison de la surpopulation carcérale pourraient, me semble-t-il, donner au Conseil constitutionnel la possibilité de faire condamner l’administration pénitentiaire par voie préjudicielle.

Le code pénal prévoit lui-même que le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, constitue un délit.

Pourquoi le détenu ne pourrait-il pas invoquer une telle disposition ? Pourquoi lui ôter la possibilité de se prévaloir d’une atteinte à sa dignité ?

La Cour européenne a pourtant largement développé sa jurisprudence dans le domaine de l’atteinte à la dignité des détenus : elle n’hésite pas à juger contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme des conditions de détention objectivement inadaptées au bien-être des prisonniers, en prenant en compte, notamment, l’aménagement des cellules, l’aération, la luminosité, la température, la séparation des sanitaires ou l’absence de matériel de couchage.

Il s’agit non pas de science-fiction juridique mais d’une réalité, la France étant régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme sur ce fondement.

On comprend mieux la raison de l’absence de la notion de respect de la dignité des détenus dans le texte qui nous est présenté : cette absence permet d’assurer une immunité de principe à l’administration pénitentiaire contre toute incompatibilité de son action avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Mes chers collègues, ce n’est pas en supprimant la possibilité pour les détenus de se prévaloir de ce principe que nous rendrons nos prisons plus humaines. Ces dernières resteront une honte pour notre République tant que nous empêcherons le droit d’y entrer.

Je propose donc, de manière très solennelle, d’intégrer ce principe de dignité humaine dans le corps de la loi pénitentiaire et d’assurer aux personnes détenues une véritable protection contre les atteintes à leur dignité.

Si vous refusez de donner aux détenus le droit de protéger leur dignité, vous les privez de l’essence même des droits inhérents à la personne humaine. Vous niez leur droit à la dignité !

Ce droit ne se devine pas ; il ne va pas de soi. Au contraire, il se proclame. Nous avons à faire à des populations vulnérables, particulièrement fragiles. Le droit doit les protéger.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion