Madame la présidente, mes chers collègues, cette proposition de loi nous est soumise en seconde lecture dans un contexte particulier.
Monsieur le ministre, 9, 8 %, c’est l’augmentation des prix de l’électricité que vous avez annoncée et à laquelle les Français, l’ensemble des Français, devront faire face cette année. Pourtant, les prix de gros de l’électricité sont revenus à leurs niveaux de l’été 2021. Nous sommes donc face à une décision purement politique du Gouvernement.
Il s’agirait, à vous entendre, de financer des investissements de transition énergétique : après avoir systématiquement balayé les solutions de financement de la transition qui étaient plus justes, mieux ciblées sur les hauts revenus ou sur les superprofits, vous choisissez de faire payer tout le monde de manière uniforme, pour des investissements qui – nous allons le voir – se révèlent pour le moins hasardeux.
Déposée par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui porte sur notre politique énergétique et sur le rôle de l’État actionnaire. Elle traduit un objectif tout à fait rassembleur : assurer l’intégrité du groupe EDF, auquel les Français sont attachés et qu’il faut préserver, tant son intérêt est stratégique pour notre avenir.
Le besoin de protection de ce groupe n’est pas un fantasme. Rappelons la volonté, que traduit le projet Hercule, de procéder à une vente à la découpe, en vendant les activités les plus rentables du groupe EDF tout en gardant les dettes au public. Socialiser les pertes, privatiser les gains : on connaît la chanson… Il était urgent d’en finir avec ce funeste projet.
Que prévoit ce texte en seconde lecture et après son passage en commission au Sénat ? Une contractualisation des activités du groupe EDF avec l’État, un actionnariat public à presque 100 %, une petite part étant réservée aux salariés du groupe, et un élargissement des tarifs réglementés de vente de l’électricité. La navette parlementaire a abouti à ce compromis, qui – disons-le – a affaibli l’ambition initiale du texte.
Cette proposition de loi doit également être l’occasion de s’interroger sur la santé financière d’EDF et sur la responsabilité des gouvernements récents concernant sa dette abyssale.
Cette observation ne vous étonnera guère de ma part : quand on se penche sur les causes de cette dette, on ne peut que constater l’impasse économique du tout nucléaire.
Que ce soit pour la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire ou la construction de nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR), nous sommes face à un gouffre économique. La dette et les investissements à prévoir se comptent en dizaines de milliards d’euros ; les dérapages dans les coûts et les délais confinent même à la folie furieuse. C’est la face cachée d’un mix énergétique français totalement déséquilibré.
Prenons l’EPR de Flamanville : en 2020, la Cour des comptes estimait son coût final à 19, 1 milliards d’euros, bien loin des 9 milliards d’euros prévus à l’origine, tout cela avec douze ans de retard. Comme l’a rappelé Mme la rapporteure, ce projet a abouti à la réouverture d’une centrale à charbon…
Censé prolonger la durée de vie du parc nucléaire au-delà de quarante ans, le grand carénage doit coûter 49, 4 milliards d’euros. Et qu’en est-il de l’EPR anglais d’Hinkley Point ? Le contrat a été signé en 2016 pour un coût de 21 milliards d’euros. Ce montant, déjà record à l’époque, avait provoqué la démission du directeur financier d’EDF… In fine, le chantier devrait coûter quelque 40 milliards d’euros pour les deux réacteurs, 100 % des surcoûts étant assumés par EDF, donc par le contribuable.
Disons-le : la hausse de 9, 8 % du prix de l’électricité que j’évoquais précédemment va payer l’énergie des Anglais. Applaudissons l’expertise française !
J’ajoute que, depuis le discours prononcé à Belfort par le Président de la République, il est prévu de multiplier par six, huit ou quatorze, selon les annonces, ce type de fiasco atomique…
En prenant un peu de recul, que constatons-nous ? Que l’industrie de l’atome, grevée par les retards et les surcoûts, recule dans le monde entier, et pas qu’un peu. En 2022, les investissements dans les énergies renouvelables ont atteint 495 milliards de dollars – c’est un record historique –, contre seulement 35 milliards de dollars pour le nucléaire. Le rapport est de un à quatorze.
Monsieur le ministre, il est temps de mettre un terme à la prédation nucléaire infligée aux crédits de la recherche énergétique et aux budgets d’EDF au détriment des énergies renouvelables.
Oui, il est encore temps de revenir à la raison et de rééquilibrer notre mix : nous attendons donc votre projet de loi de programmation avec une certaine impatience.
Cette version affaiblie du texte initial ne nous enthousiasme pas, mais nous la voterons par esprit de compromis.