Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission – chère Pascale Gruny -, madame la rapporteure Laurence Rossignol, monsieur l’auteur de la proposition de loi Rémi Féraud, mesdames, messieurs les sénateurs, votre ordre du jour appelle aujourd’hui l’examen d’une proposition de loi du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune.
L’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Sénat est l’occasion de nous interroger sur la pertinence de la méthode actuelle d’estimation du nombre de personnes sans domicile ou sans abri.
Cette estimation est une boussole, nous en convenons tous. À cet égard, je vous rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, comment fonctionne une boussole : pour que celle-ci soit utile, il est avant tout nécessaire de savoir où l’on veut aller.
Aussi me permettrez-vous de rappeler à titre liminaire quelques éléments clés de l’action du Gouvernement en matière de lutte contre le sans-abrisme, action qui repose sur deux principes : assumer la montée en puissance d’une politique d’hébergement d’urgence et de mise à l’abri immédiate des personnes vulnérables et accélérer les efforts de l’État en matière d’accès à un logement, non pas de fortune, mais pérenne, des personnes sans domicile.
En ce qui concerne la politique d’hébergement d’urgence, cela a été rappelé, il y a bien 203 000 places ouvertes, un nombre qui a doublé en dix ans et auxquelles il faut ajouter les 114 000 places du dispositif national d’accueil. Il y a donc 317 000 places – dans les Cada, les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), les hôtels, etc. – pour accueillir ceux qui se retrouvent sans domicile.
En outre, au cœur de l’hiver – cela s’est de nouveau produit voilà quelques jours –, l’activation du plan Grand froid permet de rehausser ce niveau.
Enfin, vous l’avez indiqué, Patrice Vergriete a annoncé au début du mois de janvier le déblocage d’une enveloppe supplémentaire de 120 millions d’euros pour créer 10 000 places d’accueil complémentaires pour les publics vulnérables.
Au-delà de la mise à l’abri, il est crucial d’accélérer les efforts de l’État en matière d’accès au logement dans la durée des personnes sans domicile. En l’espèce, notre outil principal est bien le plan Logement d’abord, dans sa première version d’abord, qui a permis de donner un logement pérenne à 440 000 personnes, puis dans sa seconde version, qui a d’ores et déjà permis de loger 110 000 personnes sans domicile fixe.
Telle est notre boussole.
Notre ambition est simple : il s’agit de poursuivre ce travail de mise à l’abri, afin qu’il n’y ait personne à la rue, tout en proposant parallèlement des logements durables à ceux qui ont vocation à rester sur notre territoire.
Voilà le chemin à suivre.
Dans ce contexte, vous nous proposez, monsieur le sénateur Féraud – je tiens d’ailleurs à saluer votre travail, ainsi que celui de la commission et de sa rapporteure, Mme Laurence Rossignol –, une méthode permettant de recenser avec plus d’exactitude la réalité des besoins. Oui, il est méthodologiquement compliqué de faire une estimation robuste, fiable, du nombre de personnes concernées par le sans-abrisme, et ce pour de multiples raisons.
D’abord – c’est tautologique –, une personne sans domicile fixe n’a pas de lieu dans lequel on peut la recenser. Ensuite, certains habitats de fortune ne sont pas connus des agents qui assurent le recensement. En outre, l’absence d’homogénéisation des processus et la part des bénévoles dans ce recensement empêchent que soit appliquée partout la même méthode. Enfin, le recensement de jour ne permet pas de mesurer complètement la réalité du phénomène.
Cela étant dit, nous ne sommes pas totalement aveugles face à ce phénomène. D’abord, un certain nombre de facteurs nous permettent d’estimer le volume des besoins d’hébergement ; c’est d’ailleurs tellement vrai que, chaque année, c’est bien sur le fondement de l’estimation du nombre de sans domicile fixe que nos débats reposent. Cette estimation quantitative s’appuie sur un modèle prenant en compte des données connues ou prévisionnelles et se déduit d’abord des facteurs de pression. Je pense évidemment à l’impact des politiques du logement et d’asile, qui déterminent le nombre de personnes potentiellement expulsées de leur logement dans l’année à venir.
À cette estimation quantitative s’ajoutent des facteurs de fluidité sur les flux entrants et sortants du parc d’hébergement, issus de la mise en œuvre du plan Logement d’abord, de l’attribution des logements sociaux ou encore, dans le sens inverse, des éloignements volontaires ou forcés des personnes à droits incomplets.
J’ajoute que l’observation sociale constitue un point essentiel du plan Logement d’abord. Une connaissance précise des situations et des besoins est impérative pour mieux planifier les politiques d’intervention et organiser le réseau d’acteurs en conséquence, pour une raison : jusqu’à maintenant, nous avons parlé de chiffres et de flux, mais aucun d’entre nous dans cet hémicycle et aucun des élus locaux de ce pays ne conçoit le phénomène des sans domicile fixe et du sans-abrisme comme une simple question de chiffres ; nous le voyons comme une réalité qui recouvre des visages, des prénoms, des parcours, des situations, des silhouettes.
La Dihal coordonne l’amélioration de nos politiques de recensement et les éléments qui peuvent nous aider à affiner ces politiques. Les nuits de la solidarité sont clairement un modèle qui inspire nos discussions ; vous les avez prises en exemple et vous souhaitez les généraliser. Elles sont organisées depuis plusieurs années dans différentes villes – assez peu à l’échelle de notre pays, soyons honnêtes, une quarantaine – et l’ambition de la Dihal c’est d’arriver à harmoniser les méthodes de ces décomptes, au travers d’une démarche de coordination entre les villes volontaires, afin d’aboutir à une méthodologie robuste.
Cela passe également par le lancement d’une nouvelle enquête de l’Insee sur les sans domicile fixe. Elle a déjà été réalisée par le passé et le sera encore en 2025, afin d’améliorer la connaissance à un instant donné de l’ensemble des personnes sans domicile et, au-delà de leur nombre, de leur parcours, car l’enquête va plus loin.
Son champ d’observation est par ailleurs plus large que celui du texte et des nuits de la solidarité. Elle est donc particulièrement exigeante et nécessite des années de préparation, afin d’arriver aux bonnes questions, car elle repose sur un principe : aller à la rencontre des personnes sans domicile dans les services d’aide qu’elles fréquentent, d’hébergement ou de restauration.
Par ailleurs, le service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) s’assure que toutes les personnes identifiées comme sans domicile font l’objet d’une évaluation, en sollicitant si besoin les acteurs locaux.
Je n’en dirai que deux mots, faute de temps, mais je veux saluer le travail de ses agents et le chantier de fiabilisation des données dans son système d’information, le SI-SIAO.
Enfin, la plateforme résorption-bidonvilles fournit de son côté en continu des informations sur les personnes en bidonville et sur les sites dans lesquels elles vivent. Ces personnes ne sont pas sans toit, mais personne ne peut considérer qu’il s’agit d’une situation de logement enviable, durable ou qu’il conviendrait de pérenniser sans l’améliorer.
J’en arrive à votre initiative, qui vise à instaurer un décompte annuel des sans-abri dans chaque commune.
Je le dis d’emblée, j’émettrai un avis favorable sur ce texte, parce qu’il va dans le bon sens, sous réserve de l’adoption des amendements du Gouvernement. Or, en écoutant la rapporteure, j’ai eu le sentiment que nous n’étions pas si éloignés que cela.