Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, déposée par le président de la commission des lois, François-Noël Buffet, qui vient de nous la présenter, ainsi que par les présidents de groupe Bruno Retailleau et Hervé Marseille.
Les tragiques attentats d’Arras et du pont de Bir-Hakeim ont nourri leur réflexion, en vue d’apporter une réponse plus adaptée à de tels actes. La proposition de loi vise à combler plusieurs « trous dans la raquette », des lacunes de la législation pénale en vigueur, et à octroyer aux pouvoirs publics les moyens judiciaires et administratifs indispensables à une lutte antiterroriste efficace.
Sur le fond, la commission des lois accueille favorablement ce texte, qui reprend des dispositions déjà votées par le Sénat. Il est, comme j’ai pu le constater au cours de mes auditions, le fruit d’une réflexion approfondie, nourrie des observations et des propositions des acteurs de terrain de la lutte antiterroriste.
Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder ces sujets, au sein de la commission des lois, au cours des trois ou quatre dernières années ; nous avons déjà fait des propositions qui allaient dans le même sens.
Ce texte a le mérite de présenter un dispositif cohérent. En effet, si le législateur a renforcé l’arsenal antiterroriste au cours des dernières années, il s’est concentré, comme l’a souligné M. Buffet, sur les menaces exogènes. Nous nous sommes surtout intéressés, jusqu’à présent, à la répression et au régime des peines, sans anticiper la question du suivi à l’issue de l’exécution de la peine, alors même que nous savions que certaines des personnes sortant de prison sont – le procureur antiterroriste le dit lui-même – des menaces potentielles.
Aujourd’hui, la menace terroriste est devenue endogène : elle a donc un caractère plus imprévisible qu’auparavant. Les attaques sont désormais perpétrées non plus par des groupes armés, mais par des individus solitaires, qui ne bénéficient pas de l’appui de réseaux djihadistes très organisés, mais se sont radicalisés sur les réseaux sociaux et ont recours, le plus souvent, à des armes blanches en vente libre.
Nous sommes donc dans une situation peu satisfaisante : les individus condamnés pour des faits de terrorisme sont aujourd’hui les plus suivis en détention, y compris sur le plan psychiatrique, mais les moins accompagnés à compter de leur libération. En outre, les « loups solitaires », dont certains sont mineurs, profils qui représentent désormais l’écrasante majorité des individus suivis par les services de renseignement, adoptent des comportements et des modes opératoires mal appréhendés par le droit pénal : autoradicalisation en ligne, détention de centaines d’images de crimes et d’apologie du terrorisme, etc.
Bien entendu, l’arsenal législatif est déjà très important. Pour autant, comme me l’ont indiqué, à la quasi-unanimité, les acteurs compétents, les outils tant judiciaires qu’administratifs se révèlent incomplets et inadaptés à l’enjeu.
Enfin, les événements à venir dans notre pays ne font que renforcer l’acuité de ces problèmes.
La proposition de loi soumise à l’examen de notre Haute Assemblée n’a pas pour objet de bouleverser les équilibres construits au cours des dernières années. Elle vise principalement à consolider cet édifice juridique et à remédier aux lacunes que je viens d’évoquer, qui ont été mises au jour par les récents attentats.
Les dispositions initiales de la proposition de loi présentée par François-Noël Buffet ont reçu, dans leur grande majorité, notre assentiment.
Avec l’ensemble des acteurs de la lutte antiterroriste que nous avons auditionnés, nous sommes en effet convaincus qu’il est nécessaire de corriger certaines dispositions pénales afin d’en améliorer l’efficacité et l’opérationnalité.
Nous avons apporté une attention particulière à l’équilibre entre, d’une part, l’opérationnalité et l’efficacité des mesures et, d’autre part, la garantie des droits et libertés constitutionnels. En liaison avec les acteurs concernés, nous sommes parvenus à un texte dont l’équilibre est harmonieux et pesé au trébuchet. Je serai donc défavorable aux amendements tendant à supprimer un article ou certaines de ses dispositions, pour ne pas rompre cet équilibre qui fut difficile à trouver.
S’agissant des mesures judiciaires de sûreté, déjà évoquées par M. Buffet, la commission les a fait évoluer sur trois points.
Compte tenu du bilan non concluant du déploiement de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste – une seule personne se l’est vu appliquer –, il est indispensable de garantir son adéquation aux profils des individus concernés.
La définition de l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste est déjà très exigeante ; les critères de dangerosité de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste le sont presque autant, ce qui rend cette mesure quasiment inapplicable. C’est pourquoi nous avons reformulé les critères, pour viser une probabilité élevée de récidive et une adhésion avérée à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme, plutôt qu’une probabilité très élevée et une adhésion persistante à ces idéologies.
Soucieux de garantir la proportionnalité de la mesure et d’éviter de fragiliser le dispositif éprouvé des Micas – les services secrets ont insisté, à raison, sur ce point –, nous avons contrebalancé cet élargissement par l’ajout de plusieurs garanties. D’une part, nous avons renforcé le volet de réinsertion et d’accompagnement, en permettant aux juges de l’application des peines de prononcer une injonction de soins pour certains profils. D’autre part, nous avons exclu du contenu de la mesure élargie les trois mesures de surveillance particulièrement attentatoires aux libertés que sont l’interdiction de paraître en certains lieux, l’obligation d’établir son domicile en un lieu donné et l’interdiction de port d’une arme ; rappelons que ces mesures figurent déjà dans bien d’autres dispositifs, en particulier les Micas.
De la même manière, la commission a limité le champ des mesures de rétention de sûreté aux seuls individus condamnés pour des crimes terroristes à des peines supérieures ou égales à quinze ans de prison.
En ce qui concerne le volet administratif, nous avons souhaité maintenir le caractère obligatoire d’une autorisation judiciaire préalable pour les opérations d’achat effectuées par des enquêteurs sous pseudonyme, tout en aménageant les modalités de sa délivrance lorsque les produits concernés sont licites.
Par ailleurs, nous avons choisi de substituer à l’interdiction de paraître dans les transports en commun prononcée dans le cadre d’une Micas une interdiction de paraître autonome, moins attentatoire aux libertés individuelles et plus facile à mettre en œuvre, notamment dans la perspective des jeux Olympiques.
Enfin, en matière de dissolution des associations et des groupements, il nous est apparu plus opportun de consacrer dans la loi la récente définition de la provocation énoncée par le Conseil d’État et d’instituer un régime de dévolution des biens des associations ayant fait l’objet d’une telle procédure, pour faire échec à leurs stratégies de revente de leurs biens.
En matière pénale, la commission s’est attachée à renforcer la cohérence judiciaire du texte et à améliorer la pénalisation de certains comportements particulièrement dangereux.
Nous avons ainsi réécrit la définition de l’infraction réprimant la détention de contenus apologétiques, afin de l’entourer d’une série de garanties permettant d’en assurer la constitutionnalité. Pour ce faire, nous avons restreint le champ d’application de l’infraction par deux moyens : d’une part, en introduisant un critère de gravité restreint, en ne sanctionnant que la détention des contenus les plus graves ; d’autre part, en le complétant d’un élément intentionnel : l’infraction ne serait constituée qu’à condition que l’adhésion de l’auteur à un ou plusieurs crimes terroristes soit manifeste.
Nous avons ainsi tiré les conséquences de la censure du Conseil constitutionnel, qui portait sur une création jurisprudentielle exprimant une interprétation extensive de ce délit : tel n’est pas le choix du Sénat.
En outre, forte des propositions des acteurs judiciaires et administratifs, la commission a souhaité introduire dans le texte des mesures additionnelles.
Je pense en particulier à l’intégration au délit d’apologie du terrorisme de la diffusion, dans certains cas de figure, de contenus apologétiques sur les réseaux privés de communication.
Je pense également à l’obligation d’information du procureur de la République en cas de demande de changement de nom d’une personne condamnée pour des crimes à caractère terroriste.
Je pense enfin au renforcement des informations communiquées aux préfets s’agissant de soins délivrés, sans leur consentement, à des personnes radicalisées, ou aux autorités académiques s’agissant des personnes scolarisées mises en examen ou condamnées pour une infraction terroriste.
Enfin, mes chers collègues, pour tenir compte des observations de plusieurs d’entre vous sur certains points, je vous proposerai d’adopter quelques amendements qui visent à consolider les avancées déjà votées en commission des lois.
Par ailleurs, j’ai revu la notion d’« inconduite notoire » en prenant en considération les observations pertinentes de plusieurs d’entre vous. L’intention du procureur antiterroriste en la matière était justifiée, mais la formulation était inadaptée : je vous présenterai donc un amendement tendant à la modifier.
Nous défendrons également un amendement systématisant l’information des procureurs en cas de demande de changement de nom d’un condamné terroriste.
Par ailleurs, nous donnerons un avis favorable sur les amendements de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio qui visent à accélérer les procédures devant la commission d’expulsion et à garantir le maintien en centre de rétention administrative de tout étranger mis en cause pour des faits de terrorisme.
Enfin, nos collègues Hervé Marseille et Nathalie Goulet proposent des avancées en matière de lutte contre le financement du terrorisme et de sécurisation, au moyen de technologies nouvelles, des grands événements. Nous y serons favorables.
Pour conclure, je souhaite rappeler, à l’instar de François-Noël Buffet, que le Sénat a toujours fait preuve de responsabilité face au défi du terrorisme. Dès 2014, la commission des lois a pris l’initiative de plusieurs évolutions législatives, qui ont permis de renforcer considérablement l’arsenal pénal, dans le strict respect des libertés individuelles.
C’est ce même état d’esprit qui doit aujourd’hui nous guider et nous amener, collectivement, à approuver ce texte. Doter les pouvoirs publics de nouveaux moyens adaptés à la prise en charge des nouveaux visages de la menace terroriste est une priorité pour la sécurité des Français.