Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 23 janvier 2024 à 14h30
Condamnés terroristes et lutte antiterroriste — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le terrorisme est toujours présent en France, cela a été largement rappelé.

La question posée cet après-midi est la suivante : avons-nous tout fait pour lutter contre le terrorisme ? En l’absence de totale certitude, l’exécutif et le Parlement ont l’obligation de faire le maximum. Le garde des sceaux a tout à l’heure évoqué un objectif louable ; tout comme le président de la commission des lois, il a la volonté de supprimer les angles morts. Chacun est d’accord pour mener, le plus efficacement possible, la lutte contre le terrorisme. Je ne crois pas, ma chère collègue Corinne Narassiguin, qu’il s’agisse d’une question de communication politique : nous nous passerions bien d’avoir à mener ce combat !

Depuis 2015, le sujet de la lutte contre le terrorisme n’a jamais quitté le champ des préoccupations du Parlement. Je pense aux mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, à la loi Silt de 2017, à la loi du 17 août 2020, qui a créé une mesure judiciaire de suivi et de surveillance dite post-sentencielle, ainsi qu’aux dispositions de 2021 sanctuarisant les Micas, que vous avez tous en tête.

Ces textes successifs démontrent la difficulté de la tâche, dans ses dimensions tant opérationnelles que juridiques. Votre travail, monsieur le rapporteur, a été de tenter de concilier, dans le cadre de l’analyse des propositions de nos collègues auteurs de la proposition de loi, les contraintes opérationnelles et la logique de conformité constitutionnelle.

Le volet constitutionnel a été largement évoqué durant les débats. Sans faire, bien entendu, nulle référence à l’actualité de demain, je crois qu’on peut le considérer sous deux angles.

Sur un plan direct, les garanties proposées, notamment pour les mesures de sûreté – je pense à l’adhésion « persistante » et à la probabilité « très élevée » –, permettront-elles de franchir le test de constitutionnalité ? On le voit bien, les éléments sont subtils.

Par ailleurs, sur un plan indirect, l’évolution de la menace ne constitue-t-elle pas un facteur d’évolution de l’appréciation de la proportionnalité et de la nécessité des mesures envisagées ?

Je serais tenté de dire que ces deux plans ont une influence. Chacun constate l’évolution de la menace terroriste. Vous avez fait référence, mes chers collègues, aux loups solitaires, à l’idée qu’une radicalisation peut survenir alors même que l’on est isolé. Ainsi les responsables des mosquées font-ils aujourd’hui référence, lorsque l’on discute avec eux, à l’« imam Google », qui a remplacé leur propre autorité. Il existe donc une autoradicalisation.

Par ailleurs, ce sont des personnes condamnées à des peines longues à la suite d’actes terroristes qui vont bientôt sortir de prison. Or la lutte contre la radicalisation n’a obtenu qu’une réussite limitée ; c’est d’ailleurs l’un des points faibles de notre société. En outre, le taux de troubles psychiatriques parmi ces personnes est important.

Dans ces conditions, il est normal d’examiner au mieux les conditions d’équilibre et de proportionnalité des mesures proposées. Je ne crois pas qu’il y ait là une référence à une justice que l’on pourrait dire « prédictive ». Quant à la loi de 2008 sur la rétention de sûreté, elle n’a qu’un lointain rapport avec les sujets qui nous occupent aujourd’hui. Il me semble donc difficile de reprendre des citations de l’époque !

Le groupe Union Centriste considère que les deux nouvelles rétentions de sûreté proposées vont dans le bon sens. Elles concernent, d’une part, les personnes condamnées pour fait de terrorisme atteintes de troubles psychiatriques graves et, d’autre part, les personnes condamnées encore engagées dans une idéologie radicale.

Nous approuvons une telle extension. Nous approuvons aussi que soit retravaillé – c’est peut-être l’un des points les plus délicats de la proposition de loi – le délit de recel d’apologie du terrorisme. La conciliation entre les libertés, le principe de légalité d’une infraction et l’objectif à valeur constitutionnelle d’ordre public est un problème qui résonne singulièrement.

Il nous faut tout de même mesurer l’importance du sujet à traiter, au-delà de la qualification juridique. Si, à l’occasion d’une visite domiciliaire, sont révélés la détention ou l’enregistrement de données à caractère terroriste, que fait-on ? On voit bien que le choix est entre judiciariser, avec les garanties qui en résultent, et ne rien faire, ce qui, dans une telle situation, me paraîtrait extrêmement perturbateur. C’est un risque qu’il serait difficile de prendre, alors même que nous prenons bien volontiers en considération l’attention que vous avez manifestée pour la qualité de la rédaction de cette disposition.

J’avoue avoir un faible pour la créativité des auteurs de la proposition de loi et de notre rapporteur, qui souhaitent aller chercher, si vous me permettez cette formule, la diffusion de contenus faisant l’apologie du terrorisme sur des réseaux de communication privés, lorsque l’ampleur de cette diffusion est importante ou en cas d’absence, entre les destinataires, d’intérêts communs autres que celui pour le terrorisme. Je crois en effet que l’autoradicalisation peut s’alimenter dans des groupes WhatsApp, Telegram et autres, en tout cas dans la fréquentation d’un environnement qui isole et fournit une sorte de substrat mortifère.

Je suis un peu plus réservé sur la peine complémentaire de bannissement numérique. Je comprends, monsieur le rapporteur, que ce sont les mineurs qui seraient particulièrement visés. Toutefois, je vois mal ce qui interdirait de créer des profils successifs, sauf à ce que les plateformes bannissent à partir de l’identifiant de connexion, ce qui me paraît plus compliqué.

En outre, je vois mal la portée de l’interdiction de paraître dans les transports en commun, même si je comprends bien que vous avez en tête les jeux Olympiques.

Enfin, s’agissant des articles 9 et 10, ils seront revus dans le cadre de la navette.

Malgré la lourdeur et la noirceur du sujet, je souhaite conclure de manière un petit peu plus ludique, en évoquant l’« inconduite notoire » comme motif de retrait d’un sursis probatoire. Une telle référence m’a quelque peu étonné, même si je partage, monsieur le rapporteur, votre souci d’en trouver une. Je dois cependant l’admettre, l’article 733 du code de procédure pénale fait bien référence à l’inconduite notoire comme motif de retrait d’une libération conditionnelle, ce qui montre que le droit pénal peut aussi réserver quelques surprises !

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