Intervention de Louis Mermaz

Réunion du 4 mars 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Article 10

Photo de Louis MermazLouis Mermaz :

L’article 10 concerne les droits des détenus. Dans un instant, M. Anziani présentera, au nom de notre groupe, un amendement visant à ce que cet article mentionne également « l’état de santé » des détenus.

Les droits des détenus, est-il écrit dans l’article, ne peuvent faire l’objet « d’autres restrictions » que celles qui sont indiquées. Au seul énoncé de ces mots, nous dressons forcément l’oreille, nous y regardons à deux fois et nous commençons à nous inquiéter. SI certaines de ces restrictions sont de bon sens, d’autres sont vagues ; d’autres encore sont si générales que l’on se demande comment elles vont se traduire dans la réalité.

Ne sont considérées, dit le texte, que les restrictions résultant « des contraintes inhérentes à la détention » – voilà qui paraît de bon sens – « du maintien de la sécurité » –pourquoi pas ? – « et du bon ordre des établissements » – soit.

Ces restrictions, cependant, en raison de leur caractère éminemment flou, ont toujours permis aux établissements pénitentiaires de jouir, au fond, d’une autonomie considérable, car on peut tirer de telles phrases toutes les conséquences que l’on souhaite.

En effet, même si le juge administratif a progressé, dans les années récentes, vers davantage de contrôle – les détenus saisissent de plus en plus le Conseil d’État –, celui-ci n’intervient jamais qu’après les faits, et parfois longtemps après. C’est la même chose qui se passe avec les expulsions d’étrangers : quand les instances délibèrent et décident d’un cas, cela fait bien longtemps que la personne concernée est repartie dans son pays !

Les décisions interviennent bien trop tard pour peser réellement sur la vie des détenus. Les pratiques carcérales ne changent donc pas forcément.

Le projet de loi ajoute aux restrictions précédentes « la prévention de la récidive » et « l’intérêt des victimes », ce qui est très flou. Qu’entend-on vraiment par là ? En quoi la restriction des libertés de la personne incarcérée peut-elle porter atteinte aux intérêts des victimes ? C’est à l’administration pénitentiaire de l’apprécier.

Il est indiqué enfin : « Ces restrictions tiennent compte de l’âge et de la personnalité des détenus. » Tout à l’heure, nous demanderons que l’on tienne compte aussi de leur état de santé, ce qui, assez souvent, n’est pas le cas, faute de moyens.

Mais ce qui nous inquiète surtout, c’est que le projet de loi ne fait pas de différence entre les droits absolus et ceux qui peuvent être soumis, dans leur exercice quotidien, à de telles restrictions. Or, celles qui sont proposées sont générales et potentiellement considérables.

Le Comité des droits de l’homme de l’ONU relevait en juillet 2008 « les efforts notables entrepris par la France pour rénover les bâtiments pénitentiaires ». C’est donc qu’il y a tout de même quelques avancées dans ce domaine ! Les efforts en question, était-il précisé, visaient également à « augmenter le nombre de places pour les prévenus ». Or, malgré cela, le taux d’occupation des prisons est actuellement de 136 %.

Dans son rapport, le Comité soulignait encore le souci de « mettre au point des mesures de substitution à l’incarcération, comme le maintien en liberté sous surveillance ». Ce mouvement est toutefois beaucoup trop lent, même si les choses commencent à bouger.

Le Comité donnait donc « acte à la France des projets tendant à recueillir systématiquement des données sur les allégations de mauvais traitements par les représentants de forces de l’ordre ». Pour autant, il se déclarait inquiet de ce que ces projets ne permettaient pas toujours d’y voir très clair.

Nous rendons toujours hommage – et à juste titre – au travail de la police et des personnels pénitentiaires, mais il faut tout de même être objectif et reconnaître que certains agents sont moins bons que d’autres ! Parfois, des brutalités et des violences sont commises par les représentants des forces de l’ordre envers les détenus.

Dire cela n’est absolument pas mettre en question l’autorité et la bonne conduite d’une immense majorité de ces personnels. Le Comité faisait pourtant état de « préoccupations […] quant aux comportements non déontologiques de certains agents pénitentiaires, notamment le recours inapproprié à l’isolement cellulaire et les violences à l’intérieur de la prison ». D’où la nécessité de renforcer le contrôle des établissements pénitentiaires « de façon énergique ». C’est le travail du contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue, qui apparaît comme un homme très soucieux de bien remplir la mission qui lui a été confiée.

Le Comité des droits de l’homme de l’ONU se déclarait également « préoccupé par les allégations indiquant que des étrangers dont des demandeurs d’asile, détenus dans des prisons » – où, à mon sens, ils n’ont rien à faire – « et des centres de rétention administrative sont l’objet de mauvais traitements de la part des agents des forces de l’ordre ».

Encore une fois, je rappelle que c’est le Comité, et non pas moi, qui relève ces allégations. Le rapport signale ensuite « que la France n’a pas ouvert d’enquête sur ces violations des droits de l’homme ni sanctionné comme il convient leurs auteurs. » Nous avons souvent eu, dans cette assemblée, l’occasion de nous préoccuper du sort des demandeurs d’asile et de regretter le tort que fait au renom de la France, au niveau international, la façon dont ils sont traités.

Le commissaire européen aux droits de l’homme souligne, dans son récent rapport du 20 novembre 2008, que la réforme proposée de la législation pénitentiaire ne doit pas occulter le respect des droits fondamentaux des personnes détenues. Or il constate lui aussi que « la diminution de la durée de placement en quartier disciplinaire » est une urgence, dont nous aurons à nous préoccuper.

Et, de ce point de vue, ni le Gouvernement, ni même la commission, à mon sens, ne vont assez loin dans le présent projet de loi. Le commissaire européen évoque aussi la nécessité d’un « encadrement de l’isolement » et celle de garantir « le doit effectif de vote ». En effet, ce dernier existe dans les textes, mais n’est pas toujours appliqué. Il est aussi fait mention du « maintien des liens familiaux », sur lequel nous reviendrons. Sur tous ces aspects, la France ne respecte pas nécessairement les recommandations qui lui ont été faites.

Le commissaire européen insiste également sur la nécessité de « garantir le principe de l’encellulement individuel, pour les prévenus », et j’ajouterai : « pour les autres aussi ». Nous avons déjà parlé de ce point et y reviendrons.

Il demande en outre de mettre fin aux conditions de détention que nous connaissons, à savoir « le surpeuplement, la promiscuité et la vétusté des installations et des conditions d’hygiène. » Tout cela a déjà été amplement décrit.

Pour terminer, je rappellerai que la Commission nationale consultative des droits de l’homme a elle aussi voulu se faire entendre sur le sujet. Elle s’est référée au rapport Canivet du 6 mars 2000, dont nous parlons sans cesse, pour considérer que, très souvent, dans les textes – aussi bien législatifs que réglementaires – une trop grande liberté d’appréciation est laissée à l’administration.

L’article 10 du projet de loi, par des recours abusifs à des formulations telles que les « contraintes inhérentes à la détention », le « maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements » ou encore la « prévention de la récidive et […] la protection de l’intérêt des victimes », n’encadre pas juridiquement la détention avec toute la précision et la prévisibilité qu’il faudrait.

Pour ces raisons, nous demandons non seulement qu’il soit tenu compte de l’âge du détenu, mais aussi que M. le rapporteur, dont la plume est d’une grande vélocité, veuille bien préciser, dans cet article, que les droits des détenus doivent être garantis sans aucune discrimination.

En effet, nous ne voulons pas que les restrictions prévues, qui doivent tenir compte de l’âge, de la personnalité ou encore, comme nous allons le proposer dans un instant, de l’état de santé des détenus, risquent de porter atteinte à l’universalité des droits des détenus.

Il nous paraît donc souhaitable – et nous demandons à M. le rapporteur de bien vouloir envisager une rectification de l’article dans ce sens – de préciser que « l’administration pénitentiaire garantit à tout détenu le respect de ses droits sans discrimination d’aucune sorte ». Les améliorations et les traitements particuliers que nous souhaitons voir accorder aux personnes âgées, malades ou à celles se trouvant dans un état mental déficient ne doivent pas signifier que les autres détenus peuvent être maltraités ou abandonnés !

Nous proposons donc que soient encadrés les pouvoirs du service public pénitentiaire. Nous ne devons laisser aucune possibilité à l’administration pénitentiaire d’agir de manière discrétionnaire. Il en va de l’honneur de notre administration.

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