Leur intention est louable, puisque tous trois souhaitent, au travers de ce texte, « améliorer le suivi post-carcéral des individus condamnés pour des faits de terrorisme » ou encore « compléter l'arsenal administratif et pénal de lutte antiterroriste », ainsi que l'indique l'exposé des motifs.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a maintes fois témoigné de sa volonté constante de faire face à la menace qui pèse sur nos concitoyens, comme l'a rappelé, au cours des débats, ma collègue Mme Corinne Narassiguin.
Lorsque nous étions aux responsabilités, nous avons fait évoluer le droit. Ainsi, en 2014, nous avons créé de nouvelles infractions, afin de permettre la judiciarisation de personnes n'étant pas encore passées à l'acte et de renforcer la capacité de l'action judiciaire. En 2015, nous avons proposé la loi relative au renseignement. De plus, la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale a introduit la « peine complémentaire » de « suivi socio-judiciaire ».
Plus récemment, notre groupe a voté la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, dite Lopmi, pour doter nos services de renseignement de moyens supplémentaires.
Cependant, les solutions proposées par le texte que nous examinons aujourd'hui nous laissent sceptiques. Elles nous semblent poser des difficultés juridiques, du point de vue tant de leur constitutionnalité que de leurs effets sur le droit pénal.
La constitutionnalité de ce texte est un sujet en soi. On l'a vu lors de l'examen du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, dit Immigration, cette question n'a pas trop perturbé la majorité de cet hémicycle.
Selon nous, elle est au contraire centrale.
D'une part, parce qu'un exemplaire original de la Constitution de la Ve République, exposé dans la salle des conférences, nous rappelle constamment à l'ordre.
D'autre part, parce qu'elle emporte de réelles conséquences pour notre société, comme nombre de voix de la droite républicaine l'ont rappelé en fin de semaine dernière. « Quand les responsables politiques chauffent tout le monde à blanc, vous risquez d'avoir une fin de mandat qui pourrait un jour ressembler à celle de Trump. » C'est bien en ces termes que s'est exprimé Xavier Bertrand.
Notre Constitution n'est pas un simple ouvrage dans une vitrine, elle constitue l'un des piliers de l'État de droit. Aussi aurions-nous apprécié de pouvoir bénéficier d'un avis du Conseil d'État sur ce texte. Or les caractéristiques formelles des propositions de loi nous privent de l'automaticité d'une telle saisine.
De tels éclairages auraient été utiles s'agissant du concept d'« inconduite notoire », mis en cause sur toutes les travées, comme de la nouvelle forme de mesure prévue pour« renforcer les Micas », selon l'expression même des auteurs. Pour autant, le Gouvernement craint que cela ne vienne « fragiliser la légalité des Micas qui seraient prononcées [...], alors que les Micas permettent de prononcer des obligations plus rigoureuses ».
Voter ce texte, c'est aussi renoncer aux principes fondamentaux de notre droit pénal, tels que la présomption d'innocence, le droit à la réinsertion après la peine effectuée, le respect de la vie privée et familiale, le principe de non-rétroactivité du droit pénal et celui de non-cumul des peines.
Mes chers collègues, l'enfer est parfois pavé de bonnes intentions. Or nous craignons justement que ce texte, aux objets louables, ne se révèle infernal. Le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux ont multiplié les avis de sagesse lors de nos débats, tout en tentant de nous faire comprendre que certaines mesures devraient être supprimées ou améliorées, à tout le moins retravaillées.
La sagesse sénatoriale peut être mise en doute, si nous adoptons des mesures dont nous connaissons d'avance la fragile constitutionnalité. Le récent épisode de la loi Immigration doit nous appeler collectivement à la plus grande prudence sur les possibilités de rattraper le tir au cours de la navette parlementaire.
Notre choix est clair : nous ne voterons pas un texte dont nous savons qu'il est en partie inconstitutionnel. §