Intervention de Bruno Le Maire

Commission des affaires européennes — Réunion du 12 décembre 2023 à 17h00
Comptes rendus de la commission des affaires europeennes

Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :

Je partage bien entendu votre appréciation, monsieur le président, sur le fait que nous ne sommes pas parvenus encore à un accord global. Une année de négociation et de nombreuses réunions, à Berlin et à Paris, auront été nécessaires pour obtenir un accord franco-allemand. Pourquoi sommes-nous finalement tombés d'accord ? Du point de vue allemand, le souci de parvenir à des règles crédibles prévalait. Comme je l'ai indiqué, des règles dures qui ne sont jamais appliquées ne font pas des règles. Des règles crédibles sont bien plus efficaces. Du côté français, notre ligne constante a été de préserver notre capacité d'investissement et de réforme, puisqu'elle est au coeur de notre stratégie de politique économique dont l'objectif est la croissance et l'emploi. Et je constate d'ailleurs que la croissance française est aujourd'hui supérieure à la croissance allemande.

Enfin, les Allemands n'acceptent de dérogation à la règle du 0,5 point d'ajustement structurel par an qu'à la condition qu'elle ne s'applique qu'en 2025, 2026 et 2027. Cette disposition nous convient tout à fait, dans la mesure où la France n'a pas vocation à rester structurellement au-dessus des 3 % de déficit. Cependant, elle implique qu'une fois revenus sous les 3 % de déficit, en 2027 au plus tard, nous devrons y rester. Autrement dit, la flexibilité que nous avons obtenue est une flexibilité transitoire. Dans le cas inverse, si cette règle avait été permanente, un État pourrait revenir sous le seuil des 3 % à la faveur d'investissements et de réformes structurelles, puis repasser à nouveau au-dessus des 3 % au cours des années suivantes. Je considère que la flexibilité transitoire que nous avons obtenue constitue une bonne chose pour la France, parce que cette disposition nous contraint à terme à respecter la règle des 3 % de déficit. Elle n'incite pas de façon permanente à dépasser la barre des 3 % et ainsi à déroger à la règle. En d'autres termes, nous avons accepté une règle transitoire parce que la France n'a pas vocation à voir son déficit excéder en permanence le seuil des 3 %, et l'Allemagne de son côté a accepté qu'il soit tenu compte de notre stratégie économique d'investissements et de réformes structurelles dans notre chemin pour revenir sous ces 3 %.

Cet accord est compatible avec la loi de programmation des finances publiques. En effet, l'ajustement structurel s'élève à 0,35 point en moyenne par an. Mais grâce à la souplesse offerte par les investissements et les réformes structurelles, il correspond au 0,5 point fixé comme règle. C'est précisément en cela que la flexibilité s'avérera très utile pour les années 2025, 2026 et 2027.

Enfin, les investissements sont en lien avec les objectifs stratégiques fixés par l'Union européenne sur la défense, et les objectifs stratégiques sur le climat, à savoir Fit for 55 et le Net Zero Industry Act (NZIA). Il s'agit de choix structurants pour l'avenir de l'Europe. Si nous n'investissons pas dans ces domaines, c'est-à-dire la décarbonation, les batteries électriques, l'hydrogène vert, les anodes et les cathodes, l'éolien, les panneaux solaires ou la chimie, alors nos industries iront s'installer aux États-Unis. Si l'Europe n'investit pas massivement dans l'industrie verte, celle-ci s'implantera aux États-Unis et bénéficiera, entre autres facilités, de l'Inflation Reduction Act, le crédit d'impôt mis en place par le gouvernement américain. Alors nous aurons été responsables de la désindustrialisation du continent européen. L'industrie verte est une nouvelle révolution industrielle. La France a poussé un projet de loi industrie verte, soutenu au Sénat, et nous sommes le premier État en Europe à mettre en place ce crédit d'impôt sur l'industrie verte. La décarbonation doit constituer une opportunité de réindustrialisation. Les États-Unis l'ont parfaitement compris, la Chine l'a parfaitement compris, l'Europe ne l'a compris qu'à moitié.

Il en va de même pour les innovations et en particulier l'intelligence artificielle. Si nous ne mobilisons pas d'importants moyens financiers sur ce sujet, nous échouerons. Le Président de la République s'est exprimé très clairement hier pour rappeler que si notre régulation est plus stricte que celle des Américains, alors nous aurons moins d'innovations que les Américains, et les entreprises de l'intelligence artificielle européenne ne prospèreront pas. C'est la raison pour laquelle nous plaidons pour que les niveaux de régulation mis en place en Europe ne soient pas plus stricts que ceux mis en place par le décret présidentiel américain.

Les investissements ne doivent pas reposer uniquement sur les États, dont les finances publiques sont dégradées. Un des enjeux clés est d'unir les marchés de capitaux. En effet, le financement bancaire ne suffira pas à soutenir l'investissement. Nous ne trouverons pas 100 milliards d'euros auprès des banques, surtout dans une période où les taux d'intérêt sont élevés. Il convient donc de trouver d'autres voies de financement, notamment par des fonds d'investissement. Je ferai des propositions en ce sens dès le début de l'année 2024. Depuis cinq ans, nous négocions l'union des marchés de capitaux sur une base globale supposant une supervision générale et la fusion de tous les superviseurs nationaux en un seul superviseur européen. Trop ambitieuse, cette négociation est vouée à l'échec. Il convient par conséquent de changer de méthode au profit d'une méthode d'opt-in, dans laquelle deux, trois ou quatre États fusionneraient leur supervision, et ensuite inviteraient à les rejoindre les autres États intéressés par une union des marchés de capitaux. J'estime que nous devons nous montrer plus pragmatiques et plus rapides sur ce sujet, dans la mesure où les besoins en capitaux sont massifs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion