Intervention de Bruno Le Maire

Commission des affaires européennes — Réunion du 12 décembre 2023 à 17h00
Comptes rendus de la commission des affaires europeennes

Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :

À propos du calendrier, permettez-moi d'être très clair : ou bien nous parvenons à un accord avant la fin de l'année, ou bien il n'y a pas d'accord du tout. Il me semble impossible de repartir pour une négociation avec une nouvelle présidence de l'Union européenne, après la négociation que nous venons de mener, qui a été âpre et longue. Par conséquent, et comme je l'ai toujours indiqué, nous devons conclure avant la fin de l'année 2023. J'estime que l'esprit porté de compromis dont ont fait preuve l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la France, devrait inspirer l'ensemble des autres États membres, sans quoi nous reviendrions aux anciennes règles, inapplicables et témoignant d'une faiblesse politique européenne. En cas d'accord, le trilogue devrait se tenir en février 2024 au plus tard. L'année 2024 serait une période de transition et les nouvelles règles s'appliqueraient en 2025.

Le déclenchement de la procédure pour déficit excessif sera décidé au printemps prochain. Il est hautement probable que la France, comme une dizaine d'autres États européens, n'y échappe pas, puisque son déficit public excède les 3 %. Dans ces conditions, conserver une marge de manoeuvre pour les investissements et pour les réformes est primordial.

Je rejoins totalement vos propos, madame Blatrix Contat, sur les choix que l'Union européenne doit opérer. Les règles du Pacte de stabilité et de croissance sont importantes pour fixer un cadre collectif. Cependant, l'enjeu pour l'avenir européen consiste à renouer avec notre capacité à retrouver de la productivité. Sans productivité, l'Europe connaîtra un appauvrissement collectif. La productivité dépend de facteurs parfaitement identifiés : la formation, la qualification, l'accompagnement des salariés, ainsi que l'investissement dans l'innovation et dans les technologies de rupture telles que l'intelligence artificielle. Dès lors, un choix stratégique se présente à nous. Certains pays d'Asie, à l'exemple de Singapour, ont renoncé à bâtir une intelligence artificielle indépendante et utilisent massivement l'intelligence artificielle importée des États-Unis. Ils en retireront des gains de productivité considérables dans les années à venir. Si nous, Européens, n'investissons pas non seulement dans l'application actuelle de l'intelligence artificielle, mais dans notre propre intelligence artificielle, alors nous resterons sur le bas-côté et nous perdrons la course face aux États-Unis, aux pays asiatiques, à la Chine et à tous les pays développés. Il convient donc de se montrer très attentif sur ce sujet, car deux Europe peuvent se profiler à échéance de 25 ou 30 ans : une Europe repliée sur elle-même, vieillissante, en perte de productivité et qui s'appauvrit collectivement, et une Europe ayant résolument opté pour les nouvelles technologies, l'investissement, la productivité, la formation et qui demeure l'une des grandes puissances économiques de la planète. Ne confondons pas la fin et les moyens. Le Pacte de stabilité et de croissance est le moyen de garantir la stabilité financière de l'Europe, mais il n'est pas une fin en soi. Je me suis efforcé sans relâche d'expliquer ceci à tous les États européens à l'occasion des réunions très constructives que nous avons eues ces six derniers mois. Le Pacte de stabilité et de croissance doit être au service d'un objectif politique, celui d'une Europe prospère, sûre et décarbonée.

Vous me demandez, madame Lavarde, si les nouvelles règles prévues sont trop complexes. Je considère qu'elles sont bien plus simples que les règles existantes. Bien plus simples, par exemple, que la règle incompréhensible du 1/20ème que j'ai évoquée dans mon propos introductif.

Existe-t-il un risque de procyclicité ? Certainement, il s'agit naturellement d'un risque majeur, parfaitement identifié, et vous avez raison de le souligner. Rien ne serait pire en effet que des règles budgétaires qui maintiendraient l'Europe dans la croissance molle, voire dans la récession. Cependant, trois éléments permettent de se prémunir contre ce risque. Premièrement, ces règles sont appliquées sur le moyen terme, et il est possible d'étendre de quatre à sept ans les périodes d'ajustement en fonction de l'investissement et des réformes structurelles. L'Allemagne souhaitait restreindre cette extension à quatre années plus deux années au maximum, voire quatre années seulement. Nous avons obtenu, difficilement, cette extension de quatre à sept ans qui prémunit contre le caractère potentiellement procyclique des mesures et représente une véritable incitation à investir et à procéder à des réformes structurelles. Deuxièmement, les références quantitatives ne sont que des garde-fous, et non des obligations en tant que telles, ce qui maintient une marge de manoeuvre. Troisièmement, la révision semestrielle des sanctions qui s'appliquent aux États ne respectant pas les règles garantit que celles-ci puissent être modifiées au cas où elles présenteraient un caractère procyclique.

Enfin, le Parlement sera naturellement consulté dès lors qu'il s'agit de règles s'appliquant au budget de la France.

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