Merci Monsieur le Président, cette communication est d'actualité, puisqu'a lieu aujourd'hui la réunion du Conseil européen qui doit se pencher sur l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Ukraine, la Moldavie et la Bosnie-Herzégovine et sur l'octroi du statut de candidat à la Géorgie.
J'eus l'honneur et le plaisir de vous représenter, Monsieur le Président, à la réunion des présidents des commissions des affaires européennes et des commissions des affaires étrangères des parlements de l'Union européenne, organisée à Chisinau, le samedi 4 novembre dernier, par la présidente de la commission de la politique étrangère et de l'intégration européenne du Parlement de la République de Moldavie, Mme Sonia Gherman.
Cette réunion, qui se tint sous le label « United 4 (for) Moldova » fut à ma connaissance une première. Certes, nous avons déjà échangé avec votre homologue moldave, à de nombreuses reprises, en particulier depuis que la Moldavie s'est vue reconnaître le statut de pays candidat par le Conseil européen de juin 2022 : au Sénat, lors de la Cosac pour ce qui vous concerne et lors du précédent déplacement que je fis en Moldavie avec Gisèle Jourda et Marta de Cidrac, du 24 au 27 avril dernier, un mois avant le sommet de la Communauté Politique européenne.
Cette fois-ci, la volonté manifeste du Parlement moldave et de la Présidente de la République Maïa Sandu, très impliquée, avec son gouvernement, dans cet événement, était de réunir une plateforme parlementaire européenne de soutien à la Moldavie, dans la perspective de la décision que pourrait prendre le Conseil européen réuni aujourd'hui et demain à Bruxelles, quant à l'ouverture de négociations avec deux des pays candidats, l'Ukraine bien sûr, mais aussi la Moldavie.
Le sort de cet État frontalier de la Roumanie à l'Ouest et de l'Ukraine à l'Est, qui fut en première ligne dès le déclenchement du conflit, en accueillant plus de 600 000 réfugiés, dont plus de 100 000 sont restés, paraît en effet indissolublement lié à celui de son grand voisin en guerre. Et pourtant, cette réunion avait pour objectif de faire valoir ses « mérites propres » dans la perspective de l'ouverture, éventuellement prochaine, de négociations d'adhésion.
D'où cette véritable plateforme parlementaire de soutien à la Moldavie, élargie à l'ensemble des parlements de l'Union européenne, par analogie avec la plateforme gouvernementale créée dès le printemps 2022 par la France, l'Allemagne et la Roumanie, pour aider le pays à faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine : conséquences humanitaires, bien sûr, mais aussi énergétiques - le pays importait alors la totalité de son gaz de Russie ou de Transnistrie occupée par la Russie - ainsi qu'économiques et financières, la France et l'Allemagne ayant mobilisé massivement l'aide européenne mais aussi celle des bailleurs de fonds internationaux en faveur de ce pays confronté à une inflation vertigineuse.
C'est le rôle de la diplomatie parlementaire que de faire écho, de stimuler et d'épauler les initiatives gouvernementales. Comme l'a indiqué le président Rapin, le Sénat n'a pas manqué d'appuyer les efforts du gouvernement français en faveur de la Moldavie.
J'y suis allé avec votre homologue de l'Assemblée nationale, M. Pieyre-Alexandre Anglade, qui a dû regagner Paris avant la fin de la réunion. Il est vrai que nous avions mis une bonne journée à rejoindre, la veille, la capitale moldave, en raison des vicissitudes des liaisons aériennes, nous faisant vivre concrètement à quel point ce pays demeure enclavé. Certes, il est bien relié à la Roumanie, toute proche, mais sinon, un besoin criant de liaisons aériennes directes plus nombreuses et plus régulières se fait ressentir.
Peut-être faut-il y voir l'une des raisons du périmètre des parlements présents représentant une bonne moitié des pays membres, mais avec quelques absents de taille, notamment l'Espagne, présidente en exercice du Conseil de l'Union européenne, et l'Allemagne. Des pays aspirant à la candidature étaient aussi représentés, telle la Géorgie. J'ai noté, outre la très forte présence de nos collègues roumains, une importante délégation italienne, qui fit le geste significatif de venir accompagnée de ses interprètes, afin de pouvoir s'exprimer dans sa langue, sans sacrifier au bilinguisme roumain-anglais imposé lors de cet exercice, j'espère pour des raisons strictement logistiques...
La réunion était opportunément programmée à quelques jours de la publication du rapport de la Commission européenne sur le pays, dans le cadre du « paquet élargissement », sorti le 8 novembre. À entendre les propos du chef de la délégation de l'UE sur place, son appréciation positive ne faisait aucun doute, la Commission ayant, vous le savez, souligné les progrès réalisés par le pays dans la mise en oeuvre de ses neuf recommandations, lui permettant de se rapprocher des critères de Copenhague, en particulier en matière d'État de droit, de justice, de lutte contre la corruption, domaines qui furent au coeur des débats et du bilan présenté par les autorités moldaves : outre la présidente Maïa Sandu, le président du Parlement, M. Igor Grosu, le Premier Ministre, M. Dorin Recean, mais aussi les ministres de l'intérieur et de l'énergie, et le remarquable conseiller de la présidence pour la défense et la sécurité nationales.
Gouvernement et Parlement ont ainsi souligné à l'unisson l'ampleur des progrès, des attentes, mais aussi des difficultés de la Moldavie, économiques et énergétiques, mais aussi de sécurité, dues aux importantes « menaces hybrides » venant de la Russie.
Les débats ont porté sur trois points, et je me suis efforcé de porter notre voix sur chacun d'entre eux.
Le défi de l'intégration européenne, tout d'abord, avec des regards croisés intéressants, dans une approche qui se voulait autant rétrospective que prospective, en essayant de tirer les enseignements des précédents élargissements. Dans mon intervention, tout en rendant hommage aux efforts remarquables réalisés par le pays en peu de temps et dans un contexte très difficile, j'ai attiré l'attention sur la nécessité que les pays candidats respectent les trois critères de Copenhague - État de droit démocratique, économie de marché, acquis communautaire- mais aussi qu'un quatrième, souvent passé sous silence et qui relève pleinement de notre appréciation de parlementaires nationaux, soit respecté : je veux parler de la capacité d'absorption de l'Union européenne. Sur ce dernier point, j'ai senti que certains pays européens ne partageaient pas vraiment ma position, estimant qu'il fallait intégrer rapidement la Moldavie ou l'Ukraine.
Le deuxième thème abordé fut le développement économique et la sécurité énergétique du pays. Cette dernière a beaucoup progressé, grâce au développement des interconnexions et avec le soutien financier important de l'Union européenne. Mais un effort accru est requis pour intégrer la Moldavie au marché intérieur européen de l'énergie. J'ai souligné l'implication de l'agence française de développement.
Principale partenaire commerciale et investisseure dans le pays, l'Union européenne joue naturellement un rôle majeur, dans la droite ligne des acquis du partenariat oriental.
J'ai aussi rappelé l'importance de progrès concrets pour la population moldave. La réduction des frais d'itinérance, que vous avez soutenue, Monsieur le Président, auprès du Commissaire Thierry Breton, en est un, particulièrement apprécié, comme l'a rappelé ici même l'ambassadrice de Moldavie lors de la table ronde du 30 novembre dernier.
Je suis néanmoins revenu de Chisinau avec le sentiment d'une inquiétude persistante sur la résilience économique et sociale du pays. Certes, les derniers chiffres affichés sont bons : le gouverneur de la Banque Nationale Moldave a annoncé que le taux d'inflation avait reflué par rapport à son plus haut niveau il y a un an, qui atteignait près de 35 %, pour revenir à quelque 6 % au mois d'octobre 2023. Mais est-ce soutenable ?
Le projet de loi de finances prévoit notamment une hausse du salaire minimum de 208 à 260 € ainsi qu'une augmentation de 15 % du traitement des enseignants.
Il reste du travail à faire. Lors de cette mission, nous avons été dans d'autres parties de la Moldavie, comme à Orhei, qui ressemblait à une campagne française de la seconde moitié du siècle dernier. Alors qu'il s'agissait d'une zone touristique, il n'y avait pas de voies asphaltées, mais des puits pour récupérer l'eau. Je suis donc un peu inquiet sur la résilience économique et sociale du pays.
Une grande partie de la population bénéficiera cet hiver encore de la prise en charge par l'État d'une partie du montant des factures d'énergie grâce à un fonds abondé par l'Union européenne. Si les manifestations orchestrées par le parti Shor et ses affiliés ont disparu, elles sont actuellement remplacées par celles des producteurs locaux de céréales dont les dizaines de tracteurs stationnent devant le bâtiment du gouvernement pour protester contre l'insuffisance du soutien financier de l'État à ce secteur sensible.
Autre domaine abordé lors de la réunion parlementaire de Chisinau, qui fait apparaître la résilience, certes, mais aussi la vulnérabilité de ce pays : la sécurité. J'ai réitéré le soutien de la France aux efforts d'équipement de la défense moldave, soutenus notamment dans le cadre de la facilité européenne pour la paix, le pays tentant de développer ses capacités, dans le contexte de la neutralité à laquelle la grande majorité des responsables et la population semblent très attachés, cette neutralité étant inscrite dans sa Constitution telle une assurance-vie.
La guerre en Ukraine a évidemment accru l'exposition géopolitique - déjà forte - de la Moldavie, dont une partie du territoire, à l'Est, la Transnistrie, est autoproclamée indépendante, et de fait occupée par la Russie à la suite d'un conflit violent, gelé depuis 1992. Or c'est là que se trouvent l'industrie et les seules ressources énergétiques de ce pays très rural. Au Sud, « l'unité territoriale autonome de Gagaouzie » est peuplée d'une communauté turcophone fortement russifiée et la gouverneure, pro-russe, élue en mai 2023, membre de droit du gouvernement moldave, est issue du parti pro-russe de l'oligarque en exil Ilan Shor.
Cette réunion intervenait aussi, et sans doute n'est-ce pas un hasard du calendrier, la veille du premier tour des élections locales. Le Vice-Premier Ministre Nicu Popescu nous avait d'emblée prévenu, lorsque nous l'avions rencontré fin avril, qu'elles ne seraient pas favorables au Parti Action et Solidarité (PAS) de Maïa Sandu, car concentrées sur les enjeux locaux. J'ajoute une autre raison : la non-participation à ces élections de la très nombreuse diaspora moldave.
Elles visaient à élire pour quatre ans 898 maires et 12 000 conseillers locaux désignant les 32 présidents de districts. Les résultats furent mitigés, avec une participation de 41 % au premier tour, identique à celle des élections de 2019, et de 37 % au second tour qui eut lieu le 19 novembre.
Si le PAS a obtenu le plus grand nombre de mairies lors de ces élections, il a dû concéder deux défaites dans les deux principales villes du pays. Dans la capitale, le maire sortant M. Ion Ceban, leader d'un parti « centriste » qui se prétend pro-européen mais rallie en fait les suffrages des pro-Européens et des pro-Russes, le Mouvement alternatif national (MAN), a été réélu dès le premier tour, avec 51 % des voix. Il est vu comme un candidat sérieux à l'élection présidentielle de l'an prochain contre Maïa Sandu. A Balti, deuxième ville du pays, le candidat du PAS n'a pas non plus atteint le second tour. L'ancien communiste Alexandr Petkov, élu maire, sous l'étiquette « Notre Parti », financée par un homme d'affaires ayant des liens avec la Russie, a déclaré que les résultats de ces élections montrent que « de nombreux Moldaves sont favorables au développement des relations avec la Russie ». Aucun candidat du PAS n'est élu dans les 11 principales villes du pays. D'autres maires élus dans des villes petites ou moyennes demeurent liés à Ilan Shor.
Même si la plupart des observateurs parient sur la réélection de Maïa Sandu lors des élections présidentielles de novembre 2024, l'obtention d'une majorité parlementaire lors des élections législatives du printemps 2025 paraît incertaine. Et la Moldavie fait partie des pays où la culture de coalition n'est guère encore entrée dans les moeurs.
À Chisinau comme ailleurs, la présidente Sandu a martelé que l'adhésion à l'Union européenne est une question existentielle pour un pays qui, pendant trente ans, a payé le prix de sa situation géopolitique d'État « tampon » et de sa dépendance multiforme à l'égard de Moscou. La récente stratégie nationale de sécurité qui nous a été présentée désigne ainsi la Russie comme la première menace et dénonce la « guerre hybride de haute intensité » menée par cette dernière dans le but de « prendre le contrôle politique et économique » de la République de Moldavie.
Les Moldaves nous ont demandé de faire attention à eux. Si la Moldavie ne devait pas entamer les négociations avec l'Union européenne, ce serait un signal fort envoyé à la Russie. S'il y avait eu un déclenchement de la guerre en Ukraine avec une Moldavie sous obédience russe, l'Ukraine aurait été enclavée.
C'est dire combien les attentes sont fortes à l'égard du Conseil européen qui se réunit aujourd'hui et demain. La Moldavie estime avoir suffisamment de mérites pour entrer dès à présent dans les négociations d'adhésion. Des efforts ont été faits, mais il appartiendra au Conseil européen de déterminer s'ils sont suffisants. Nous avons intérêt à examiner de près ce sujet, car j'ai le sentiment - et je ne suis pas le seul - qu'il y a encore beaucoup de travail à faire.