Intervention de Karine DANIEL

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 décembre 2023 à 9h05
Culture — Liberté des médias proposition de règlement du parlement européen et du conseil établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur et modifiant la directive 2010-13-ue com2022 457 final : communication de mmes catherine morin-desailly et karine daniel

Photo de Karine DANIELKarine DANIEL :

C'est une brève communication que nous vous proposons aujourd'hui sur un texte qui a eu un assez long parcours législatif européen : le projet de règlement européen, dit aussi « acte européen » sur la liberté des médias, désormais connu, sous son acronyme anglais de Media Freedom Act ou MFA.

Son ambition est grande : instaurer un cadre législatif européen commun pour l'ensemble du secteur des médias et de la presse.

Nous partageons l'objectif louable de cette nouvelle législation européenne : il s'agit, au vu des constats qui ont pu être faits depuis plusieurs années dans quelques pays de l'Union, et récemment en Pologne ou en Hongrie, de renforcer la liberté et l'indépendance éditoriale des entreprises de médias, en recommandant des financements dédiés aux médias de service public, des mesures sur l'attribution équitable et transparente de la publicité, des règles sur la transparence de la propriété des organes de presse et un contrôle des concentrations.

Ce texte institue pour cela un comité de régulation européen qui jouerait également un rôle spécifique dans la lutte contre la désinformation et les fake news. Ce comité se substituerait au groupe des régulateurs européens pour les services de médias audiovisuels (dit Erga, de son acronyme en anglais, European Regulators Group for Audiovisual Media Services, institué par la directive de l'UE sur les services de médias audiovisuels, dite directive SMA). D'où les modifications proposées de ladite directive, supprimant son article 30 ter instituant l'Erga, et remplaçant en conséquence les références qui y sont faites pour le remplacer par un « Comité » européen de régulation des médias, dénommé « Board » en anglais.

Il s'agit ainsi de protéger les entreprises de médias contre des mesures nationales « injustifiées, disproportionnées et discriminatoires », afin de préserver le pluralisme du paysage médiatique européen, de garantir son bon fonctionnement et de renforcer la protection de l'État de droit, dans un contexte international et européen où celui-ci est parfois remis en cause, au sein même de l'Union européenne, dans certains États membres, mais aussi dans des États candidats ou potentiellement candidats, et, dans la plupart des États membres, souvent mis au défi par l'expansion d'internet, des grandes plateformes et des réseaux sociaux, mais aussi par les risques d'ingérences d'États tiers, dans les campagnes électorales nationales ou européennes, notamment. La France n'échappe pas à ces faits.

Qui ne souscrirait à cette vaste ambition ?

Elle fit partie du programme de la Commission européenne dès le début de son mandat et fut en conséquence annoncée dès 2021 par la présidente Ursula von der Leyen : « Les médias ne sont pas des entreprises comme les autres. Leur indépendance est essentielle. Voilà pourquoi l'Europe a besoin d'une loi qui garantisse cette indépendance. »

Notre commission avait évoqué ce texte initialement le 8 décembre 2022, sur le rapport de Catherine Morin-Desailly, André Gattolin et Florence Blatrix Contat, afin d'examiner sa conformité au principe de subsidiarité et avait conclu que la proposition initiale de la Commission européenne du 16 septembre 2022 n'était pas conforme à ce principe, pour des raisons qui sont détaillées dans l'avis motivé adopté devenu résolution du Sénat le 11 décembre 2022.

Sans les reprendre toutes, permettez-moi de les rappeler à grands traits.

Tout d'abord, la Commission européenne fondait sa proposition législative sur le seul article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) relatif au marché intérieur. Or nous faisions valoir, aux côtés d'autres parlements nationaux, dont le Bundesrat, et de nombreux acteurs du secteur, que cette seule approche était réductrice, au regard de la diversité culturelle et linguistique dont les médias et la presse, régionale en particulier, et les radios locales sont aussi l'expression naturelle. C'est pourquoi l'article 167 du TFUE qui se réfère à la diversité culturelle constituait, à notre avis, une base juridique tout aussi pertinente et robuste.

Or, en cette matière, selon l'article 6 c) du TFUE, l'UE ne dispose que d'une compétence d'appui, venant en complément ou en soutien de celle des États membres, ce qui ne justifie nullement une harmonisation législative, laquelle pourrait d'ailleurs se faire aussi bien par le haut que par le bas, entraînant un risque de nivellement pour les États membres ayant un corpus législatif ancien et solide en ce domaine, tel notre pays.

Ainsi, notre avis motivé rappelle la solidité de notre cadre législatif national, reposant sur deux grands piliers que sont les grandes lois républicaines du 29 juillet 1881 pour la presse et du 30 septembre 1986 pour l'audiovisuel.

Nous pointions aussi les risques d'incohérence ou en tout cas d'articulation insuffisante avec les trois principaux textes européens qui constituent la base de l'acquis communautaire en matière de régulation des médias : la directive sur les services de médias audiovisuels (dite SMA) ; la directive établissant des règles sur l'exercice du droit d'auteur et des droits voisins applicables à certaines transmissions en ligne d'organismes de radiodiffusion et retransmissions de programmes de télévision et de radio (dite CabSat2) ; et le règlement relatif à un marché unique des services numériques (dit DSA).

Nous avions enfin souligné la nécessité de respecter les spécificités professionnelles et législatives de deux écosystèmes qui demeurent très différents, en dépit des convergences numériques : la presse et l'audiovisuel.

Nous n'avons, pas, à l'époque, suscité suffisamment de vocations dans d'autres parlements nationaux, pour envoyer un « carton jaune » à la Commission européenne. Mais nous avons été entendus sur bien des points, au fur et à mesure du cheminement législatif de ce texte, qui approche désormais de sa phase finale.

Notre commission y a contribué, en organisant, les 23 mars et 22 juin de cette année, en commun avec la commission de la culture, deux tables rondes qui nous ont permis de « débroussailler » les enjeux de ce texte, avec les acteurs du secteur et le régulateur national du secteur audiovisuel, l'Arcom, dont nous avons entendu le président, M. Maistre : la première était consacrée à la presse écrite ; la seconde, aux médias audiovisuels. Nous y avons convié notamment le rapporteur pour avis de la commission du marché intérieur du Parlement européen, qui a porté plusieurs de nos préoccupations au cours du parcours de ce texte au sein de l'Assemblée de Strasbourg.

Nous nous en réjouissons car la période estivale, puis le renouvellement sénatorial ne nous ont pas permis de nous exprimer plus avant sur ce texte, pendant qu'il poursuivait son cheminement institutionnel.

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