Intervention de Catherine Morin-Desailly

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 décembre 2023 à 9h05
Culture — Liberté des médias proposition de règlement du parlement européen et du conseil établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur et modifiant la directive 2010-13-ue com2022 457 final : communication de mmes catherine morin-desailly et karine daniel

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Merci, j'ai plaisir à travailler dorénavant avec vous d'autant que nous siégeons ensemble à la commission de la culture. Je tiens aussi à saluer le travail accompli par Florence Blatrix Contat, ici présente, depuis que nous nous sommes saisis de ce texte il y a plus d'un an. Nous avons également une pensée pour notre ancien collègue André Gattolin.

Le Parlement européen a adopté, le 3 octobre dernier, de très nombreux amendements à ce texte, dont la version finale devrait être adoptée demain ; nous avons la satisfaction de constater que plusieurs d'entre eux l'améliorent notablement au regard de nos observations.

Parmi les principaux apports du Parlement européen, je retiendrai les quatre suivants.

Tout d'abord, dans la droite ligne de notre avis motivé, adopté il y a un an, nous pouvons nous féliciter de l'accent mis par le Parlement européen sur la visée de ce texte qui est de créer une norme minimale pour protéger le pluralisme et l'indépendance des médias dans l'ensemble de l'UE.

En effet, comme le Bundesrat allemand, mais aussi plusieurs pays nordiques, nous estimons que cette harmonisation législative a minima doit laisser toute latitude aux États membres de maintenir des normes plus élevées - comme c'est le cas en France - et de continuer aÌ développer leur propre réglementation des médias afin de protéger la libertéì et le pluralisme et de promouvoir la diversité culturelle et linguistique. Cela est très important car ce n'était pas très explicite dans le projet initial de la Commission européenne et aurait pu amener, à terme, à la remise en cause, au nom du droit de la concurrence ou du marché intérieur de certaines dispositions favorables au secteur qui sont ainsi mieux protégées.

Sur le financement du service public, qui est en débat en France actuellement, comme nous l'avons vu la semaine dernière au Sénat, les fondamentaux sont précisés, tout en maintenant la marge de manoeuvre qui doit être laissée aux États, laquelle est importante, en vertu du traiteì sur le fonctionnement de l'Union européenne et de son protocole n° 29 sur le système de radiodiffusion publique dans les États membres (dit « protocole d'Amsterdam »). Si le règlement entend protéger les médias publics, le texte initial ne comportait qu'une formule évasive : le secteur public « doit bénéficier de financements suffisants et stables » et assurer une prévisibilité et une planification. Le texte actuel correspond en tous points à nos débats au Parlement français : « il est nécessaire de garantir que, sans préjudice des règles de l'Union relatives aux aides d'État, les fournisseurs de médias de service public bénéficient d'un financement stable et suffisant pour remplir leur mission, qui assure la prévisibilité de leur planification et leur permette de concevoir des offres pour de nouveaux domaines d'intérêt pour le public ou de nouveaux contenus et formats ainsi que d'évoluer technologiquement afin de conserver une position concurrentielle sur le marché intérieur des médias. Ce financement devrait être déterminé et alloué selon des procédures prévisibles, transparentes, indépendantes, impartiales et non discriminatoires, sur une base pluriannuelle, conformément à la mission de service public des fournisseurs de médias de service public, afin d'éviter les risques d'influence indue liés à des négociations budgétaires annuelles. »

Cela fait vraiment écho aux débats que nous avons eus la semaine dernière, où nous avons demandé à la ministre de la culture qu'après la suppression de la redevance, la LOLF (loi organique relative aux finances publiques) soit modifiée, afin que soit inscrite la pérennité de l'attribution d'une part de la TVA au financement de l'audiovisuel public. Sans modification de la LOLF, nous arriverons à la fin de 2024 au « bout du bout », et l'audiovisuel public se retrouvera sans ressources. L'enrichissement du texte au Parlement européen soutient et justifie nos exigences, tous groupes politiques confondus. Le Sénat est encore une fois à la pointe sur ce sujet.

Dans la jungle numérique actuelle, il importe de développer des contrepoids à la désinformation. Nous avions évoqué ce point également très important du texte européen l'an dernier dans le débat sur notre avis motivé. Le renforcement des droits des médias d'information face aux très grandes plateformes en ligne est une avancée très importante, qu'il convient de préserver, dans le cadre d'une bonne articulation que nous avions exigée avec le DSA, qui a été correctement précisée, nous semble-t-il, par le Parlement européen.

Je souligne un point de vigilance quant au contrôle des concentrations au niveau européen : nous attirons l'attention sur l'importance de bien prendre en compte les principes de subsidiarité et de proportionnalité, et de réserver les nouveaux outils européens proposés par ce texte à l'échelle strictement européenne qui est celle du marché intérieur et, pour le reste, de s'en tenir aux dispositifs existants mis en place par les États membres.

Nous abordons maintenant la phase finale du trilogue, que la présidence espagnole a bien, semble-t-il, l'intention de mener à son terme. Une phase décisive, et que la présidence espère conclusive, doit avoir lieu demain. S'ensuivra un examen technique, puis une validation par le Coreper, si tout se passe bien. Sinon, le relais sera transmis à la présidence belge, qui aura pour mission de conclure avant la fin du mandat.

Les compromis qui semblent avoir été trouvés sur la plupart des points clés nous paraissent globalement satisfaisants. Nous tenions à rappeler qu'ils répondent à ce stade à la plupart de nos préoccupations.

Soulignons les trois points suivants à ce stade de la négociation.

À l'article 6, les obligations de transparence des services de médias paraissent raisonnables, et le paragraphe 2 concernant l'information du public est limité aux médias d'information, ou, en anglais, seule langue de négociation, produisant des contenus de « news and current affairs ».

S'agissant du comité européen et de son secrétariat (articles 8 et 11), leur indépendance a été renforcée sans leur donner la personnalité juridique qui en aurait fait potentiellement une nouvelle agence, ou une nouvelle institution qu'il n'était pas souhaitable de rigidifier. L'indépendance du secrétariat à l'égard de la Commission demeure incontournable pour nous.

On est passé, à l'article 11, paragraphe 1, de la rédaction initiale de la Commission européenne (« Le comité dispose d'un secrétariat, qui est assuré par la Commission. ») à celle du Parlement européen, qui doit être maintenue selon nous :

« Le comité est assisté par un secrétariat distinct et indépendant. Le secrétariat reçoit des instructions uniquement du comité. »

À l'article 17, l'articulation avec le DSA a été précisée, ainsi que le rôle respectif des autorités nationales et du comité dans le processus de dialogue établi avant tout retrait de contenu émanant de services d'information, avec une possibilité d'agir dans l'urgence telle que prévue dans le DSA.

À l'article 4, relatif à la protection des journalistes et de leurs sources, qui a été extrêmement approfondie et renforcée par le Parlement européen, demeure un point d'achoppement pour la France, qui prône une prise en compte de considérations de sécurité nationale.

Il s'agira sans doute d'un « point dur » dans les négociations qui devront aboutir pour achever le trilogue.

En effet, la protection prévue à cet article a été étendue par le Parlement européen pour devenir très large et extensive. Elle concerne les journalistes bien sûr, leur famille, leurs proches, mais aussi tout leur « réseau », leurs contacts, réguliers et occasionnels. Potentiellement toute personne qui a été en contact avec eux. On le comprend, car il y a eu des cas, dans certains États membres, d'espionnages de journalistes, par l'usage de logiciels espions.

La rédaction adoptée par le Parlement européen ne prévoit qu'un nombre très restreint d'exceptions limitativement énumérées, pour des crimes graves, notamment de terrorisme, sous un contrôle judiciaire extrêmement strict.

Certains États, dont la France, plaident au Conseil pour un assouplissement, une possibilité de dérogation, pour motif de « sécurité nationale », toujours sous contrôle strict a posteriori, d'instances qui ne sont pas nécessairement judiciaires, mais administratives, dans notre pays.

C'est assurément un sujet d'interprétation délicat, qui a suscité l'émoi bien légitime et compréhensible d'associations et d'ONG comme Reporters sans frontières, qui s'est exprimée à ce sujet, et que nous avions auditionnée dans le cadre de la table ronde sur la presse écrite, mais pas sur ce point précis. Ce sujet a « fuité » récemment, dans la phase finale des négociations, lesquelles sont, je le rappelle, de la seule responsabilité et prérogative de l'exécutif.

Notre préconisation en pareille matière, où nous entendons bien sûr les arguments des journalistes mais aussi ceux des représentants des services de sécurité, serait, là encore, une fois de plus, d'appeler au respect des principes fondamentaux que nous avons rappelés dans notre avis motivé, de s'en remettre, en l'occurrence, au principe de subsidiarité et de proportionnalité. En effet, la sécurité nationale est de la seule compétence des États, et non de l'Union européenne, et ne peut être déléguée, qui plus est sur le fondement de l'article 114, je le rappelle, au nom du marché intérieur. Dois-je rappeler dans cette enceinte, qui a toujours été très attentive à la défense des libertés fondamentales, en particulier de la liberté de la presse et des droits des journalistes, que les États sont tenus par les traités, notamment l'article 2 du traité sur l'Union européenne, la charte des droits fondamentaux et la jurisprudence, de respecter les droits de l'homme et la liberté de la presse qui est une composante fondamentale de la démocratie et de l'identité de l'Europe ? Il y a là, sans doute, un cadre utile pour une législation d'objectif louable et nécessaire mais d'application délicate.

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