La France, dans les discussions au Conseil, a plaidé pour cette solution du « mécanisme en cascade ». Elle fait valoir qu'elle permettrait de préserver l'exposition des finances publiques nationales en cas de dégradation substantielle des conditions d'emprunt, tout en assurant le financement du surcoût des intérêts de l'emprunt NextGenerationEU.
Le Parlement européen, quant à lui, est opposé à cette solution, et c'est sur ce sujet que les négociations interinstitutionnelles risquent d'être les plus difficiles. Il estime que ce mécanisme conduirait inévitablement à des coupes dans les programmes existants, dont la dotation deviendrait sujette aux variations des taux d'intérêts. Ces coupes pourraient être de 1,6 à 4,1 milliards d'euros par an, pour un budget européen déjà restreint. Les États peineront à convenir des coupes à opérer dans les programmes tandis que le Parlement tentera de renvoyer à l'instrument spécifique.
Surtout, sur le principe, le Parlement européen estime que ce « mécanisme en cascade » mettrait en cause l'équilibre institutionnel entre Parlement et Conseil, qui disposent tous les deux d'une voix égale dans la procédure budgétaire annuelle. En identifiant à l'avance le montant des coupes à venir dans les programmes, le Conseil empiéterait sur les pouvoirs du Parlement européen. La question du remboursement des intérêts de NextGenerationEU reste donc un point très sensible.
J'en termine avec un dernier point s'agissant des prêts accordés à l'Ukraine. Ce soutien financier est capital et il faut faire en sorte de lever le veto hongrois pour apporter l'aide qu'attend d'urgence l'Ukraine. Nous devons néanmoins avoir conscience de la forte exposition des budgets de l'UE à ces prêts. Comme l'avait rappelé notre président lors du débat préalable au Conseil européen d'octobre 2023, les 18 milliards d'euros consentis en décembre 2022 à l'Ukraine ne sont assortis d'aucun provisionnement pour couvrir le risque de défaut, ce qui est inédit concernant un État tiers. Les pertes éventuelles seront donc à la charge du budget de l'Union européenne, ce qui l'expose de manière inquiétante. Et il en serait de même pour les 33 milliards de prêts prévus par la Facilité pour l'Ukraine, ce qui accroît encore sensiblement le risque auquel se trouve ainsi exposé le budget européen.
Des gardes fous sont heureusement prévus. Les prêts octroyés par l'UE ont une durée de vie longue, qui est allée croissant au fur et à mesure que l'UE a multiplié les plans d'aide depuis le début du conflit. Leur durée de vie moyenne de 15 ans est passée à 25 ans pour les prêts octroyés en 2022, et à 35 ans maximum pour les prêts octroyés dans le cadre de l'aide pour l'année 2023 et de la Facilité pour l'Ukraine. Une période de grâce de 10 ans est également prévue. De tels délais de remboursement doivent laisser à l'Ukraine le temps nécessaire pour tourner la page de la guerre, réorganiser son tissu économique et lui permettre d'honorer ses obligations de remboursement.
Si, à l'expiration de ce délai, l'Ukraine se trouvait en défaut de paiement, l'obligation de remboursement des prêts contractés à son bénéfice par la Commission sur les marchés financiers incomberait au budget européen, et donc aux États membres qui en sont les principaux financeurs. Les États européens ont donc un intérêt financier à ce que l'Ukraine gagne la guerre, et la gagne rapidement.