Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 janvier 2024 à 17h10
Élargissement -table ronde avec les ambassadeurs à paris des états membres de l'union européenne ue sur les perspectives d'adhésion à l'ue de nouveaux états et sur les réformes parallèles à mener dans l'ue

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, président :

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, chers collègues, Mesdames et Messieurs les conseillers, je vous souhaite la bienvenue au Sénat. Depuis le déclenchement de l'agression russe en Ukraine il y a bientôt deux ans, et plus encore depuis les décisions historiques des Conseils européens de juin 2022 et de décembre dernier, l'Union européenne (UE) se trouve à un tournant majeur de son histoire, où se profile un nouveau « grand élargissement », vingt ans après celui de 2004.

Dans ce nouveau contexte géopolitique, il m'a paru utile de vous inviter à éclairer notre réflexion sur les enjeux de ce nouvel élargissement et sur les réformes à préparer en conséquence pour l'UE. Mes récents échanges à Namur dans le cadre de la « Cosac des présidents » renforcent ma conviction que le premier ne va pas sans les secondes. Pour que l'entrée de nouveaux États dans l'UE apporte davantage de puissance à l'Union comme à ses membres, il nous faut réformer l'Union et ses politiques, afin qu'élargissement ne rime pas avec affaiblissement. L'élan vers l'élargissement se nourrit de considérations géopolitiques évidentes dans le contexte de la guerre en Ukraine, mais ne peut ignorer la nécessité de mettre l'UE en capacité d'intégrer de nouveaux membres (jusqu'à huit, voire dix avec la Géorgie et un jour peut-être le Kosovo).

Les rapporteurs du groupe de douze experts franco-allemands, auditionnés par notre commission en novembre dernier, ont indiqué que « l'Union européenne n'est pas encore prête à accueillir de nouveaux membres, ni sur le plan institutionnel ni sur le plan politique ». Le 13 décembre 2023, le Conseil européen a cependant fait un « choix stratégique définitif » en ce sens, en appelant l'UE à mener des « réformes nécessaires », « parallèlement » aux réformes politiques, juridiques, économiques et sociales requises des pays candidats, en référence à la « capacité d'absorption » de l'Union européenne, quatrième critère de Copenhague.

S'il revient aux gouvernements, aux exécutifs, et aux institutions européennes de prendre leurs responsabilités à chacune des nombreuses étapes qui jalonnent le processus d'adhésion, ce sera aux peuples et aux parlements qui les représentent, dans les États membres et dans les États candidats, de se prononcer sur l'entrée de nouveaux États membres dans l'Union. Nos échanges nous permettront d'appréhender les positions et sensibilités de chacun des États membres sur ces questions majeures.

Vos collègues ambassadeurs d'Ukraine, de Moldavie et de Géorgie à Paris nous ont présenté le 30 novembre dernier les efforts et les aspirations de leurs pays respectifs. Nous sommes également très attentifs aux pays des Balkans occidentaux. Marta de Cidrac co-rapporteure avec Claude Kern et Didier Marie sur l'élargissement, est présidente du groupe d'amitié avec les pays de cette région.

Je vais céder la parole aux représentants des États membres de l'UE, pour nous exposer en quelques minutes leur vision, celle de leur capitale voire de leur peuple, sur ce défi majeur pour notre Europe qui devrait figurer au premier plan des thèmes de campagne pour les prochaines élections européennes. Nos trois rapporteurs vous interrogeront ensuite brièvement, ainsi que nos collègues qui le souhaitent. Je propose de donner d'abord la parole aux représentants des membres les plus récents de l'Union européenne.

Monsieur Emil Kasakov, la Bulgarie est devenue membre de l'UE le 1er janvier 2007 et a présidé le Conseil dès le premier semestre 2018, avec le slogan « l'Union fait la force ». Elle s'est rapidement intégrée à la plupart des politiques européennes. Nous connaissons l'attention particulière que vous portez aux Balkans occidentaux et à l'Ukraine.

M. Emil Kasakov, chargé d'affaires à l'ambassade de Bulgarie - Je vous remercie, Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs les Sénateurs, chers collègues, 17 années se sont déjà écoulées depuis le 1er janvier 2007 : avec la Roumanie et la Croatie, la Bulgarie est l'un des membres les plus récents de l'UE. Concernant l'élargissement de l'UE, la Bulgarie, qui fait partie à la fois des Balkans et de la région de la Mer noire, soutient l'objectif stratégique de l'adhésion à l'UE des pays des Balkans occidentaux et des trois pays associés (Ukraine, Moldavie, Géorgie). Cette nécessité stratégique est d'autant plus prégnante dans l'actuel contexte géopolitique marqué par la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine. Nous soutenons le principe du mérite propre, en évaluant le progrès des pays candidats vers leur adhésion. D'autres conditions semblent également importantes à prendre en compte, comme l'alignement des pays candidats aux politiques communes extérieures et de sécurité, les réformes dans le domaine des droits fondamentaux, les droits des minorités nationales, l'État de droit, les relations de bon voisinage. Nous attendons avec grande impatience le rapport d'analyse de la Commission, qui devrait être publié au deuxième semestre 2024, sur l'impact de l'élargissement sur les politiques et sur le budget de l'UE. Des possibilités existent déjà pour améliorer le délai de prise de décision de l'UE dans le cadre du traité existant. Plutôt que de rouvrir les traités aujourd'hui, ce qui serait contre-productif, il semblerait plus opportun de chercher des possibilités de flexibilité dans le cadre légal existant de l'UE (clauses passerelles...). La tâche consistant à mener à bien le processus d'élargissement et le processus d'approfondissement de l'UE déterminera la géopolitique de l'UE dans les décennies à venir.

Madame l'Ambassadrice de Roumanie Ioana Bivolaru s'est finalement excusée, ainsi que les représentants de l'ambassade de Chypre. Monsieur Georges de Habsbourg-Lorraine, vous représentez la Hongrie, pays qui a rejoint l'Union européenne en 2004 et vers lequel tous les regards se tournent, aujourd'hui, lorsque les chefs d'États ou de gouvernement doivent à l'unanimité s'entendre sur l'élargissement ou le soutien à l'Ukraine.

M. Georges de Habsbourg-Lorraine, ambassadeur de Hongrie - Je vous remercie de cette initiative, ainsi que de la possibilité d'aborder ces questions stratégiques pour l'Europe et pour la présidence hongroise du Conseil qui débutera en juillet. Plusieurs grands conflits internationaux ont commencé dans les Balkans. Cette conscience historique est la principale raison pour laquelle la Hongrie a toujours soutenu la politique d'élargissement. Après l'agression russe en Ukraine, de nombreux États membres auparavant réticents ont compris que cet élargissement était une nécessité géopolitique. Il nous paraît évident que si l'UE s'abstenait d'intégrer les pays des Balkans, ils se tourneraient vers d'autres acteurs comme la Russie ou la Chine. L'intérêt des Balkans occidentaux à rejoindre l'UE doit être maintenu. La présidence hongroise du Conseil souhaite accélérer le processus d'élargissement et organiser un sommet de la communauté politique européenne et un sommet UE-Balkans occidentaux. La Hongrie s'engage déjà à aider nos partenaires à remplir les critères nécessaires à l'adhésion. Il est toutefois essentiel de maintenir un équilibre entre les partenaires qui travaillent ensemble depuis plusieurs années à leur adhésion à l'UE, comme les Balkans occidentaux, et les partenaires relativement nouveaux, comme nos voisins orientaux. Lors du processus d'adhésion, le principe du mérite doit s'appliquer, dans un cadre juridique très structuré. L'adhésion des Balkans occidentaux est une affaire inachevée depuis plus de 20 ans : de ce point de vue, l'idée d'une intégration progressive ne peut pas devenir une alternative à l'élargissement. Nous estimons que la décision d'ouvrir les négociations avec l'Ukraine était prématurée : Kiev doit d'abord remplir toutes les conditions nécessaires pour le faire. Une solution constructive a été identifiée lors du dernier Conseil européen, quand il est devenu évident que l'Ukraine ne parvenait pas à remplir toutes les conditions à ce stade : elle doit renforcer davantage la lutte contre la corruption, limiter l'influence excessive des oligarques dans la vie économique, politique et publique et enfin le gouvernement doit finaliser la réforme du cadre juridique pour les minorités nationales. La Hongrie veillera à ce que l'Ukraine garantisse pleinement les droits des minorités nationales et mette en oeuvre toutes les recommandations pertinentes de la Commission de Venise. Il est indispensable que le droit de la minorité hongroise en Ukraine soit restauré tel qu'il l'était avant 2015.

Quant à la réforme de l'UE, avant de parler de tout changement institutionnel, nous devrons examiner les effets sur les politiques de l'UE, y compris le budget, l'agriculture, le marché intérieur et la cohésion. Les intérêts de chaque État membre devront être respectés notamment dans ces domaines stratégiques. La Hongrie préfère des solutions politiques aux solutions procédurales, dans un souci d'égalité des États membres. Le maintien du consensus dans les domaines stratégiques est donc essentiel.

Monsieur Jans Keviss-Petusko, la Lettonie a également rejoint l'UE en 2004, avec les deux autres pays baltes, et est aujourd'hui une ardente défenseuse de l'élargissement et de l'aide à l'Ukraine en particulier.

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