Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, chers collègues, Mesdames et Messieurs les conseillers, je vous souhaite la bienvenue au Sénat. Depuis le déclenchement de l'agression russe en Ukraine il y a bientôt deux ans, et plus encore depuis les décisions historiques des Conseils européens de juin 2022 et de décembre dernier, l'Union européenne (UE) se trouve à un tournant majeur de son histoire, où se profile un nouveau « grand élargissement », vingt ans après celui de 2004.
Dans ce nouveau contexte géopolitique, il m'a paru utile de vous inviter à éclairer notre réflexion sur les enjeux de ce nouvel élargissement et sur les réformes à préparer en conséquence pour l'UE. Mes récents échanges à Namur dans le cadre de la « Cosac des présidents » renforcent ma conviction que le premier ne va pas sans les secondes. Pour que l'entrée de nouveaux États dans l'UE apporte davantage de puissance à l'Union comme à ses membres, il nous faut réformer l'Union et ses politiques, afin qu'élargissement ne rime pas avec affaiblissement. L'élan vers l'élargissement se nourrit de considérations géopolitiques évidentes dans le contexte de la guerre en Ukraine, mais ne peut ignorer la nécessité de mettre l'UE en capacité d'intégrer de nouveaux membres (jusqu'à huit, voire dix avec la Géorgie et un jour peut-être le Kosovo).
Les rapporteurs du groupe de douze experts franco-allemands, auditionnés par notre commission en novembre dernier, ont indiqué que « l'Union européenne n'est pas encore prête à accueillir de nouveaux membres, ni sur le plan institutionnel ni sur le plan politique ». Le 13 décembre 2023, le Conseil européen a cependant fait un « choix stratégique définitif » en ce sens, en appelant l'UE à mener des « réformes nécessaires », « parallèlement » aux réformes politiques, juridiques, économiques et sociales requises des pays candidats, en référence à la « capacité d'absorption » de l'Union européenne, quatrième critère de Copenhague.
S'il revient aux gouvernements, aux exécutifs, et aux institutions européennes de prendre leurs responsabilités à chacune des nombreuses étapes qui jalonnent le processus d'adhésion, ce sera aux peuples et aux parlements qui les représentent, dans les États membres et dans les États candidats, de se prononcer sur l'entrée de nouveaux États membres dans l'Union. Nos échanges nous permettront d'appréhender les positions et sensibilités de chacun des États membres sur ces questions majeures.
Vos collègues ambassadeurs d'Ukraine, de Moldavie et de Géorgie à Paris nous ont présenté le 30 novembre dernier les efforts et les aspirations de leurs pays respectifs. Nous sommes également très attentifs aux pays des Balkans occidentaux. Marta de Cidrac co-rapporteure avec Claude Kern et Didier Marie sur l'élargissement, est présidente du groupe d'amitié avec les pays de cette région.
Je vais céder la parole aux représentants des États membres de l'UE, pour nous exposer en quelques minutes leur vision, celle de leur capitale voire de leur peuple, sur ce défi majeur pour notre Europe qui devrait figurer au premier plan des thèmes de campagne pour les prochaines élections européennes. Nos trois rapporteurs vous interrogeront ensuite brièvement, ainsi que nos collègues qui le souhaitent. Je propose de donner d'abord la parole aux représentants des membres les plus récents de l'Union européenne.
Monsieur Emil Kasakov, la Bulgarie est devenue membre de l'UE le 1er janvier 2007 et a présidé le Conseil dès le premier semestre 2018, avec le slogan « l'Union fait la force ». Elle s'est rapidement intégrée à la plupart des politiques européennes. Nous connaissons l'attention particulière que vous portez aux Balkans occidentaux et à l'Ukraine.
M. Emil Kasakov, chargé d'affaires à l'ambassade de Bulgarie - Je vous remercie, Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs les Sénateurs, chers collègues, 17 années se sont déjà écoulées depuis le 1er janvier 2007 : avec la Roumanie et la Croatie, la Bulgarie est l'un des membres les plus récents de l'UE. Concernant l'élargissement de l'UE, la Bulgarie, qui fait partie à la fois des Balkans et de la région de la Mer noire, soutient l'objectif stratégique de l'adhésion à l'UE des pays des Balkans occidentaux et des trois pays associés (Ukraine, Moldavie, Géorgie). Cette nécessité stratégique est d'autant plus prégnante dans l'actuel contexte géopolitique marqué par la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine. Nous soutenons le principe du mérite propre, en évaluant le progrès des pays candidats vers leur adhésion. D'autres conditions semblent également importantes à prendre en compte, comme l'alignement des pays candidats aux politiques communes extérieures et de sécurité, les réformes dans le domaine des droits fondamentaux, les droits des minorités nationales, l'État de droit, les relations de bon voisinage. Nous attendons avec grande impatience le rapport d'analyse de la Commission, qui devrait être publié au deuxième semestre 2024, sur l'impact de l'élargissement sur les politiques et sur le budget de l'UE. Des possibilités existent déjà pour améliorer le délai de prise de décision de l'UE dans le cadre du traité existant. Plutôt que de rouvrir les traités aujourd'hui, ce qui serait contre-productif, il semblerait plus opportun de chercher des possibilités de flexibilité dans le cadre légal existant de l'UE (clauses passerelles...). La tâche consistant à mener à bien le processus d'élargissement et le processus d'approfondissement de l'UE déterminera la géopolitique de l'UE dans les décennies à venir.
Madame l'Ambassadrice de Roumanie Ioana Bivolaru s'est finalement excusée, ainsi que les représentants de l'ambassade de Chypre. Monsieur Georges de Habsbourg-Lorraine, vous représentez la Hongrie, pays qui a rejoint l'Union européenne en 2004 et vers lequel tous les regards se tournent, aujourd'hui, lorsque les chefs d'États ou de gouvernement doivent à l'unanimité s'entendre sur l'élargissement ou le soutien à l'Ukraine.
M. Georges de Habsbourg-Lorraine, ambassadeur de Hongrie - Je vous remercie de cette initiative, ainsi que de la possibilité d'aborder ces questions stratégiques pour l'Europe et pour la présidence hongroise du Conseil qui débutera en juillet. Plusieurs grands conflits internationaux ont commencé dans les Balkans. Cette conscience historique est la principale raison pour laquelle la Hongrie a toujours soutenu la politique d'élargissement. Après l'agression russe en Ukraine, de nombreux États membres auparavant réticents ont compris que cet élargissement était une nécessité géopolitique. Il nous paraît évident que si l'UE s'abstenait d'intégrer les pays des Balkans, ils se tourneraient vers d'autres acteurs comme la Russie ou la Chine. L'intérêt des Balkans occidentaux à rejoindre l'UE doit être maintenu. La présidence hongroise du Conseil souhaite accélérer le processus d'élargissement et organiser un sommet de la communauté politique européenne et un sommet UE-Balkans occidentaux. La Hongrie s'engage déjà à aider nos partenaires à remplir les critères nécessaires à l'adhésion. Il est toutefois essentiel de maintenir un équilibre entre les partenaires qui travaillent ensemble depuis plusieurs années à leur adhésion à l'UE, comme les Balkans occidentaux, et les partenaires relativement nouveaux, comme nos voisins orientaux. Lors du processus d'adhésion, le principe du mérite doit s'appliquer, dans un cadre juridique très structuré. L'adhésion des Balkans occidentaux est une affaire inachevée depuis plus de 20 ans : de ce point de vue, l'idée d'une intégration progressive ne peut pas devenir une alternative à l'élargissement. Nous estimons que la décision d'ouvrir les négociations avec l'Ukraine était prématurée : Kiev doit d'abord remplir toutes les conditions nécessaires pour le faire. Une solution constructive a été identifiée lors du dernier Conseil européen, quand il est devenu évident que l'Ukraine ne parvenait pas à remplir toutes les conditions à ce stade : elle doit renforcer davantage la lutte contre la corruption, limiter l'influence excessive des oligarques dans la vie économique, politique et publique et enfin le gouvernement doit finaliser la réforme du cadre juridique pour les minorités nationales. La Hongrie veillera à ce que l'Ukraine garantisse pleinement les droits des minorités nationales et mette en oeuvre toutes les recommandations pertinentes de la Commission de Venise. Il est indispensable que le droit de la minorité hongroise en Ukraine soit restauré tel qu'il l'était avant 2015.
Quant à la réforme de l'UE, avant de parler de tout changement institutionnel, nous devrons examiner les effets sur les politiques de l'UE, y compris le budget, l'agriculture, le marché intérieur et la cohésion. Les intérêts de chaque État membre devront être respectés notamment dans ces domaines stratégiques. La Hongrie préfère des solutions politiques aux solutions procédurales, dans un souci d'égalité des États membres. Le maintien du consensus dans les domaines stratégiques est donc essentiel.
Monsieur Jans Keviss-Petusko, la Lettonie a également rejoint l'UE en 2004, avec les deux autres pays baltes, et est aujourd'hui une ardente défenseuse de l'élargissement et de l'aide à l'Ukraine en particulier.
Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les Sénateurs. 2024 est le 20ème anniversaire de l'adhésion de la Lettonie à l'UE, mais le processus d'européanisation a été engagé par la Lettonie bien en amont. Il est compliqué, mais très motivant pour renforcer la défense de nos valeurs communes. Nous soutenons bien sûr l'élargissement de l'UE, qui doit s'adapter à cette nouvelle situation - portant potentiellement le nombre de ses membres à 35 -, ce qu'elle peut faire parallèlement au processus d'accession. Il ne serait pour l'instant pas productif de commencer des négociations très compliquées sur l'évolution des traités, car le traité actuel offre des possibilités (clause-passerelle...).
Monsieur Nierijus Alexiejunas, la Lituanie a fait de l'élargissement une priorité politique, géopolitique et de sécurité majeure.
Je vous remercie. L'élargissement offre l'opportunité non seulement de renforcer l'Europe, mais également de réformer l'UE. C'est généralement après les crises que l'Europe devient plus forte et mène les réformes nécessaires. L'élargissement offre également aux pays candidats une possibilité de se réformer et de s'européaniser... La Lituanie est la meilleure preuve de la réussite de la politique d'élargissement de l'UE. Le dernier sondage eurobaromètre a montré que 63 % des Lituaniens avaient confiance dans l'UE (au 3ème rang après le Danemark et la Suède), ce qui peut expliquer les raisons pour lesquelles les Lituaniens sont si engagés en faveur de l'élargissement. Par ailleurs, 76 % des Lituaniens sont optimistes concernant l'avenir de l'Europe. Enfin, le PIB par habitant de la Lituanie représentait 46 % de la moyenne européenne en 2004 et représente désormais 90 % de la moyenne européenne, en raison des progrès économiques incroyables réalisés au cours des 20 dernières années. Ces chiffres sont autant de preuves que la politique d'élargissement peut donner aux pays un cadre pour engager des réformes. En conclusion, il nous faut être optimistes et davantage confiants dans notre capacité à trouver les solutions nécessaires pour réformer l'UE. Il existe déjà un certain nombre d'outils pour rendre les conséquences de l'élargissement acceptables pour tous les pays (période transitoire, opt-out, exceptions...).
Vous n'êtes donc pas favorable à une révision des traités. Monsieur Claude Bonello, le chemin de Malte vers l'adhésion a mis 17 ans à être parcouru. Quelle est aujourd'hui la vision maltaise de l'élargissement, alors que la présidence du Parlement européen est maltaise ?
Je vous remercie de nous donner l'occasion d'échanger nos points de vue sur ces importants sujets. Dans cette période critique pour l'avenir de l'UE, l'élargissement est un sujet important et sensible, susceptible de façonner la trajectoire de l'UE pour les décennies à venir. Malte soutient un processus d'élargissement fondé sur le mérite, qui doit être crédible, prévisible et fermement ancré dans un cadre juridique, en mettant l'accent sur les réformes fondamentales et en intégrant le principe de réversibilité. La réflexion sur les réformes internes de l'UE et le processus d'élargissement doivent suivre deux voix distinctes, mais parallèles : nous attendons avec grand intérêt une réflexion objective et réaliste qui permettrait d'entamer les discussions sur les réformes sans solutions préconçues. À cet égard, nous attendons avec impatience la contribution de la Commission européenne. Notre position est connue : nous ne sommes pas favorables au lancement de discussions institutionnelles précipitées qui risqueraient de diviser et de ne pas aboutir. Notre priorité absolue est de veiller à ce que notre unité, notre cohésion et notre représentativité restent constantes.
Monsieur Wieslaw Tarka, la Pologne est un pays moteur pour l'élargissement et la sécurité de l'UE et vient de connaître un changement politique important.
Je vous remercie de nous accueillir. La Pologne apprécie la décision prise par le Conseil européen de lancer des négociations d'adhésion avec l'Ukraine et la Moldavie. Nous attendons de la Commission qu'elle fournisse bientôt aux États membres un projet de cadre pour les négociations d'adhésion, car elles seront complexes et difficiles dans de nombreux domaines, notamment économiques. La perspective d'adhésion à l'UE est importante pour l'Ukraine, mais ce pays doit survivre à la guerre et nous devons prendre une décision concernant son aide financière. Sa reconstruction devrait être liée au processus d'adhésion à l'UE. Toute considération éventuelle sur les réformes internes de l'UE devrait faciliter le processus d'élargissement, et non l'interdire ou le retarder. Les États des Balkans s'inquiètent d'être laissés pour compte dans le processus d'intégration de l'UE dès lors que l'Ukraine et la Moldavie ont posé avec succès leur candidature d'adhésion à l'UE. Il faut leur assurer qu'il n'y a pas de concurrence entre les pays candidats. Les pays des Balkans occidentaux revêtent une importance stratégique pour la Pologne et l'ensemble de l'UE. Nos objectifs sont clairs et découlent de l'agenda de Thessalonique. La Pologne soutient sans équivoque l'élargissement de l'UE, car la perspective européenne est un catalyseur des réformes transformatrices. Une des conditions du processus d'élargissement de l'UE reste l'alignement des politiques étrangères des pays candidats sur la politique étrangère et de sécurité commune de l'UE. La stabilisation durable de la région des Balkans occidentaux est cruciale pour la sécurité de l'ensemble de la zone euro-atlantique. Il est nécessaire d'y manifester la présence et l'intérêt constants de l'OTAN. Nous sommes favorables à la poursuite de l'intégration de la région dans l'alliance, sans négliger les aspirations bosniaques à l'adhésion ou le partenariat avec la Serbie. Des acteurs agressifs comme la Russie et la Chine mobilisent des outils technologiques modernes et des médias sociaux pour accroître la polarisation politique et remettre en cause la cohésion institutionnelle des États indépendants. Il est nécessaire de soutenir le journalisme indépendant et d'encourager l'éducation aux médias dans la région des Balkans. Une double approche est nécessaire : d'une part promouvoir une information non faussée et d'autre part soutenir une stratégie de communication nationale et le renforcement des cybercapacités dans la région.
Monsieur Jan Soth, la Slovaquie a connu une amélioration importante de son niveau de vie, de sa croissance économique et de sa stabilité depuis vingt ans qu'elle a rejoint l'UE. Votre pays est aussi une force de proposition en matière d'élargissement et de réforme de l'UE.
Je vous remercie Monsieur le Président de cette initiative. Mesdames les Sénatrices et Messieurs les Sénateurs, chers collègues, l'élargissement et la réforme de l'UE sont les défis principaux des années à venir. L'élargissement et le renforcement de l'UE doivent faire partie de la réponse aux actuels changements géopolitiques. L'Europe ne pourra pas être stable, forte, unie et coopérative sans les pays des Balkans occidentaux et de l'Europe de l'Est. Si l'UE n'investit pas d'efforts et de ressources dans ces pays, elle perdra la confiance de leurs peuples et l'espace géopolitique sera occupé par d'autres puissances. La Slovaquie a toujours soutenu la politique d'élargissement et apprécie les progrès réalisés ces derniers mois dans ce domaine. Elle est consciente de la nécessité pour l'UE et pour les pays candidats de bien se préparer à la perspective d'adhésion, y compris en menant des réformes nécessaires. Le processus d'élargissement doit être fondé sur le mérite des pays candidats à l'adhésion, dès qu'ils seront prêts. Pour la crédibilité de sa politique d'élargissement, il est essentiel que l'UE adopte une approche symétrique et équilibrée envers les régions du Sud-Est (Balkans occidentaux) et de l'Est (Ukraine, Moldavie, Géorgie). Le concept d'intégration progressive ou d'adhésion graduelle de nouveaux pays membres à l'UE offre la possibilité de préparer au mieux les pays candidats à leur future adhésion et rend leurs perspectives européennes tangibles, ce qui constitue la meilleure motivation pour engager les réformes. Le processus d'élargissement et le processus de réforme doivent aller de pair, sans se conditionner l'un l'autre. Tout effort visant à rationaliser le processus décisionnel de l'UE doit garantir qu'aucun État membre ne perde sa voix. Il existe une marge de flexibilité dans le cadre actuel du traité pour procéder à ces ajustements. Pour l'instant, nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire de consacrer du temps et de l'énergie à la discussion sur l'ouverture des traités européens.
Madame Metka Ipavic, la Slovénie s'est engagée fortement pour l'élargissement, en priorité aux Balkans occidentaux. Comment appréciez-vous le plan d'investissement et de croissance annoncé le mois dernier en faveur des pays de la région ?
Monsieur le Président, je vous remercie de cette initiative et je salue les Sénateurs et Sénatrices présents, ainsi que mes collègues. À la lumière des nouveaux défis géostratégiques, un nouvel élargissement est devenu une priorité et une nécessité pour l'UE. Nous devons saisir ce moment politique pour construire une Europe plus forte et plus unie d'ici à la fin de la décennie. La Slovénie souhaite qu'un effort plus équilibré soit fourni pour ne pas laisser à la traîne les Balkans occidentaux et en particulier la Bosnie-Herzégovine. Il est nécessaire de prendre une décision sur l'ouverture de négociations au plus tard en mars de cette année. Notre objectif est de rendre le processus d'adhésion de la Bosnie-Herzégovine irréversible, ce qui est particulièrement important dans l'environnement international actuel. Nous soutenons la proposition du Président du Conseil européen de définir un calendrier précis (à horizon 2030) qui donnerait aux pays candidats une ligne directrice claire et une incitation à accélérer leur réforme et aux États membres le temps de préparer leurs réformes internes nécessaires. La communication sur les réformes annoncées par la Commission européenne est attendue. La Slovénie espère que les dirigeants adopteront d'ici l'été 2024 un accord sur la feuille de route relative aux réformes internes, qui devraient se dérouler parallèlement au processus d'élargissement. Le futur élargissement ne devrait pas attendre une réforme institutionnelle globale appelant une modification des traités fondateurs. L'élargissement et l'approfondissement dans certains domaines politiques devront être conclus en parallèle (marché unique, transition verte, transformation technologique et digitale...). La Slovénie est consciente qu'un élargissement majeur aurait des conséquences importantes sur certaines politiques et leur budget, notamment la politique agricole commune (PAC) et la cohésion. Pour être un acteur mondial plus efficace, le processus de décision doit évoluer, en particulier dans les domaines de la politique étrangère et de sécurité commune. La Slovénie est très active dans l'exploration des différentes options donnant à tous les pays membres les garanties nécessaires qui figurent déjà dans les traités existants. L'État de droit, essentiel, est la base du fonctionnement de l'UE : ses mécanismes de conditionnalité devront être renforcés pour le futur élargissement.
Monsieur Tomas Chrobak, vous êtes un expert reconnu des questions européennes. Pouvez-vous nous partager le point de vue de Prague sur l'élargissement ?
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénatrices et Sénateurs, chers collègues, je vous remercie dela tenue de cette réunion. La République tchèque a toujours soutenu l'élargissement de l'UE, quels que soient ses gouvernements successifs. Nous sommes très heureux de la décision historique prise par l'UE lors du Conseil européen de décembre 2023 d'ouvrir la voie à l'adhésion de l'Ukraine et de la Moldavie, mais nous ne voulons pas laisser de côté les Balkans occidentaux, qui ont toujours été la priorité de la présidence tchèque. Celle-ci a noué des liens avec l'Albanie et la Macédoine du Nord, a promu l'octroi du statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine et a fait les premiers pas vers la suppression des visas pour le Kosovo. Les Balkans occidentaux ne doivent pas rester une tache blanche sur la grande Europe : pour des raisons sécuritaires et stratégiques, ils doivent faire partie intégrante de notre continent. Il faut préserver l'unité de l'UE vis-à-vis de l'agression russe en Ukraine. L'Ukraine doit recevoir le plein soutien de l'UE, car elle paye de son sang et défend son indépendance et son intégrité. La République tchèque n'est pas partisane de la révision des traités fondamentaux, mais estime qu'il faut chercher les moyens d'élargir les compétences de l'UE dans le cadre juridique actuel.
Monsieur Hakan Akesson, nous sommes très curieux de vous entendre sur la ligne de la Suède en matière d'élargissement et de réforme, votre pays étant très engagé en faveur de la paix et de la sécurité.
Monsieur le Président, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, chers collègues, je remercie la commission des affaires européennes de cette opportunité qui nous est donnée. L'élargissement de l'UE est dans l'intérêt de la Suède et de l'UE. Il s'agit de l'un des instruments les plus stratégiques pour renforcer la sécurité, la stabilité et la prospérité de l'UE. La Suède a un intérêt tout particulier à soutenir le rapprochement de l'Ukraine avec l'UE et se félicite de la décision du Conseil européen d'ouvrir les négociations d'adhésion avec ce pays. Il est en même temps important d'encourager les autres pays candidats à poursuivre leurs réformes pour devenir membres de l'UE. Le processus d'élargissement doit être basé sur le mérite, mais nous sommes prêts à considérer les propositions relatives à une approche graduelle, afin d'encourager les réformes dans les pays concernés. Il ne nous semble pas nécessaire de modifier les traités pour faire face à l'élargissement. Afin de garantir l'efficacité d'une UE élargie, la Suède est favorable au vote à la majorité qualifiée dans certains domaines comme la politique étrangère commune relative aux droits de l'homme, aux sanctions et aux opérations civiles.
Concernant la composition de la Commission, nous souhaitons conserver un commissaire par pays, un principe essentiel pour la légitimité et la transparence de la Commission, ainsi que pour l'influence de tous les États membres, quelle que soit leur taille. Pour ce qui est de l'orientation politique de l'UE d'une manière plus générale, la Suède est favorable à une concentration du travail législatif dans les domaines qui apportent une valeur ajoutée évidente, comme toujours sur la base du principe de subsidiarité et de proportionnalité.
Lorsque les crises frappent, les citoyens se tournent vers l'Europe. Depuis la guerre en Ukraine, non seulement le soutien des Suédois à l'adhésion de la Suède à l'OTAN a basculé, mais également leur soutien à l'UE, qui n'a jamais été aussi fort (54 % des Suédois en ont aujourd'hui une opinion positive).
Monsieur Wolfgang Wagner, c'est en 1995 que votre pays, l'Autriche, a rejoint l'Union européenne, en même temps que la Finlande, dont nous excusons l'ambassadeur. Les responsables autrichiens que nous rencontrons sont unanimes à soutenir l'élargissement, en particulier aux Balkans occidentaux.
Merci Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs les Sénateurs, chers collègues, pour l'Autriche, les pays des Balkans occidentaux, candidats à l'adhésion, ne doivent pas passer après les nouveaux candidats que sont l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. Le gouvernement autrichien estime qu'il est impératif d'assurer une situation équitable et un level playing field. L'élargissement aux Balkans occidentaux n'a pas qu'une importance théorique : l'histoire a montré à plusieurs reprises les conséquences d'une instabilité dans ce voisinage, le plus récent étant la dissolution de la Yougoslavie dans les années 90. L'UE est au premier rang des échanges commerciaux avec les Balkans occidentaux et l'Autriche et ses entreprises y sont un des premiers investisseurs.
Élargir l'UE signifie transférer nos règles et nos valeurs chez nos partenaires, ce qui est une nécessité pour l'avenir. Du point de vue autrichien, l'élargissement n'est pas un processus purement technique : l'UE promet depuis plus de 20 ans à ces pays une perspective d'adhésion, sans qu'aucune date concrète ne soit encore en vue. D'un point de vue géostratégique, nous risquons de perdre les peuples de ces pays au profit d'autres grandes puissances. Le gouvernement autrichien défend l'idée de prendre dès à présent des mesures concrètes, même si une adhésion complète n'est pas encore faisable, en appliquant par exemple un concept d'intégration graduelle. L'intégration graduelle est la première étape d'une éventuelle adhésion de plein droit, qui reste l'objectif, sans pour autant devoir modifier les traités. Pourquoi ne pas approfondir la coopération dans des domaines où elle apporte des bénéfices mutuels ? Le contexte géopolitique actuel nous a fait prendre conscience que les pays qui partagent notre mode vie et nos valeurs constituent une minorité dans le monde. Il est d'autant plus important de construire et cultiver des partenariats et des alliances stables et durables, en commençant par nos plus proches voisins.
Monsieur Dimitrios Zevelakis, la Grèce accueillit le fameux Conseil européen de Thessalonique, en juin 2003, qui a lancé et structuré la perspective européenne des Balkans occidentaux. Quel est aujourd'hui son engagement en faveur de l'élargissement et des réformes qui permettront, enfin, de voir cette promesse tenue ?
Monsieur le Président, Mesdames les Sénatrices et Messieurs les Sénateurs, chers collègues, je vous remercie pour la tenue de cette réunion. La Grèce a toujours été à l'avant-garde des efforts visant à l'intégration européenne des Balkans occidentaux, car elle profitera aux deux parties. Nous appelons à l'accélération de leur perspective européenne, notamment en mettant en oeuvre une intégration progressive fondée sur le mérite et réversible sur la voie de l'adhésion à part entière. Nous sommes très satisfaits de la décision prise par le Conseil européen d'ouvrir des négociations d'adhésion avec l'Ukraine et la Moldavie et d'accorder le statut de candidat à la Géorgie. Nous encourageons ces trois pays à poursuivre et accélérer les réformes nécessaires, notamment dans les domaines de l'État de droit, de la lutte contre la corruption et du crime organisé. La Grèce soutient l'intégration progressive des pays candidats, à condition que la crédibilité du processus d'élargissement et des conditions de concurrence équitable soient garanties. Il ne faudrait pas retarder davantage l'élargissement sous prétexte d'un nécessaire approfondissement institutionnel. Tous les pays candidats doivent être traités selon les mêmes règles, et les priorités géopolitiques ne doivent pas bouleverser un processus fondé sur le mérite. Une réflexion sur les réformes institutionnelles est toujours la bienvenue pour apporter des améliorations en temps voulu, mais elles ne doivent pas être une condition préalable à l'élargissement. La Grèce estime que le cadre institutionnel actuel de l'UE est adapté à l'élargissement, même si quelques ajustements sont nécessaires (par exemple, la pondération des voix au Conseil pourrait être examinée en fin du processus d'adhésion). Concernant la capacité décisionnelle du Conseil, le passage au vote à la majorité qualifiée ne devrait pas être posé comme une condition de l'élargissement. Tout usage abusif de l'unanimité ne devrait pas conduire à modifier les règles garantissant le respect des intérêts nationaux vitaux. Nous devrions nous concentrer sur le développement d'une culture du consensus en accordant une attention particulière aux nouveaux arrivants. Le passage au vote à la majorité qualifiée pour les décisions à prendre dans le domaine de la politique européenne de sécurité et de défense commune pourrait saper l'unité entre les États membres et la capacité de l'UE à fonctionner comme un acteur cohérent, fort et fiable au niveau mondial. Concernant les futures réformes internes, nous devrions nous concentrer sur l'ajustement des politiques et du financement de l'UE, qui ont une incidence directe sur la vie de ses citoyens et façonnent leur perception à l'égard de l'élargissement.
Monsieur Javier Blanco, l'Espagne a eu la charge d'un semestre européen particulièrement dense et décisif en matière d'élargissement, le second de 2023. La déclaration de Grenade insiste sur les réformes parallèles à mener.
Je vous remercie. Monsieur le Président, Mesdames les Sénatrices et Messieurs les Sénateurs, chers collègues, l'Espagne est traditionnellement favorable à l'élargissement en raison de sa propre expérience de transformation politique et économique et de sa compréhension des besoins politiques et historiques de l'UE et des pays candidats. L'Espagne est l'un des pays dans lesquels l'élargissement bénéficie du plus grand soutien citoyen (75 % des citoyens). Le soutien de l'Espagne à l'élargissement s'est d'emblée manifesté par une visite du président Sanchez à Kiev et s'est concrétisé par les conclusions du Conseil européen convenant de l'ouverture des négociations avec l'Ukraine et la Moldavie. Le Conseil européen informel de Grenade a défini l'élargissement comme un investissement géostratégique de l'UE, qui contribuera au renforcement de notre continent. Ce dossier doit être abordé avec prudence, notamment en prêtant attention à l'impact de l'élargissement sur les institutions, les budgets et les politiques communautaires. Il implique déjà par ailleurs un fort investissement politique et économique pour l'UE. Il est important de rester très axé sur le mérite des candidats. Concernant les réformes que ces processus impliquent, l'Espagne s'est positionnée en faveur de l'ouverture d'une réflexion sur le fonctionnement futur de l'UE, y compris sur l'impact que l'élargissement aura sur son fonctionnement. Le rapport d'impact sur la PAC, la cohésion et les affaires institutionnelles qui sera présenté au premier semestre 2024 est très attendu.
Monsieur Helder Carvalho Joana, le Portugal a toujours soutenu les élargissements successifs et s'est beaucoup engagé dans le fonctionnement des institutions européennes. C'est à Lisbonne qu'a été signé le traité qui a permis à l'UE d'avancer après un trou d'air historique. L'élargissement fait-il partie des sujets à l'ordre du jour des campagnes électorales nationale en mars et européenne en juin ?
Monsieur le Président, Mesdames les Sénatrices et Messieurs les Sénateurs, chers collègues, le Portugal a beaucoup bénéficié de son processus d'intégration et pour cette raison soutient l'élargissement, dans le respect des principes bien établis, tout en étant conscient de la complexité de l'exercice. Il est nécessaire de parler franchement et de tenir nos promesses, tant envers l'Ukraine qu'envers les Balkans occidentaux. Dans le contexte géopolitique actuel, le débat sur l'élargissement est inévitable et les décisions déjà prises par le Conseil européen, que nous soutenons, sont claires sur la direction à suivre. Les chefs d'État ou de gouvernement ont souligné la nécessité pour l'UE de débattre simultanément du processus de réforme nécessaire pour la préparer à cette nouvelle phase, ce dont se félicite le Portugal. Les progrès dans le processus d'adhésion des pays candidats doivent être en phase avec les réformes nécessaires que l'UE doit entreprendre pour accueillir de nouveaux membres et fonctionner efficacement avec plus de 30 pays. Le nouvel élan en faveur de la politique d'élargissement doit être accompagné d'un effort similaire pour restructurer l'UE, notamment au niveau de ses principales politiques communes, de son budget et de ses règles de fonctionnement. Concernant la révision des traités, le Portugal estime qu'il faut d'abord décider quel type d'UE est souhaité avant d'entrer dans un processus aussi complexe.
Monsieur Michael Starbaek Christensen, le Danemark, après s'être tenu à l'écart pendant 30 ans de la politique de défense de l'Union européenne, a approuvé par référendum le 1er juin 2022 à une large majorité, la levée de l'option de retrait (opt-out) pour permettre sa pleine participation à la politique de sécurité et de défense commune ainsi qu'une augmentation des crédits de défense sur la période 2018-2023.
Monsieur le Président, Mesdames les Sénatrices et Messieurs les Sénateurs, chers collègues, voici 10 ou 15 ans, la France et le Danemark se sont entendus pour freiner l'élargissement, sur des arguments basés sur la capacité d'absorption et la crainte qu'une UE élargie soit une UE plus faible. Cette position a évolué le 22 février 2022 avec l'invasion russe de l'Ukraine. Copenhague a compris le vrai pouvoir d'attraction de l'UE vis-à-vis des voisins de l'UE non encore membres de l'UE. Il faut utiliser cette attraction pour conserver le rôle mondial de l'Europe et notamment vis-à-vis de ses grands voisins. Je suis très fier du fort soutien du Danemark à la décision du Conseil européen prise en décembre 2023. Une union élargie est aussi une union réformée : le Danemark ne soutient pas de fortes modifications du traité, qui entraîneraient des discussions très compliquées entre les États membres et des risques d'opt-out. Les traités actuels permettent de mener les réformes nécessaires : le Danemark est désormais favorable à la prise des décisions sur la politique étrangère et de sécurité par majorité qualifiée. Les prochaines présidences de l'UE devront se pencher sur les réformes des politiques agricoles et de cohésion et sur le cadre financier approprié à une UE élargie. Les discussions seront difficiles, mais il faudra trouver un compromis, car l'élargissement est un fait accompli. La population danoise est très favorable à cet élargissement à l'Ukraine, la Moldavie et aux pays des Balkans occidentaux.
Monsieur Niall Burgess, quelle est la perspective de Dublin sur l'élargissement, sachant que l'adhésion à l'UE a profondément transformé votre pays ?
Monsieur le Président, Mesdames les Sénatrices et Messieurs les Sénateurs, chers collègues, il y a 50 ans, l'Irlande a fait partie du premier élargissement de l'UE : ces 50 dernières années ont transformé notre économie et notre société, ont soutenu notre processus de paix et ont amplifié notre impact au niveau mondial. C'est durant la présidence de l'Irlande en 2004 que l'UE a accueilli 10 nouveaux États membres. 20 ans plus tard, l'Irlande continue à être un fervent partisan de l'élargissement, qui a pris une signification et une urgence nouvelles avec l'invasion de l'Ukraine en 2022. Cette invasion a mis en lumière le besoin d'accroître rapidement notre soutien et notre coopération, non seulement avec l'Ukraine, mais aussi avec nos partenaires des Balkans occidentaux et des régions de l'Est. La semaine dernière, notre Première ministre a rencontré les présidents du Kosovo, du Monténégro et de la Macédoine du Nord et est persuadée que ces trois pays sont prêts à s'engager dans la mise en place des réformes nécessaires. L'élargissement de l'UE doit se faire sur le mérite et doit être précédé par des réformes initiées par les pays candidats. L'UE a la responsabilité de les y aider, car cette tâche est complexe. Nous devons continuer à tirer parti de la dynamique actuelle et soutenir avec constance les pays qui partagent les valeurs communes de l'UE. Le soutien de l'Irlande à l'élargissement de l'UE s'accompagne de la reconnaissance du besoin d'un engagement sérieux pour une refonte de l'UE. Les implications de l'élargissement seront nombreuses et ne se limiteront pas aux seules questions budgétaires et programmatiques. L'UE devra se pencher sur ses capacités internes et ses processus de prise de décision. L'Irlande est ouverte à des discussions en faveur d'un plus grand recours au vote à la majorité qualifiée dans les domaines tels que la politique étrangère et de sécurité commune, et reconnaît les divergences de points de vue existantes.
Mme Katrin aus dem Siepen, nous avons auditionné il y a peu l'ambassadeur d'Allemagne. Nous savons le rôle moteur de votre pays en faveur des réformes et l'action commune franco-allemande est cruciale pour nous sur un enjeu de cette importance.
Monsieur le Président, Mesdames les Sénatrices et Messieurs les Sénateurs, chers collègues, le gouvernent fédéral allemand a pleinement soutenu l'ouverture de négociations d'adhésion avec l'Ukraine, car il s'agit non seulement d'une question de solidarité avec le peuple ukrainien, mais aussi d'un test de notre crédibilité et de notre fermeté dans la défense de nos valeurs communes. Cette position vaut également pour la Moldavie et justifie les décisions prises concernant la Géorgie et la Bosnie-Herzégovine. Face à la guerre d'agression russe, l'élargissement de l'UE est une nécessité politique. L'UE doit pleinement se préparer à l'adhésion de nouveaux membres. Ce processus de réforme prendra beaucoup de temps : pour bien l'encadrer et mettre en oeuvre les réformes nécessaires, il faut définir une feuille de route très concrète, notamment en liant plus systématiquement le versement de fonds européens au respect des normes de l'État de droit. Il est également nécessaire de ne pas agrandir la Commission et l'Allemagne serait prête à se passer temporairement d'un commissaire allemand. L'Allemagne propose d'élargir le champ des décisions à la majorité qualifiée, notamment pour les questions de fiscalité et de politique étrangère. Pour cette dernière, l'UE a besoin de compétences claires, d'un visage et d'une voix. L'Allemagne s'engage aux côtés de la France et de leurs partenaires pour rendre notre Europe plus forte, agile et solidaire dans un monde marqué par une concurrence croissante des systèmes politiques.
Monsieur Antonino Cascio, l'Italie soutient ardemment l'élargissement, aux Balkans occidentaux en particulier.
Monsieur le Président, Mesdames les Sénatrices et Messieurs les Sénateurs, chers collègues, l'Italie est parmi les pays les plus convaincus dans le soutien au processus d'élargissement, dans l'idée de compléter l'UE en évitant de laisser des vides géographiques qui risquent d'être remplis par des acteurs qui ne sont pas nécessairement bien disposés envers l'UE. L'Italie a à ce titre toujours porté une forte attention aux pays des Balkans occidentaux, qui constituent une région stratégique pour l'UE, comme l'histoire nous le rappelle. Le processus d'élargissement doit être fondé sur le mérite, mais ne doit pas négliger les implications géostratégiques devenues évidentes après l'agression russe de l'Ukraine. Nous avons soutenu l'ouverture de négociations d'adhésion avec l'Ukraine et la Moldavie et la concession de statut de pays candidat à la Géorgie. Nous sommes prêts à faire tout notre possible pour soutenir ces pays dans leur parcours de réformes indispensables pour devenir membre de l'UE. La perspective d'une UE à 35 ou 36 membres nous impose une réflexion sur la nécessité de réformer les institutions et les politiques européennes pour éviter une paralysie de l'UE et assurer la poursuite de son fonctionnement, par le biais de politiques qui ont connu un énorme succès comme la PAC, la politique de cohésion, la politique de recherche... Ces deux parcours - le processus d'adhésion et le processus de réforme - doivent être menés en parallèle. L'une des plus importantes questions à traiter sera celle du budget : pour donner à l'UE les moyens d'être efficace dans son action, il est nécessaire d'avoir les ressources propres suffisantes pour échapper aux débats entre pays contributeurs et pays bénéficiaires et sortir de la logique de la « somme zéro » dans nos réflexions.
Monsieur Marc Unegeheuer, le Grand-Duché de Luxembourg, autre pays fondateur, est le siège de nombreuses et importantes institutions européennes.
M. Marc Unegeheuer, ambassadeur du Grand-Duché de Luxembourg - Monsieur le Président, Mesdames les Sénatrices et Messieurs les Sénateurs, chers collègues, le Luxembourg soutient la nouvelle dynamique du processus d'élargissement et considère que l'élargissement est un investissement géostratégique dans la paix, la sécurité, la stabilité et la prospérité. Il est essentiel que le processus d'élargissement reste basé sur le mérite, malgré son contexte géopolitique. Il faut éviter tout système d'élargissement à deux niveaux. Tous les pays candidats doivent être évalués en fonction de leur propre mérite et chaque pays doit mettre en place les réformes nécessaires. Il faut porter un accent particulier sur l'État de droit. Pour que cet élargissement soit un succès, l'UE doit mettre en place ces réformes. Nos politiques doivent en effet continuer à fonctionner dans la nouvelle Europe élargie. Nous sommes donc favorables à ce que les deux processus se déroulent de manière parallèle, mais chacun à son propre rythme, en évitant toute automatisation entre les deux. Il nous faut analyser l'impact de l'élargissement sur le budget de l'UE, la PAC, les fonds de cohésion. Il est particulièrement important de poursuivre cette action de manière inclusive et transparente. Tout élargissement doit contribuer au renforcement de l'UE : nous devons garantir sa stabilité et sa prospérité. Il ne faut pas perdre de vue les fondamentaux de l'UE et donc défendre les acquis communautaires tels que le marché intérieur, l'espace Schengen et l'État de droit. Concernant la réforme des règles institutionnelles, nous estimons que l'UE doit se baser sur les dispositions qui figurent déjà dans les traités, car il est très difficile de faire une nouvelle convention et de lancer un processus de ratification d'un nouveau traité.
Je vous remercie. Je vais maintenant donner brièvement la parole à nos trois co-rapporteurs sur l'élargissement - Claude Kern, Didier Marie et Marta de Cidrac - puis à nos autres collègues.
Mesdames et Messieurs, à votre avis, quelles sont les conséquences de l'élargissement de l'UE pour le budget européen et les politiques communes les plus importantes, comme la PAC ou la politique de cohésion ? Face au risque de lassitude des Européens, mais aussi de la population ukrainienne, après deux années de guerre et au vu des difficultés évidentes de contre-offensive ukrainienne, comment poursuivre le plus efficacement possible le soutien politique, financier et militaire à l'Ukraine tout en l'incitant à défendre le mieux possible les valeurs communes de la démocratie et de l'État de droit ? Comment accompagner ce pays dans la mise en oeuvre des réformes indispensables dans le cadre d'une méthodologie au pilotage plus politique, réversible et fondée sur le mérite ?
Mesdames et Messieurs, j'ai noté dans vos propos un grand nombre de convergences, sur le fait que nous nous trouvons face à un défi historique, que la question est vitale pour la démocratie et répond à une nécessité stratégique et géopolitique, et qu'il n'est plus question de savoir si et quand l'UE va s'élargir, mais comment elle doit le faire. Le premier constat collectif est que l'approche qui a fait ses preuves en 2004 semble inadaptée aujourd'hui et qu'il faut inventer une nouvelle méthode à la fois pour permettre aux pays candidats de rejoindre l'UE le plus vite possible en respectant les principes et les valeurs de l'UE (adhésion au mérite, État de droit et démocratie) et également pour entreprendre les réformes institutionnelles nécessaires sans que cela serve de prétexte pour bloquer le processus d'adhésion. Vous semblez unanimes sur le fait qu'il n'est pas nécessaire de rouvrir les traités, ce qui se conçoit au regard de la défiance actuelle d'une partie de nos concitoyens à l'égard des institutions européennes et du risque que pourrait représenter un référendum. On peut néanmoins s'interroger sur la nécessité de rouvrir les traités à un moment donné, car l'exercice sera peut-être plus complexe lorsque l'UE comptera 35 ou 36 membres. Nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réforme.
Que pensez-vous de la feuille de route préconisée par le groupe d'experts mandatés par les gouvernements français et allemands ? Concernant le passage de la règle de l'unanimité à la règle de la majorité qualifiée, il semble exister des divergences entre ceux qui considèrent que la majorité qualifiée ne doit pas concerner les questions de politiques étrangères et de sécurité commune, et ceux qui sont prêts à l'envisager. Je souhaiterais également avoir votre avis sur la future organisation de la Commission : chaque commissaire devra-t-il avoir un portefeuille plein et entier ou une organisation différente peut-elle être envisagée ?
Enfin, que pensez-vous de l'opportunité de rééquilibrer les relations entre les trois institutions européennes, notamment en accordant davantage de place au Parlement européen, en instituant le principe de codécision et en lui donnant un pouvoir d'initiative ? De la même façon, quelle place souhaitez-vous donner aux Parlements nationaux dans le processus qui s'ouvre, et imaginez-vous leur donner une capacité d'initiative avec le fameux « carton vert » qui n'a jamais abouti ? Je partage enfin vos propos sur la nécessité d'avoir des moyens supplémentaires pour accueillir nos futurs partenaires et de réfléchir au futur budget européen et à ses ressources propres.
Merci à tous de vous être prêtés à cet exercice. Concernant la nouvelle méthodologie appliquée aux pays candidats des Balkans occidentaux, j'ai relevé à plusieurs reprises la référence faite à un « processus graduel lié au mérite des pays candidats », que nous pouvons partager, ainsi qu'à la notion de « réversibilité ». Vous avez également évoqué les notions de solidarité, d'équilibre et de stabilité, autour desquelles semble se dégager une forme de consensus entre les pays membres. L'un d'entre vous a parlé de « vide géographique » si l'on excluait les pays des Balkans : il est difficile d'imaginer qu'un morceau de cette terre commune ne puisse pas faire partie de l'UE à laquelle beaucoup aspirent. En fin d'année dernière, un plan d'investissement et de croissance pour cette zone a été annoncé avec 6 milliards d'euros : comment cela pourrait être mis en oeuvre, dans quel délai, comment envisagez-vous cette articulation ?
Je ne peux pas redonner la parole à chacun, sachant que certains d'entre vous ont apporté une réponse à ces questions dans leurs interventions, mais j'invite ceux d'entre vous qui le souhaitent à compléter leur propos.
Je précise que l'Allemagne organisera avec l'Ukraine une conférence pour la reconstruction de l'Ukraine à Berlin les 11 et 12 juin 2024.
Nous soutenons le plan d'investissement et de croissance pour les pays des Balkans comme tous les efforts fournis pour accompagner leur processus d'adhésion à l'UE. L'Italie souhaite une implication majeure des États membres dans la gouvernance du plan de croissance, car leur expertise et leurs compétences pourraient être exploitées dans son développement.
Parallèlement aux propositions des douze experts franco-allemands, des professeurs de sciences politiques de l'Université de Vilnius ont produit avec certains collègues des pays nordiques voisins des propositions relatives aux conséquences de l'élargissement à venir et des réformes à envisager. Ces travaux ont été présentés par le Vice-ministre des Affaires étrangères de Lituanie au Conseil des Affaires étrangères. Les alternatives à l'élargissement, qui consisteraient à laisser ces pays en dehors de l'UE, seraient plus coûteuses et amèneraient à une instabilité régionale et des problématiques « de voisinage ». Il paraît économiquement et politiquement plus pertinent d'intégrer à l'UE ces pays prêts à partager nos valeurs et à contribuer à une Europe plus forte. Les conséquences de l'intégration de la Lituanie en même temps que 9 autres pays ont été probablement plus importantes que celles qu'entraînera l'intégration de l'Ukraine et des autres pays actuellement candidats. L'UE a néanmoins réussi à les intégrer et la Lituanie est peut-être le meilleur exemple de la réussite de la politique d'élargissement. Concernant la continuité de l'aide apportée à l'Ukraine, l'assistance militaire semble désormais être la plus importante. Une réflexion doit être menée sur la manière d'élargir la coopération au niveau européen entre les industries de l'armement et de la défense, par exemple sur la manière d'augmenter la production de munitions. Au niveau géopolitique, l'intégration de l'Ukraine à l'UE et à l'OTAN est la meilleure réponse à apporter à la Russie de Vladimir Poutine.
Pour information, nous auditionnerons demain matin le Commissaire Breton notamment sur le sujet de l'industrie de l'armement.
Le plan de croissance et d'investissement a été salué avec enthousiasme par notre ministre, car il permet d'assurer une situation équitable. Il semble en effet inclure une imbrication plus étroite dans le marché intérieur déjà en place pour l'Ukraine et la Moldavie, mais pas encore en place dans la plupart des pays des Balkans occidentaux.
La commission des affaires étrangères et de la défense s'est rendue fin décembre 2023 à Kiev et en Pologne. Nous avons ressenti une certaine inquiétude sur le volet de la politique agricole commune. D'un point de vue géostratégique, offrir à l'Ukraine une perspective d'adhésion est indispensable compte tenu des valeurs fondamentales que sont l'État de droit et la démocratie. Il nous faudra néanmoins réinventer la politique agricole commune une fois l'Ukraine intégrée à l'UE. Cette question fait-elle partie des réflexions en cours dans vos pays ?
Concernant la révision de certaines politiques très intégrées, comme la PAC, il sera nécessaire au-delà des réformes institutionnelles de mener des réformes profondes. Comment envisagez-vous de mener ces réformes nécessaires, qui devraient l'être avant le prochain cadre financier pluriannuel ? La politique intérieure de la Pologne et de la Slovaquie ont été récemment très déstabilisées, notamment par le passage des céréales russes via leur territoire. Il semblerait pertinent d'élargir la focale à l'outre-Atlantique avec l'inquiétude d'une éventuelle réélection de Donald Trump et les perspectives d'instabilité de la politique étrangère américaine qui en découlerait. Ces perspectives colorent d'une certaine urgence la nécessité de réformer l'UE et d'avancer en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Au-delà des possibilités de majorité qualifiée sur la PESC, quelle autre piste envisagez-vous pour éviter les blocages ? Il faudra par ailleurs convaincre les populations des différents États membres du bien-fondé de l'élargissement : comment envisagez-vous d'entraîner tous les citoyens de l'UE ? Enfin, concernant l'État de droit, l'intransigeance doit être de mise pour avancer de manière coordonnée à l'échelle européenne et nous ne pourrons pas avancer dans l'intégration sans mécanismes plus forts pour garantir le respect de cet État de droit.
La crise sanitaire et la guerre qui s'est invitée aux portes de l'Europe nous ont fait prendre conscience de nos carences et de nos dépendances dangereuses et nous invitent à retrouver une forme d'autonomie stratégique et de souveraineté notamment en matière de politique industrielle. Sur quels sujets vos pays respectifs travaillent-ils pour retrouver une plus grande autonomie stratégique ?
Stockholm mène actuellement une réflexion sur les conséquences budgétaires de l'élargissement. À long terme, il est probable qu'il affectera les politiques de l'UE, ce qui nécessitera de réformer les politiques les plus coûteuses en termes budgétaires, dont font partie la PAC et la politique de cohésion. Il faut augmenter l'aide apportée à l'Ukraine et le faire dans la durée. Le soutien militaire est peut-être l'aide la plus importante à lui apporter en ce moment, afin de garantir la sécurité, mais il faudrait aussi des programmes pour soutenir les efforts de réforme et de reconstruction de ce pays. Ces aides coûteront très cher au contribuable européen.
La question budgétaire ne doit pas être abordée en termes de conséquences de l'élargissement sur le budget et les politiques de l'UE, mais en se demandant quelle UE nous voulons avoir. Nous devons définir nos ambitions et ensuite nous donner les moyens pour les atteindre. Le budget de l'UE a changé à la suite de l'élargissement de 2004 : l'Italie est par exemple passée de bénéficiaire net à contributeur net. La crise Covid et l'agression russe en Ukraine ont montré l'utilité de disposer d'instruments et de politiques longtemps critiquées. Ces politiques sont essentielles pour assurer la souveraineté stratégique de l'UE, qui aux yeux de l'Italie doit être impérativement développée dans les secteurs de la défense, de l'alimentation, de la santé... Lors des discussions sur le cadre financier pluriannuel, a été évoquée la flexibilité du budget. Cette flexibilité budgétaire est essentielle, comme l'ont prouvé le plan de relance suite au Covid puis les exigences du soutien à l'Ukraine. Il faudra tirer les leçons de ce qui nous est arrivé.
La Pologne a été confrontée non seulement à l'arrivage des céréales ukrainiennes, mais également à une problématique en termes de transports. Les négociations d'adhésion seront complexes, car pour la Pologne, l'agriculture est très importante et représente 30,5 % de son PNB. Les protestations des entreprises de transport à la frontière orientale de la Pologne semblent être en voie de résolution. Il semble également possible de réguler le flux de céréales, dont la clé est probablement interne à la Pologne. Mon pays est dans une situation de cohabitation politique entre le Président et le nouveau gouvernement. Au forum de Davos, le Président et le ministre des Affaires étrangères parlent d'une même voix sur l'Ukraine : je suis certain que la Pologne soutiendra l'Ukraine et cherchera une solution pour résoudre ces problèmes actuels.
Le destin de ces industries - transport et agriculture- est crucial pour plusieurs régions de la Slovaquie et certainement plus prégnant que dans les pays plus occidentaux de l'Europe.
Je suis tout à fait d'accord avec vous : la Slovaquie est probablement moins sensible que la France aux questions que j'ai posées au gouvernement cet après-midi sur la pêche... elles ont pourtant une dimension européenne importante. Je comprends que la question de l'Ukraine soit plus sensible pour ses voisins que pour la France.
La question de Madame la Sénatrice sur la manière de s'assurer l'accord des peuples sur une décision aussi importante que celle de l'élargissement est très pertinente. Il serait utile de partager nos expériences : l'Irlande utilise une citizens assembly pour discuter de sujets difficiles. Le droit de nommer un membre de la commission touche à la perception de la légitimité des institutions européennes.
Avant de discuter des sujets institutionnels, sources de division et de complexité, nous devons décider quel type d'UE nous voulons après l'élargissement. Le « bâtiment » peut être commun, mais chacun peut faire des choix en fonction de ses priorités et de ses intérêts, qui auront des implications institutionnelles et politiques. Le Portugal est très conscient des implications de l'élargissement : il ne sera plus bénéficiaire net, mais contributeur net. L'UE doit mener les réformes nécessaires pour qu'elle puisse fonctionner.
La question des ressources propres est essentielle. Deux cas de figure se profilent : celui des pays qui étaient bénéficiaires nets et qui deviendront contributeurs nets et celui de ceux qui étaient déjà contributeurs nets et qui le seront encore plus... Nous devons faire beaucoup de pédagogie auprès des citoyens, et l'information des parlementaires sur ces sujets est essentielle. Merci à tous.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 10