Intervention de François Bonneau

Commission des affaires européennes — Réunion du 18 janvier 2024 à 8h40
Politique étrangère et de défense — Point de suivi concernant la compétence de la cour de justice de l'union européenne cjue en matière de politique étrangère et de sécurité commune pesc et la stratégie industrielle de défense européenne : communication de m. françois bonneau mme gisèle jourda et m. dominique de legge

Photo de François BonneauFrançois Bonneau :

Le deuxième sujet que nous souhaitons évoquer sera certainement au coeur de l'audition qui va suivre, puisqu'il concerne la préparation de la stratégie relative à l'industrie de défense européenne (EDIS), ainsi que du programme européen d'investissement dans le domaine de la défense (EDIP) qui devrait lui être associé.

Ce programme pérenne aurait vocation à prendre le relais de l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes, plus communément appelé « EDIRPA », et de l'action de soutien à la production de munitions, connue sous le terme « ASAP », mesures uniquement temporaires qui ont été adoptées pour faire face à la guerre en Ukraine.

Les services de la direction générale de l'industrie de la défense et de l'espace (DG DEFIS) de la Commission européenne, placée sous l'autorité de Thierry Breton, préparent activement et à marche forcée ces documents, initialement annoncés pour 2023 et qui devraient finalement être dévoilés le 27 février prochain. Le Président du Conseil européen, Charles Michel, a souligné fin novembre que les enjeux liés la défense figureraient parmi les sujets prioritaires dans la préparation de l'agenda stratégique des dirigeants.

À la suite d'une réunion du groupe ad hoc du Conseil consacré à l'industrie de défense, tenue le 30 octobre, la Commission a organisé, pendant les mois de novembre et décembre, quatre réunions avec les représentants des États membres. À chaque fois, la Commission a transmis des questionnaires aux États membres, qui ont disposé de quelques jours pour lui adresser des contributions écrites.

Le dialogue était structuré autour de quatre sujets :

- investir mieux et ensemble dans la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) ;

- préserver la compétitivité de la BITDE ;

- améliorer la sécurité d'approvisionnement ;

- aider la BITDE à se préparer au nouveau contexte à travers les politiques de l'Union.

La Commission a également organisé des échanges avec l'industrie, les think tanks et le secteur financier. Tous ces protagonistes ont été associés au travers d'un processus de consultation mené conjointement avec le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) et l'Agence européenne de défense (AED).

Il est de notoriété publique que les échanges avec l'industrie de la défense européenne n'ont pas été simples, du fait notamment des prises de position de certains groupes français.

Le calendrier de préparation très serré témoigne de la volonté de la Commission d'avancer rapidement dans l'élaboration de cette stratégie et de ce plan qui seront structurants pour les débuts de la prochaine Commission. La France se réjouit que, dans ses principes, cette stratégie s'inscrive dans la mise en oeuvre de la déclaration de Versailles et de la boussole stratégique.

Les demandes du Conseil européen, formulées déjà à plusieurs reprises, se font également plus pressantes et précises, du fait du contexte difficile de la guerre en Ukraine. Les conclusions du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023 soulignent ainsi que « des efforts supplémentaires doivent être consentis pour atteindre les objectifs de l'Union consistant à améliorer la préparation de la défense et à augmenter les dépenses militaires de manière collaborative, y compris en renforçant les investissements et le développement des capacités dans le domaine de la défense, et pour parvenir à un marché de la défense efficace et intégré ».

Le Conseil européen demande la mise en oeuvre urgente des dispositifs EDIRPA et ASAP, en particulier afin de faciliter et de coordonner les acquisitions conjointes, mais aussi d'accroître l'interopérabilité et la capacité de production de l'industrie européenne de la défense en vue de reconstituer les stocks des États membres, notamment en fonction du soutien qui sera apporté à l'Ukraine.

Le Conseil européen demande également au Haut représentant et à la Commission, en coordination avec l'Agence européenne de défense, de présenter rapidement une stratégie industrielle de défense européenne, comprenant une proposition de programme européen d'investissement dans le domaine de la défense, compte tenu de la nécessité de renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne, y compris les PME, et de rendre cette BITDE plus innovante, plus compétitive et plus résiliente.

Les conclusions du Conseil européen soulignent l'importance de poursuivre le développement d'un marché intégré dans le domaine de la défense afin de renforcer les chaînes d'approvisionnement transfrontières, de s'assurer des technologies critiques et d'améliorer la compétitivité de l'industrie européenne de la défense.

Elles appellent également au renforcement du rôle du Groupe Banque européenne d'investissement (BEI) à l'appui de la sécurité et de la défense européennes.

Parallèlement à ces dernières conclusions du Conseil européen, plusieurs déclarations de membres de la Commission ont retenu notre attention, car elles nous semblent parfois aller au-delà des demandes du Conseil européen.

A l'occasion de la conférence annuelle de l'Agence européenne de défense, le 30 novembre 2023, la Présidente de la Commission européenne a insisté sur la dimension sécuritaire de l'Union européenne, y compris dans sa genèse, en passant toutefois sous silence l'échec de la Communauté européenne de défense. Elle affirme ainsi que « dans une période marquée par des menaces sans précédent, nous devons nous concentrer à nouveau sur la dimension sécuritaire de toutes nos politiques. Nous devons à nouveau concevoir notre Union comme étant intrinsèquement un projet de sécurité ». Le contexte électoral aux États-Unis et ses répercussions nous le rappellent clairement.

Ursula von der Leyen souligne l'enjeu de renforcement à moyen-long termes de la base industrielle et technologique de défense européenne et pointe notamment la faiblesse des dépenses collaboratives entre États membres ainsi que les achats massifs de matériels produits en dehors de l'Union. Elle plaide ainsi pour des investissements en commun plutôt que pour des achats sur étagère, dans une perspective de réduction des dépendances stratégiques.

Elle revient longuement sur la stratégie pour l'industrie de défense européenne, en cours d'élaboration. À ses yeux, cette stratégie devrait comprendre une planification stratégique pour réduire la fragmentation de l'offre et de la demande. Il s'agirait de fournir des résultats sur les priorités identifiées, de définir de nouvelles priorités pour relier les plans nationaux et européens et de lancer des projets de défense d'intérêt commun.

Cette stratégie devrait contribuer à simplifier et améliorer la réglementation, en demandant à l'industrie ce qui lui est utile, mais aussi à maximiser le potentiel des technologies à double usage. La Commission devrait ainsi proposer un livre blanc sur cette question.

La Présidente de la Commission européenne appelle également à une amélioration des financements publics et privés et à une prise en compte des investissements de défense dans les règles budgétaires et dans l'adaptation des efforts demandés aux États membres en déficit budgétaire excessif. Cette prise en compte n'interviendrait que de manière limitée et sous certaines conditions. Elle estime notamment que cela pourrait être particulièrement pertinent pour les investissements visant à combler des lacunes capacitaires critiques, sous réserve qu'ils portent sur des projets collaboratifs européens afin d'encourager spécifiquement des projets transfrontières.

Elle annonce par ailleurs qu'elle souhaite étudier comment intégrer l'industrie ukrainienne dans certains programmes de défense, la première étape étant « d'inclure l'Ukraine dans le processus de consultation sur la stratégie industrielle ».

Elle estime enfin que les questions de défense et de sécurité seront centrales dans l'agenda de la Commission au cours des prochains mois et affiche un objectif clair. Pour elle, « la prochaine étape est celle d'une union européenne de la défense à part entière ».

Quant au commissaire européen Thierry Breton, que nous allons entendre dans quelques minutes, il a fait la semaine dernière des déclarations qui ont marqué les esprits, en appelant à la création d'un fonds de 100 milliards d'euros pour stimuler la production de l'industrie de défense de l'Union européenne et la collaboration entre les États membres, les entreprises et les autres acteurs.

Rappelons que, très modestement, le montant alloué au Fonds européen de la défense sur la durée du cadre financier pluriannuel actuel avait été arrêté à 8 milliards d'euros... Même s'il doit bénéficier d'une petite rallonge à l'occasion de la révision du CFP, on est loin des 100 milliards évoqués.

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