Commission des affaires européennes

Réunion du 18 janvier 2024 à 8h40

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • PESC
  • espace
  • europe
  • industrie
  • traite

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Cyril Pellevat

Mes chers collègues, dans des circonstances particulières, je remplace ce matin le président Rapin, retenu pour un petit-déjeuner de travail avec le commissaire européen au marché intérieur, M. Thierry Breton, que notre commission auditionnera ensuite.

Notre semaine très riche se poursuit donc avec, ce matin, cette audition avant laquelle il a paru utile de vous informer des derniers développements en matière de défense européenne. En effet, ce sujet, à forte dimension industrielle, entre dans les compétences du commissaire Breton et y occupe une place croissante.

Les rapporteurs que nous allons entendre saisiront l'occasion pour faire un point sur un sujet juridique dont notre commission a identifié l'enjeu politique l'an dernier, ce qui a conduit les présidents des trois commissions concernées du Sénat à en saisir le Premier ministre. Je veux parler de la compétence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en matière de Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) : les rapporteurs nous rappelleront les préoccupations du Sénat à ce propos et nous diront pourquoi elles sont plus que jamais d'actualité.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Mes chers collègues, dans le prolongement de nos travaux menés l'an passé sur l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme et sur les textes relatifs à l'industrie de défense européenne, nous avons souhaité ce matin faire un point d'actualité qui alimentera nos réflexions en vue de l'audition qui va suivre du commissaire européen Thierry Breton. Celui-ci prépare en effet d'arrache-pied une stratégie relative à l'industrie de défense européenne qui devrait être présentée fin février.

Pour préparer cette communication, nous avons auditionné les services du Secrétariat général des affaires européennes. Nous souhaitions également auditionner certaines directions du ministère des armées mais cette audition a dû être décalée.

Le premier point que nous souhaitons évoquer concerne l'évolution du dossier concernant les compétences de la CJUE en matière de PESC et son incidence sur les négociations d'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme.

Ces négociations ont progressé sur l'ensemble des points, sauf celui concernant la PESC. Le sujet qui demeure est celui de l'épuisement des voies de recours interne à l'Union européenne avant que la Cour européenne des droits de l'homme ait à se prononcer sur une éventuelle violation des droits de l'Homme du fait de la mise en oeuvre d'actes relevant de la PESC.

Pour mémoire, il ressort des articles 24 du traité sur l'Union européenne et 275 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que la CJUE n'est pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la PESC, ni en ce qui concerne les actes adoptés sur leur base. Seules deux exceptions sont prévues : pour contrôler le respect de l'article 40 du traité sur l'Union européenne et pour examiner les recours concernant les mesures restrictives adoptées par le Conseil à l'encontre de personnes physiques ou morales.

Sans refaire l'historique du dossier des négociations d'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme, je rappelle que, par un avis 2/13 rendu le 18 décembre 2014, la CJUE avait bloqué un premier projet d'adhésion finalisé en avril 2013, en rejetant en particulier la possibilité que la Cour européenne des droits de l'Homme puisse connaître des actes relatifs à la PESC, alors qu'elle-même ne le pouvait pas en application des traités.

Les négociations d'adhésion ont été relancées à compter d'octobre 2019, de nouvelles directives de négociation ayant alors été adoptées en vue de répondre aux différents problèmes recensés par la CJUE. S'agissant de la PESC, ces directives privilégiaient en particulier la définition d'un mécanisme de réattribution de responsabilités. Concrètement, cela signifie que des tribunaux nationaux, choisis en fonction de critères spécifiques, seraient amenés à se prononcer sur une éventuelle violation des droits de l'Homme du fait de la mise en oeuvre d'actes relevant de la PESC.

Les négociations n'ont pas permis de faire prospérer cette solution et la Commission européenne a alors proposé une autre piste, soutenue par le service juridique du Conseil, consistant à adopter une déclaration intergouvernementale interprétative qui permettrait à la CJUE d'étendre sa compétence aux actes relevant de la PESC afin de vérifier une éventuelle violation des droits fondamentaux avant que la Cour européenne des droits de l'Homme ne se prononce.

C'est cette perspective que nous avons rejetée avec force dans la résolution adoptée l'an dernier par le Sénat. Nous avions considéré qu'une telle déclaration contredirait les traités qui ont été ratifiés par les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Nous avions également affirmé qu'elle s'apparenterait de fait à une révision des traités, soustraite au contrôle des parlements nationaux, et effectuée selon des modalités qui ne sont pas prévues par l'article 48 du traité sur l'Union européenne, ce qui constituerait une violation des règles de l'État de droit. Nous appelions également à poursuivre les négociations en vue de trouver une solution juridique appropriée.

Les négociations, après avoir exploré la voie de la création d'une nouvelle juridiction commune, ne progressent plus aujourd'hui sur le volet PESC, le seul restant encore en discussion, dans l'attente d'un arrêt de la CJUE.

Celui-ci devrait intervenir d'ici quelques mois et, dans ce contexte, la présidence belge du Conseil ne prévoit à ce stade qu'un point d'étape sur les négociations d'adhésion, en fin de semestre.

Néanmoins, une étape importante, dont nous souhaitons vous rendre compte, est intervenue le 23 novembre 2023. L'avocate générale à la Cour de justice a rendu ses conclusions dans trois affaires en vue de préciser les compétences de la CJUE en matière de PESC.

D'une part, dans l'affaire C-351/22, Neves 77 Solutions, l'avocate générale considère que la CJUE n'est pas compétente pour interpréter des dispositions générales d'une mesure de l'Union en matière de PESC dans le seul but d'en préciser le sens, mais qu'elle peut interpréter les droits et principes fondamentaux de l'Union pour permettre d'apprécier la légalité de mesures nationales mettant en oeuvre la PESC.

D'autre part, dans les affaires jointes C-23/22 P, KS et KD/Conseil e.a. et C-44/22 P, Commission/KS e.a., l'avocate générale considère que les particuliers peuvent introduire un recours en indemnité devant les juridictions de l'Union en invoquant de prétendues violations des droits fondamentaux du fait de mesures adoptées par l'Union en matière de PESC. Elle interprète pour cela la finalité de la limitation de compétence de la CJUE en matière de PESC en soulignant, en particulier, que « la violation d'un droit fondamental ne pouvant être un choix politique, les juridictions de l'Union doivent être en mesure de contrôler si cette limite a été franchie ».

Ce dossier, dans lequel la France est intervenue, fait une nouvelle fois apparaître son isolement, elle seule prônant une application stricte et littérale des traités.

L'avocate générale a purement et simplement balayé les arguments avancés par la France, y compris le point concernant la modification de fait des traités que nous avions soulevé dans notre résolution. Elle évoque également très directement les enjeux liés à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme.

Elle affirme ainsi que la nécessité de respecter l'État de droit ne peut conduire les juridictions de l'Union à modifier les traités, mais que cela ne les empêche pas d'interpréter les traités conformément au principe de protection juridictionnelle effective et qu'elles sont mêmes tenues de le faire. Concrètement, cela rejoint très directement la finalité de la déclaration intergouvernementale interprétative qu'avait proposée la Commission européenne. Cela correspond également à l'approche défendue par le service juridique du Conseil. Celui-ci estime qu'il convient d'établir une distinction claire entre les actes impliquant des choix politiques en matière de PESC, qui ne sont pas soumis au contrôle juridictionnel, et les actes visant à mettre en oeuvre des actions concrètes, qui le sont.

L'avocate générale rejette explicitement les deux solutions techniques présentées par la France pour éviter de donner compétence aux juridictions de l'Union.

Elle affirme ainsi qu'« il n'y a aucune raison particulière pour qu'une juridiction de l'État membre exerçant la présidence du Conseil soit la mieux placée pour connaître d'une affaire concernant la prétendue violation des droits fondamentaux par une mission de l'Union ».

Elle écarte également la possibilité de porter l'action devant les juridictions de n'importe quel État membre. Elle considère en effet qu'une telle solution pourrait donner lieu à un « forum shopping », les requérants recherchant l'État membre qui dispose des règles procédurales les plus favorables régissant les actions en indemnité. Il reviendrait alors à la Cour européenne des droits de l'homme de résoudre les éventuelles divergences de jurisprudence internes à l'Union, perspective qui ne lui convient manifestement pas.

L'avocate générale rejette enfin l'idée évoquée par la France de créer une nouvelle juridiction commune pour connaître des affaires relatives à des violations des droits fondamentaux par des mesures relevant de la PESC. Elle s'interroge au passage sur les raisons qui conduiraient les États membres « à conférer une compétence à une autre juridiction supranationale s'ils ne sont pas disposés à reconnaître une telle compétence aux juridictions de l'Union ».

À partir de ces éléments, l'avocate générale évoque l'enjeu des négociations d'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme. Elle relève que le processus d'adhésion n'est possible que s'il respecte les caractéristiques spécifiques de l'ordre juridique de l'Union et n'affecte pas les compétences qui ont été conférées à l'Union par les traités.

Elle souligne à cet égard l'intérêt de l'interprétation des traités qu'elle propose, laquelle permettrait de déterminer plus clairement la limitation de la compétence des juridictions de l'Union en matière de PESC, dans un sens naturellement restrictif. Elle souligne ainsi qu'une telle interprétation ressort de ce qu'elle appelle les « principes constitutionnels de l'ordre juridique de l'Union », principalement l'État de droit, qui comprend le droit à une protection juridictionnelle effective, et le principe imposant le respect des droits fondamentaux dans toutes les politiques de l'Union.

Le rôle des juridictions de l'Union qui découle de ces principes ne peut donc être limité qu'à titre exceptionnel.

Cette interprétation permettrait de sauvegarder l'autonomie de l'ordre juridique de l'Union, en évitant que d'éventuelles divergences entre les juridictions nationales soient tranchées par une juridiction extérieure à celui-ci.

Comme le souligne l'avocate générale de manière imagée, « la majorité des États membres intervenus dans la présente affaire ont approuvé la description imagée du gouvernement tchèque selon laquelle « tout train susceptible d'arriver à Strasbourg doit d'abord s'arrêter à Luxembourg ». L'interprétation proposée prévoit un tel arrêt à Luxembourg ».

Il ne s'agit à ce stade que des conclusions de l'avocate générale, et non du jugement de la Cour, mais nous connaissons tous leur importance. Une nouvelle fois, nous mesurons le grand isolement de la France. Le risque des prochains mois est de voir la position politique que nous avons adoptée balayée par une interprétation très constructive de la CJUE, avec le plein soutien des institutions de l'Union et des autres États membres, sans qu'aucune modification des traités ne soit nécessaire.

De fait, si la CJUE retenait l'interprétation proposée par son avocate générale, il n'y aurait plus de nécessité d'assortir le projet d'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme d'une clause spécifique ou d'une déclaration interprétative. Le dernier obstacle sur la voie des négociations d'adhésion serait alors levé.

Je veux toutefois rappeler qu'il nous reviendra, le moment venu, de ratifier l'accord d'adhésion. Pourrions-nous accepter cet accord dans ces conditions, si la position que nous défendons avec force en nous fondant sur les traités venait à être battue en brèche ? Cela ne remettrait toutefois pas en cause les compétences que la CJUE se serait arrogées.

Nous ne sommes pas au bout du processus et nous serons certainement amenés à refaire un point devant vous, en veillant à expertiser l'impact qu'aurait une telle jurisprudence sur la conduite des opérations menées dans le cadre de la PESC. On ne peut en effet exclure, dans cette hypothèse, des stratégies de contournement pouvant prendre la forme d'accords intergouvernementaux ne relevant pas de la PESC.

Le moins que l'on puisse dire à ce stade, c'est que la dynamique actuelle ne va pas dans le sens que nous appelions de nos voeux.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonneau

Le deuxième sujet que nous souhaitons évoquer sera certainement au coeur de l'audition qui va suivre, puisqu'il concerne la préparation de la stratégie relative à l'industrie de défense européenne (EDIS), ainsi que du programme européen d'investissement dans le domaine de la défense (EDIP) qui devrait lui être associé.

Ce programme pérenne aurait vocation à prendre le relais de l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes, plus communément appelé « EDIRPA », et de l'action de soutien à la production de munitions, connue sous le terme « ASAP », mesures uniquement temporaires qui ont été adoptées pour faire face à la guerre en Ukraine.

Les services de la direction générale de l'industrie de la défense et de l'espace (DG DEFIS) de la Commission européenne, placée sous l'autorité de Thierry Breton, préparent activement et à marche forcée ces documents, initialement annoncés pour 2023 et qui devraient finalement être dévoilés le 27 février prochain. Le Président du Conseil européen, Charles Michel, a souligné fin novembre que les enjeux liés la défense figureraient parmi les sujets prioritaires dans la préparation de l'agenda stratégique des dirigeants.

À la suite d'une réunion du groupe ad hoc du Conseil consacré à l'industrie de défense, tenue le 30 octobre, la Commission a organisé, pendant les mois de novembre et décembre, quatre réunions avec les représentants des États membres. À chaque fois, la Commission a transmis des questionnaires aux États membres, qui ont disposé de quelques jours pour lui adresser des contributions écrites.

Le dialogue était structuré autour de quatre sujets :

- investir mieux et ensemble dans la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) ;

- préserver la compétitivité de la BITDE ;

- améliorer la sécurité d'approvisionnement ;

- aider la BITDE à se préparer au nouveau contexte à travers les politiques de l'Union.

La Commission a également organisé des échanges avec l'industrie, les think tanks et le secteur financier. Tous ces protagonistes ont été associés au travers d'un processus de consultation mené conjointement avec le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) et l'Agence européenne de défense (AED).

Il est de notoriété publique que les échanges avec l'industrie de la défense européenne n'ont pas été simples, du fait notamment des prises de position de certains groupes français.

Le calendrier de préparation très serré témoigne de la volonté de la Commission d'avancer rapidement dans l'élaboration de cette stratégie et de ce plan qui seront structurants pour les débuts de la prochaine Commission. La France se réjouit que, dans ses principes, cette stratégie s'inscrive dans la mise en oeuvre de la déclaration de Versailles et de la boussole stratégique.

Les demandes du Conseil européen, formulées déjà à plusieurs reprises, se font également plus pressantes et précises, du fait du contexte difficile de la guerre en Ukraine. Les conclusions du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023 soulignent ainsi que « des efforts supplémentaires doivent être consentis pour atteindre les objectifs de l'Union consistant à améliorer la préparation de la défense et à augmenter les dépenses militaires de manière collaborative, y compris en renforçant les investissements et le développement des capacités dans le domaine de la défense, et pour parvenir à un marché de la défense efficace et intégré ».

Le Conseil européen demande la mise en oeuvre urgente des dispositifs EDIRPA et ASAP, en particulier afin de faciliter et de coordonner les acquisitions conjointes, mais aussi d'accroître l'interopérabilité et la capacité de production de l'industrie européenne de la défense en vue de reconstituer les stocks des États membres, notamment en fonction du soutien qui sera apporté à l'Ukraine.

Le Conseil européen demande également au Haut représentant et à la Commission, en coordination avec l'Agence européenne de défense, de présenter rapidement une stratégie industrielle de défense européenne, comprenant une proposition de programme européen d'investissement dans le domaine de la défense, compte tenu de la nécessité de renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne, y compris les PME, et de rendre cette BITDE plus innovante, plus compétitive et plus résiliente.

Les conclusions du Conseil européen soulignent l'importance de poursuivre le développement d'un marché intégré dans le domaine de la défense afin de renforcer les chaînes d'approvisionnement transfrontières, de s'assurer des technologies critiques et d'améliorer la compétitivité de l'industrie européenne de la défense.

Elles appellent également au renforcement du rôle du Groupe Banque européenne d'investissement (BEI) à l'appui de la sécurité et de la défense européennes.

Parallèlement à ces dernières conclusions du Conseil européen, plusieurs déclarations de membres de la Commission ont retenu notre attention, car elles nous semblent parfois aller au-delà des demandes du Conseil européen.

A l'occasion de la conférence annuelle de l'Agence européenne de défense, le 30 novembre 2023, la Présidente de la Commission européenne a insisté sur la dimension sécuritaire de l'Union européenne, y compris dans sa genèse, en passant toutefois sous silence l'échec de la Communauté européenne de défense. Elle affirme ainsi que « dans une période marquée par des menaces sans précédent, nous devons nous concentrer à nouveau sur la dimension sécuritaire de toutes nos politiques. Nous devons à nouveau concevoir notre Union comme étant intrinsèquement un projet de sécurité ». Le contexte électoral aux États-Unis et ses répercussions nous le rappellent clairement.

Ursula von der Leyen souligne l'enjeu de renforcement à moyen-long termes de la base industrielle et technologique de défense européenne et pointe notamment la faiblesse des dépenses collaboratives entre États membres ainsi que les achats massifs de matériels produits en dehors de l'Union. Elle plaide ainsi pour des investissements en commun plutôt que pour des achats sur étagère, dans une perspective de réduction des dépendances stratégiques.

Elle revient longuement sur la stratégie pour l'industrie de défense européenne, en cours d'élaboration. À ses yeux, cette stratégie devrait comprendre une planification stratégique pour réduire la fragmentation de l'offre et de la demande. Il s'agirait de fournir des résultats sur les priorités identifiées, de définir de nouvelles priorités pour relier les plans nationaux et européens et de lancer des projets de défense d'intérêt commun.

Cette stratégie devrait contribuer à simplifier et améliorer la réglementation, en demandant à l'industrie ce qui lui est utile, mais aussi à maximiser le potentiel des technologies à double usage. La Commission devrait ainsi proposer un livre blanc sur cette question.

La Présidente de la Commission européenne appelle également à une amélioration des financements publics et privés et à une prise en compte des investissements de défense dans les règles budgétaires et dans l'adaptation des efforts demandés aux États membres en déficit budgétaire excessif. Cette prise en compte n'interviendrait que de manière limitée et sous certaines conditions. Elle estime notamment que cela pourrait être particulièrement pertinent pour les investissements visant à combler des lacunes capacitaires critiques, sous réserve qu'ils portent sur des projets collaboratifs européens afin d'encourager spécifiquement des projets transfrontières.

Elle annonce par ailleurs qu'elle souhaite étudier comment intégrer l'industrie ukrainienne dans certains programmes de défense, la première étape étant « d'inclure l'Ukraine dans le processus de consultation sur la stratégie industrielle ».

Elle estime enfin que les questions de défense et de sécurité seront centrales dans l'agenda de la Commission au cours des prochains mois et affiche un objectif clair. Pour elle, « la prochaine étape est celle d'une union européenne de la défense à part entière ».

Quant au commissaire européen Thierry Breton, que nous allons entendre dans quelques minutes, il a fait la semaine dernière des déclarations qui ont marqué les esprits, en appelant à la création d'un fonds de 100 milliards d'euros pour stimuler la production de l'industrie de défense de l'Union européenne et la collaboration entre les États membres, les entreprises et les autres acteurs.

Rappelons que, très modestement, le montant alloué au Fonds européen de la défense sur la durée du cadre financier pluriannuel actuel avait été arrêté à 8 milliards d'euros... Même s'il doit bénéficier d'une petite rallonge à l'occasion de la révision du CFP, on est loin des 100 milliards évoqués.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Face à ce tourbillon d'annonces ou de déclarations, qui ne paraissent pas toutes s'inscrire sur la même trajectoire, il nous semble que l'audition de Thierry Breton pourrait permettre de clarifier un certain nombre d'enjeux. Sans prétendre être exhaustifs, nous souhaitons mettre en lumière les points suivants concernant la future stratégie industrielle et le programme d'investissement associé.

Premièrement, la secrétaire d'État aux affaires européennes nous a assuré le 21 décembre dernier qu'« il ne s'agit pas de créer un marché unique de la défense, mais un marché intégré, qui permette aux États de bénéficier d'une meilleure défense à un coût moindre ». Le SGAE nous l'a confirmé en début de semaine et a botté en touche sur l'idée « d'Union de la défense » mise en avant par la Présidente de la Commission européenne. Il conviendrait néanmoins de clarifier les intentions réelles de la Commission européenne.

De manière très concrète, l'un des marqueurs des intentions de la Commission sera la base juridique qu'elle retiendra pour le texte EDIP. La France et l'Allemagne ne souhaitent pas que ce texte se fonde sur l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui stipule notamment que « le Parlement européen et le Conseil (...) arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur ». La France demande qu'il s'appuie sur l'article 173 du traité, selon lequel « l'Union et les États membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l'industrie de l'Union soient assurées », en excluant « toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres ». Or, lors de la présentation du texte ASAP, la Commission européenne s'était appuyée sur ces deux articles, avant de rencontrer des déconvenues sur lesquelles je vais revenir.

Deuxièmement, l'articulation entre les textes EDIRPA et ASAP, d'un côté, et le futur texte EDIP, de l'autre, amène trois séries de questions.

D'une part, il serait souhaitable de pouvoir disposer d'un retour d'expérience sur la mise en oeuvre concrète d'EDIRPA et d'ASAP avant de figer le dispositif de l'EDIP. Cela n'est pas assuré, dès lors que ce dernier devrait entrer en vigueur en 2025. Il conviendrait donc que Thierry Breton nous éclaire sur ce point.

D'autre part, dès lors qu'il s'agira cette fois d'un dispositif pérenne, et non plus d'un dispositif d'urgence à vocation temporaire, il conviendra d'être particulièrement vigilant afin que le soutien qui sera mis en place bénéficie bien à l'industrie européenne et à elle seule. Je ne suis pas certain que tous les États membres partagent cette analyse.

Enfin, le texte ASAP a été marqué par une tentative de la Commission européenne d'accroître considérablement ses prérogatives par le biais de dispositifs réglementaires. Je rappelle que le texte initial comprenait des mesures d'harmonisation destinées à déterminer, à cartographier et à surveiller en permanence la disponibilité des produits de défense concernés, de leurs composants et des intrants correspondants, ainsi que des mesures destinées à établir des exigences assurant la disponibilité durable et en temps utile des produits de défense concernés dans l'Union.

Cette cartographie aurait ensuite permis de mettre en place un cadre de « commande prioritaire » auprès d'une entreprise, sous certaines conditions, notamment en cas de graves difficultés liées à des pénuries ou des risques graves de pénuries de produits de défense vulnérables aux approvisionnements.

La proposition de la Commission prévoyait également la possibilité pour les entreprises d'effectuer des transferts d'équipements militaires au sein de l'Union sans obtenir du gouvernement concerné la licence d'exportation habituellement requise.

Ce volet du texte ASAP avait été supprimé en juin, dans un contexte de grande urgence. Nous nous y étions opposés avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Qu'en sera-t-il dans le cadre de l'EDIP ? Thierry Breton s'était engagé devant le Parlement européen à réintroduire ce volet réglementaire. Nous comprenons des échanges que nous avons eus avec le SGAE qu'une forme de cartographie semble jugée nécessaire par de nombreux États membres, mais jusqu'où va-t-on, avec quelles conséquences ?

La France apparaît en revanche toujours opposée aux commandes prioritaires et aux transferts d'équipements militaires sans aval des gouvernements concernés. Il nous apparaît clair aujourd'hui qu'elle entend privilégier une approche préservant la place des gouvernements et cantonner les initiatives de la Commission.

Ces enjeux ne sont pas minces et nous renvoient au contrôle de subsidiarité que nous devrons effectuer de manière extrêmement rigoureuse sur le texte EDIP, qui sera transmis à notre commission.

Troisièmement, nous avons besoin de davantage de clarté sur le plan des financements, même si une part de la réponse n'interviendra qu'à l'occasion des négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel.

La mise à contribution de la BEI ne soulève pas de difficulté technique ou réglementaire et elle a déjà débuté. Une « Facilité de participation au secteur de la défense », cofinancée par le Fonds européen de la défense et le Fonds européen d'investissement, a été annoncée la semaine dernière afin de soutenir des fonds de capital-risque et de capital-investissement investissant dans des entreprises innovantes du secteur, en particulier sur les technologies à double usage. Le vice-président de la Banque européenne d'investissement a souligné à cette occasion que ces enjeux devenaient une priorité stratégique pour la BEI.

Nous avons en revanche besoin de plus de clarté sur l'articulation entre les différents instruments de l'Union et sur le rôle dévolu, en particulier, au Fonds européen de la défense dont l'enveloppe reste très limitée, ainsi qu'à la Facilité européenne de paix.

Nous comprenons que Thierry Breton a lancé son chiffre de 100 milliards d'euros comme un objectif à terme mais qu'il ne repose sur rien de tangible à ce stade. Certains évoquent la possibilité d'un nouvel emprunt commun sur le modèle de ce qui a été fait pour assurer le financement de NextGenerationEU. Je suis pour ma part très sceptique.

Quatrièmement, nous nous interrogeons sur l'articulation entre la future stratégie industrielle et la planification de l'OTAN, qui reste le fondement de la défense collective pour ses membres, ainsi que le souligne à nouveau le Conseil européen dans ses conclusions de décembre.

Cinquièmement, nous considérons qu'il faut clarifier les intentions et les modalités d'intégration de l'Ukraine dans les programmes de soutien à l'industrie de défense européenne. Jusqu'où va-t-on ? Comment marquer notre soutien sans basculer dans une forme de co-belligérance vis-à-vis de la Russie ?

Enfin, je veux souligner que ces équipements de défense ont vocation à être remis aux armées. Cela doit donc nous conduire à prêter une attention toute particulière à la manière dont les états-majors des États membres sont associés à la définition de ces équipements prioritaires.

Voilà quelques points qu'il nous paraissait utile de vous présenter avant l'audition de Thierry Breton. Vous aurez compris qu'il s'agit d'une communication d'étape qui sert à préparer le travail de fond que nous aurons à mener sur le texte EDIP.

Debut de section - PermalienPhoto de Cyril Pellevat

Je vous remercie, chers collègues co-rapporteurs. Je constate qu'il n'y a pas de questions et vous propose de poursuivre nos travaux avec l'audition du commissaire Breton.

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques, et de M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Nous accueillons le commissaire européen Thierry Breton.

Je vous remercie, monsieur le commissaire, d'avoir accepté la sollicitation de la commission des affaires européennes pour cette audition, à laquelle j'ai souhaité associer la commission des affaires économiques et celle des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

En charge du marché intérieur, vous avez concentré votre énergie sur l'élaboration d'une stratégie industrielle qui manquait à l'Union européenne et sur l'affirmation de sa souveraineté, aidé en cela par la guerre en Ukraine et l'ambition climatique européenne.

Après avoir fait adopter des règles pour déverrouiller les marchés numériques, vous avez orchestré la réponse européenne à l'Inflation Reduction Act (IRA) américain et proposé l'adoption de deux législations pour garantir à l'Union un accès aux matières premières critiques et impulser une industrie zéro émission nette en promouvant des projets stratégiques. Par deux résolutions européennes, nous avons soutenu ces avancées, mais pourquoi la Commission ne les a-t-elle pas assorties d'étude d'impact et ne prévoit-elle pas à leur endroit un financement adapté ? Comment entendez-vous, par ailleurs, diversifier les sources d'approvisionnement de l'Union en matériaux critiques, particulièrement en uranium ?

Par ailleurs, l'Union tente de se protéger contre les investissements directs d'États tiers sur son sol, qui risquent de porter atteinte à sa sécurité ou à l'ordre public. Le système de filtrage de ces investissements, dont le Sénat a soutenu la mise en place, doit permettre d'éviter l'acquisition de fleurons européens par des entreprises étrangères. Il repose sur un mécanisme de coopération et d'échanges d'informations entre États membres, mais les mécanismes de filtrage nationaux sont très hétérogènes. Après trois ans de fonctionnement, jugez-vous ce système efficace ?

Le soutien à l'industrie de défense constitue un autre point structurant de votre action, qui a connu un véritable changement de paradigme à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine, de la déclaration de Versailles et de l'adoption de la boussole stratégique. Le cadre financier pluriannuel avait bien prévu un Fonds européen de la défense, mais le sujet a changé d'échelle en 2023 après l'adoption de deux législations importantes, quoique temporaires : l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (Edirpa) et l'action de soutien à la production de munitions (Asap), dont l'adoption s'est faite en un temps record. Vous embrayez à présent sur la préparation intensive d'une stratégie industrielle de défense européenne (Edis) et d'un programme européen d'investissement dans le domaine de la défense (Edip), annoncés pour le 27 février prochain.

L'Ukraine a un besoin urgent de munitions et ces textes ne sauraient attendre, mais ils n'iront pas sans débats, car l'industrie de la défense touche à la souveraineté des États membres. Vous avez déjà pu mesurer la sensibilité de notre assemblée sur ce sujet, à l'occasion du texte Asap.

Le renforcement de la base industrielle et technologique de la défense européenne (BITDE) suppose aussi des moyens financiers. La facilité de participation au secteur de la défense doit permettre de soutenir des fonds investissant dans des entreprises innovantes, en particulier dans les technologies à double usage, mais on est bien loin des 100 milliards d'euros que vous appelez de vos voeux ! Comment avez-vous évalué un tel besoin ? Où entendez-vous trouver cette somme ?

Les États membres faisant déjà de la résistance sur la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel, je n'imagine pas un nouvel emprunt commun, d'autant que nul ne sait encore aujourd'hui comment sera remboursé celui qui a été contracté pour sortir de la pandémie... J'en appelle aux ressources propres européennes.

On a en outre le sentiment que, sous couvert de soutien à l'industrie, la Commission entend, à l'occasion de la guerre en Ukraine, accroître significativement ses compétences en matière de défense. Aux dires de la présidente von der Leyen, « la prochaine étape est celle d'une Union européenne de la défense à part entière » : la France soutient à ce stade un marché intégré de l'industrie de défense, mais non pas un marché unique. Quelle est votre position à cet égard ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

À mon tour de me féliciter de votre présence parmi nous ce matin, monsieur le commissaire. Vous êtes à la tête, depuis plusieurs années déjà, d'un portefeuille étendu, stratégique et crucial pour l'avenir de l'Union européenne, qui nous concerne au premier chef au sein de la commission des affaires économiques.

À ce poste, vous vous êtes fait le chantre de la souveraineté européenne, dans tous les domaines, qu'il s'agisse du domaine industriel, économique ou numérique.

Mes questions portent sur deux points : les enjeux de relocalisation industrielle, en lien avec la transition verte, et la régulation de l'économie numérique.

Sur le premier point : la France a engagé un mouvement en faveur de la relocalisation industrielle, notamment dans les secteurs de la transition écologique. Nous avons débattu il y a quelques mois de la loi relative à l'industrie verte, qui anticipe sur le futur règlement européen pour une industrie « zéro net ». Quelles sont les perspectives d'adoption de ce règlement, qui conditionnera la liste des technologies éligibles aux dispositifs prévus dans cette loi ?

Pour soutenir notre industrie, en plus de simplification administrative, nous avons surtout besoin de financements. La France a largement profité de la libéralité du nouveau cadre européen post-covid en matière d'aides d'État : tout récemment, le crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de l'industrie verte (C3IV) a été validé par la Commission européenne. Face aux aides à la production massives pratiquées par nos concurrents internationaux, cela n'a rien de choquant. Certains « petits pays » en Europe réclament désormais la fin de ce cadre dérogatoire, qui avantagerait davantage, selon eux, les « grands pays ». Combien de temps ce cadre est-il appelé à durer ?

Dans le même temps, après le sursaut post-covid, le soutien à l'industrie ne semble plus être une priorité pour tout le monde en Europe, compte tenu du contexte budgétaire contraint que nous partageons tous : la plateforme de technologies stratégiques pour l'Europe (Step), qui devait remplacer le fonds de souveraineté mort-né, promet d'être la grande perdante des négociations budgétaires européennes. Cette attrition des financements publics constitue un risque majeur pour la compétitivité européenne, dans des secteurs industriels pourtant stratégiques. L'urgence n'est-elle pas alors de créer les conditions de la mobilisation des capitaux privés, notamment en relançant l'union des marchés de capitaux ?

J'en viens à mon second point. Vous le savez, les enjeux liés à une régulation juste, équitable et ambitieuse de l'économie numérique nous intéressent grandement, le Sénat s'étant souvent positionné à l'avant-garde d'une telle régulation, ce qui, d'ailleurs, n'est pas toujours du goût de la Commission européenne.

L'arsenal législatif dont nous nous sommes dotés est robuste et nous commençons seulement à prendre la mesure de l'étendue des instruments, à la fois offensifs et défensifs, dont l'Union européenne s'est dotée. Je suis convaincue que nous sommes sur la bonne voie pour rééquilibrer le rapport de force en notre faveur, mais l'année 2024 sera une année charnière pour la mise en oeuvre de ce nouvel arsenal. Le premier défi sera de s'assurer de sa bonne application. Meta, Apple et TikTok ont d'ores et déjà annoncé contester devant la justice européenne leur désignation par la Commission européenne comme contrôleurs d'accès au titre du règlement européen sur les marchés numériques. Face à un tel niveau de contestation, comment comptez-vous assurer la force de frappe de notre modèle de régulation ?

Déjà partiellement en application, le règlement européen sur les services numériques est lui aussi contesté ; c'est pourquoi, après avoir demandé des informations supplémentaires à plusieurs plateformes sur les mesures prises en matière de modération des contenus et de vérification de l'âge, vous avez annoncé, le 18 décembre dernier, ouvrir une procédure d'infraction contre le réseau social X. Monsieur le commissaire, où en est cette procédure d'infraction aujourd'hui ? Face à la menace de lourdes sanctions européennes, pensez-vous que le réseau social X puisse prochainement se retirer du marché européen ? Toutes ces questions se posent également pour TikTok...

L'année 2024 devrait également être celle de l'entrée en vigueur d'autres règlements européens sur l'utilisation des données et sur les marchés de crypto-actifs, autant de textes importants qui visent à mieux réguler notre économie numérique, mais aussi à la soutenir en développant des champions nationaux et européens afin de demeurer pertinents technologiquement. Il y a donc un équilibre à trouver et, de ce point de vue, les partisans de l'innovation et ceux de la régulation semblent irréconciliables, comme en témoignent les vifs débats sur la proposition de règlement sur l'intelligence artificielle.

Monsieur le commissaire, où en est cette proposition de règlement ? Selon vous, les acteurs français et européens de l'intelligence artificielle seront-ils mis en difficulté par cette réglementation ? Le gouvernement français a souhaité la révision de plusieurs dispositions : ces demandes vous semblent-elles légitimes ? Seront-elles satisfaites ?

Debut de section - PermalienPhoto de Cédric Perrin

Monsieur le commissaire européen, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous remercie d'être présent aujourd'hui devant nous, car vous avez la responsabilité de certains dossiers qui revêtent la plus grande importance à nos yeux, en particulier la défense et le soutien à l'Ukraine.

Les États membres se sont engagés à livrer un million d'obus à Kiev d'ici à la fin du mois de mars, mais cet objectif ne sera malheureusement pas atteint. Pouvez-vous nous dire combien d'obus nous pourrons livrer et ce qui peut être envisagé pour atteindre à l'avenir des cadences de production plus élevées ?

À cet égard, quels points - facilité européenne pour la paix, marché conjoint avec l'industrie et fonds Asap - peuvent être améliorés ?

Mes collègues et moi rentrons d'une mission en Ukraine et je peux vous confirmer qu'il est urgent d'accroître nos livraisons d'obus. La Commission a annoncé au mois de novembre vouloir consulter les États membres de l'Union européenne et les industriels de l'armement sur la cartographie des capacités de production, la mise en place d'un guichet unique pour la vente et la sécurisation du budget. Quels sont les résultats des actions menées à l'heure où nous parlons et ceux de cet audit, même si toutes les réponses ne nous ont pas toutes été encore transmises ?

Vous avez en outre proposé il y a une semaine la création d'un fonds de 100 milliards d'euros pour stimuler la production et la collaboration entre les différents acteurs. Qu'apportera-t-il de plus que les instruments préexistants et que les instruments ad hoc créés depuis 2022 ? Quelles pourraient être les modalités de financement de ce nouveau fonds ? La présentation du texte contenant la nouvelle stratégie que vous défendez, inspirée par le Defense Production Act (DPA) américain, a été reportée. Pouvez-vous nous dire plus précisément aujourd'hui quel pourrait être son calendrier, et surtout son contenu ?

Enfin, nous soutenons le principe et les objectifs du Fonds européen de défense, mais les procédures sont extrêmement complexes, elles découragent certaines entreprises de soumettre des projets. La création de ce fonds a constitué une avancée majeure pour la constitution d'une base industrielle et technologique de défense européenne, mais les résultats sont-ils aujourd'hui à la hauteur de vos attentes ?

La guerre en Ukraine a mis en évidence l'émiettement de la BITD européenne, mais aussi la difficulté à laquelle sont souvent confrontés les pays européens pour se coordonner. Quel regard portez-vous sur ce dossier essentiel ?

Debut de section - Permalien
Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur

Je vous remercie, madame, messieurs les présidents de commission, d'avoir organisé cet échange. La vie politique étant un long parcours d'expériences, d'amitié et de loyauté, je me réjouis de voir beaucoup de visages amis.

Monsieur le Président Rapin, vous m'avez interrogé sur le marché intérieur : comment fait-on pour le faire mieux fonctionner et l'utiliser comme instrument géopolitique ?

Madame la Présidente Estrosi Sassone, vous m'avez également interrogé sur le marché intérieur, sur la réindustrialisation, la transition verte et numérique, ainsi que sur le marché intérieur numérique.

Monsieur le Président Perrin, vous souhaitez savoir comment on peut gérer l'industrie de défense européenne. Je commencerai par vous répondre.

Le conflit en Ukraine est évidemment un élément de prise de conscience majeur.

Nous travaillons depuis un certain temps sur l'industrie européenne de défense. L'idée n'est pas de bâtir ex nihilo une Europe de la défense, car il faut respecter la souveraineté des États membres. Mais, pour une utilisation plus efficace de ces fameux 200 milliards d'euros que les Vingt-Sept investissent chaque année, nous devons faire plus et mieux. La guerre d'agression menée par Vladimir Poutine en Ukraine nous l'a appris : nous devons mieux travailler ensemble face à ce qui se passe à l'est de notre continent, d'autant que le parapluie américain est peut-être moins solide que certains ne le pensaient.

Nous sommes le premier continent du monde libre : 450 millions d'Européens, contre 330 millions d'habitants aux États-Unis. Et nous vivons dans la plus grande démocratie du monde libre. Et, comme c'est le cas au sein des États membres, cette démocratie est bicamérale, avec le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne. C'est précisément en prenant conscience de notre force et de notre puissance que nous saurons mieux résister ensemble. Je ne vous suis pas lorsque vous jugez le Fonds européen de défense « technocratique ». Aujourd'hui, il y a des ingénieurs de l'armement français, allemands, lettons, italiens, suédois dans mes équipes ; il s'agit de jeunes gens, très brillants, qui travaillent ensemble et cela fonctionne formidablement bien. On peut toujours faire mieux, mais les progrès que nous avons déjà accomplis sont considérables.

L'Europe fournit à l'Ukraine 75 milliards d'euros. C'est plus que les États-Unis. Pour autant, nous devons nous préparer à renforcer notre base industrielle de défense. En Europe, nous savons tout faire : missiles hypersoniques, porte-avions nucléaires, sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, etc. Nous produisons les meilleurs avions du monde, les chars les plus sophistiqués, mais nous le faisons à notre rythme. Nous sommes encore dans des logiques d'arsenal. Les industriels de la défense - cela ne concerne pas seulement la France -, qui ont comme principal interlocuteur les directions générales de l'armement des États membres, leur disent : « Certes, c'est plus cher, et cela prend plus de temps. Mais c'est stratégique. » Or l'enjeu est maintenant d'augmenter notre BITD, afin que les cadences suivent. Il faut inciter les industries de la défense à changer de modèle économique, pour passer d'une logique d'arsenal à une logique de marché plus normale. Je l'ai fait, et je continue de le faire. Je pense d'ailleurs être l'un des seuls à avoir fait à ce titre le tour de tous les sites d'industrie de défense. Notre appareil industriel européen couvre tous nos besoins. Les sites sont des sites spécialisés, avec des contraintes évidentes, notamment mais pas seulement sur les munitions. Il convient maintenant de les faire monter en cadence. J'entends souvent des industriels français se plaindre que les Belges ou les Allemands seraient privilégiés alors que nous, Français, produirions par exemple les meilleurs avions au monde, mais je leur fais remarquer que, pour livrer leur production, quatre ans sont parfois nécessaires. Or il n'est plus possible de fonctionner de cette manière lorsqu'il y a la guerre sur notre continent. Comment faire ? Nous devons aider à cofinancer en amont la mise à niveau des infrastructures pour que le modèle économique s'adapte au changement de paradigme. C'est ce que nous avons fait. Le programme Asap, auquel vous avez fait référence, a été mis en place pour financer les industries de production de munitions. J'ai pris l'engagement - il sera tenu - de porter notre capacité de production s'agissant des obus pour l'Ukraine à plus d'un million de munitions par an au printemps 2024. La montée en cadence a été engagée, et elle s'accélère. Dans ce cadre, quatre-vingt-cinq propositions nous ont été adressées. Nous allons en financer entre une vingtaine et une trentaine, ce qui va nous permettre d'augmenter encore notre capacité. Nous atteindrons ainsi près de 1,3 million ou 1,4 million de munitions à la fin de l'année. Mon objectif, que je rappelle à nos amis ukrainiens, est d'avoir à court terme une capacité de production à peu près comparable à celle de la Russie.

Nous produisons plus de munitions que les États-Unis. C'est très important, non seulement pour l'Ukraine, mais également pour les forces armées des Vingt-Sept. Si le fait que les deux cobelligérants - en l'occurrence, il y a un agressé et un agresseur - aillent s'asseoir autour d'une table ne dépend pas de nous, notre responsabilité est de faire en sorte que celui qui est à l'Est comprenne que nous avons une capacité industrielle supérieure à la sienne. Je le rappelle, je suis membre de l'exécutif européen ; je ne représente pas les États membres ; or ce sont eux qui livreront les munitions à l'Ukraine et nous respectons leur souveraineté. À ce titre, certains États qui déplorent que l'Ukraine ne reçoive pas tout ce dont elle a besoin seraient bien inspirés de demander à leurs propres industriels de se focaliser dans les mois à venir sur ce pays, au lieu d'aller fournir en munitions tel ou tel pays non européen sous prétexte qu'il paierait mieux. Pour ma part, j'avais proposé une priorisation, que le Parlement européen a votée, mais les États membres l'ont supprimée. C'est dommage, car une telle priorisation leur aurait permis de tenir leurs engagements, à l'instar de la Commission. Je ne peux pas laisser dire que nous n'avons pas fait le nécessaire. Nous avons une industrie d'armement nettement supérieure à celle de la Russie, mais qui est confrontée à des problèmes terribles d'approvisionnement et de ressources humaines. Comme le Président de la République l'a rappelé, l'année 2024 sera critique. Ce sera une année d'élections, notamment aux États-Unis ou en Russie - où il y a peut-être moins de suspense. Nous devons continuer et même accélérer sur ce que nous faisons ensemble.

J'ai appris une chose en Europe. Quand il y a une crise - c'est le cas -, il faut se mettre d'accord sur l'ambition et il n'y a pas d'ambition sans risques.

Lorsque j'ai eu la responsabilité des vaccins, j'ai indiqué que nous aurions des immunités collectives à partir du 14 juillet. Je voyais bien ce qui se passait aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Russie. J'ai dit que l'industrie européenne y parviendrait, et nous avons réussi. Nous devons forger une vision et nous mettre en mouvement derrière, c'est ainsi que l'Europe fonctionne. N'attendons pas - c'est un ancien ministre des finances qui vous parle - d'avoir les budgets : on ne les a jamais ! Commençons par nous mettre d'accord sur une vision, parce qu'elle est existentielle. Il était existentiel d'avoir des vaccins ; il était existentiel de réagir face aux conséquences de la guerre en Ukraine sur notre approvisionnement énergétique ; et il est existentiel de renforcer nos capacités de défense. Nous aurons besoin d'une centaine de milliards d'euros en complément, avec deux enveloppes : l'une pour aider l'industrie de défense à se réformer, l'autre pour l'Ukraine, dont le besoin est existentiel. Ce point risque d'être discuté dès le prochain Conseil européen, au mois de février.

En ce qui concerne les espaces contestés, nous avons travaillé sur une vision commune afin d'aboutir à un livre blanc de la défense et de définir une boussole stratégique européenne, dont l'importance est aujourd'hui capitale. Par définition, ces espaces contestés n'appartiennent à personne, mais composent tout de même notre environnement proche, immédiat et vital. Ils sont au nombre de quatre : l'espace cyber, l'espace tout court, l'espace aérien et l'espace maritime. Nous le savons : aucun pays ne peut, à lui seul, assurer sa sécurité dans ces espaces. L'espace cyber, par exemple, ne connaît pas de frontières et les États y sont particulièrement fragiles. C'est la raison pour laquelle la coopération et la mutualisation sont indispensables. Il en va de même dans le domaine spatial : aucune armée nationale ne saurait, à elle seule, contrôler l'espace global, quand on sait que, compte tenu de leur vitesse, les missiles hypersoniques passent d'un État membre à l'autre en à peine une minute. Là encore, il nous faut mutualiser, dépenser en commun et trouver la gouvernance adéquate. Il serait également souhaitable d'harmoniser la protection de notre espace aérien. Enfin, quelle marine peut prétendre protéger la zone maritime exclusive européenne, qui est la plus vaste au monde ? Je rappelle que tous les dix-huit mois, l'unique porte-avions français doit être au carénage. En période de guerre, mieux vaut qu'il soit utilisable ! Peut-être faudrait-il convenir au niveau européen d'en construire un deuxième ? De la même manière, aucun État membre ne saurait assurer la protection et de la Baltique et de l'Atlantique et de la façade méditerranéenne, sans parler du Pacifique. Il s'agit en effet de surveiller notre espace aérien, mais également ce qui se passe sous la mer. Dans la mer Baltique en particulier, nous comptons de nombreuses infrastructures critiques qu'il vaut mieux contrôler directement in situ. Je le répète : ces quatre espaces contestés doivent faire l'objet d'une protection collective. C'est la raison pour laquelle, en matière de cybersécurité, j'ai lancé le cyberdôme, qui s'appuiera sur des centres d'opération de sécurité (SOC). Les exemples des systèmes Galileo et Copernicus, dont j'ai la charge en tant que commissaire européen chargé de l'espace, montrent qu'il est possible d'investir ensemble et de mettre en place une gouvernance commune. Nous le ferons également avec la constellation de satellites Iris, dont la dimension militaire est très importante, ou encore en matière de cryptologie quantique ou de support sur les théâtres d'opérations spécifiques. Pour tous ces projets, nous disposons désormais d'une infrastructure commune. Nous avons trouvé les financements et la gouvernance adaptée. Il nous faut maintenant atteindre le même résultat pour le dôme de défense et nous poser la question de l'espace maritime. Évidemment, nous ne mènerons pas ce chantier à terme au cours du prochain mandat. Des investissements communs seront nécessaires pour supporter ces infrastructures, mais une fois que nous serons d'accord sur l'objectif - et nous le serons -, nous trouverons les financements adaptés, car les mécanismes existent.

Madame la Présidente Estrosi Sassone, nous avons enfin mis en place des politiques de réindustrialisation de notre continent. Je le dis avec force : notre ambition n'est pas de tout faire en Europe ; nous ne sommes pas protectionnistes par idéologie ou par nature. Nous sommes simplement conscients que, dans la nouvelle façon de faire de l'industrie - je n'ai jamais cru que les entreprises sans usine incarnaient la modernité -, la proximité entre les lieux de production, les centres de recherche et les clients est essentielle. Elle l'est d'autant plus que tout projet industriel interagit désormais avec son environnement numérique. Pour toutes ces raisons, la réindustrialisation de notre continent est non seulement une nécessité liée à l'évolution de l'industrie 4.0, mais aussi une nécessité en matière socio-économique comme en matière de souveraineté. Quand la dépendance à l'égard de la région indopacifique pour l'approvisionnement en semi-conducteurs atteint 80 % - dont 51 % à l'égard de Taïwan -, la simple fermeture du détroit de Taïwan pour une raison quelconque peut mettre à l'arrêt toutes nos usines en moins de trois semaines. Aussi, il y allait de ma responsabilité - ce n'était prévu ni dans mon mandat ni dans les budgets - de réimplanter des usines de semi-conducteurs en Europe, afin d'accroître notre autonomie. Cela ne consiste pas à tout produire chez soi ; c'est être en mesure de créer des rapports de force vis-à-vis de ceux qui comptent exploiter vos dépendances pour des considérations géopolitiques ou autres. Cette tentation est permanente. Nous l'avons bien vu avec les masques lors de la crise covid, comme avec les vaccins ou l'énergie. L'Europe, premier marché au monde, doit aussi être vue comme ce lieu où l'on sait créer des rapports de force. Pour les extra-Européens, c'est une chance que de pouvoir bénéficier de ce marché. Cela doit avoir des conséquences : nous ne sommes pas que des acheteurs ; nous sommes aussi des producteurs et nous savons rééquilibrer les rapports de force. C'est la raison pour laquelle nous avons adopté le European Chips Act, ou loi européenne sur les semi-conducteurs, qui prévoit 42 milliards d'euros d'investissements. Les 67 projets industriels de semi-conducteurs européens bénéficient ainsi aujourd'hui de 100 milliards d'euros d'investissements privés. À cette occasion, nous avons obtenu d'importantes concessions de la part de diverses directions générales de la Commission européenne, plus habituées à des logiques très libérales. Libres à nous d'être les derniers des Mohicans appliquant à la lettre les règles de l'OMC, mais la naïveté a ses limites. Aussi, la direction générale de la concurrence (DG COMP) se réjouit d'avoir obtenu l'inscription d'une matching clause, ou clause d'alignement, laquelle signifie que, lorsqu'un pays met en place des subventions, nous sommes fondés à obtenir l'équivalent. À titre personnel et en tant qu'ancien ministre des finances, je suis toujours réservé quant à l'idée d'utiliser l'argent public, mais dans le monde actuel, il faut aussi regarder ce qui se passe ailleurs, pour au moins donner le sentiment qu'on peut en faire autant. Nous avons donc su modifier nos politiques de réciprocité en matière industrielle et nous affirmer comme un continent à part entière, conscient de sa puissance.

Nous avons mené une politique similaire en matière de Clean Tech, avec le règlement européen Net-Zero Industry Act (NZIA). Je rappelle, au passage, que les règlements européens résultent de la contribution de l'ensemble des États membres. Ainsi, on ne peut pas se dire européen, participer à la construction européenne et faire entendre sa voix et, en même temps, se vanter d'avoir dicté des politiques d'inspiration nationale à nos partenaires. À vingt-sept, cela ne peut fonctionner de la sorte. J'ai été politique et je sais combien il est tentant, pour un ministre, de dire que nous avons entraîné derrière nous l'ensemble des Vingt-Sept. Pour ma part, je veille à rester humble et prudent, car nous ne sommes pas seuls ! Si l'on pense que nos politiques vont dans le sens de l'intérêt général, de celui de nos compatriotes et de nos concitoyens européens, mieux vaut se garder de qualifier telle ou telle idée de française, d'allemande ou de maltaise. Cette façon de faire n'aboutit jamais. Ainsi, le NZIA n'est pas d'inspiration nationale ; il est une réaction à l'Inflation Reduction Act, adopté en août 2022 par l'administration Biden. Au départ, 369 milliards de dollars étaient prévus ; les États-Unis en sont - excusez du peu ! - à 1 000 milliards de dollars de subventions. Il fallait donc réagir très vite, et en Européens, si nous voulions éviter la fragmentation du marché intérieur. C'est la raison pour laquelle je pousse en permanence les investissements mutualisés à l'échelle européenne, certains pays disposant de plus grandes facilités fiscales pour le faire...

Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse au sujet de ces facilités fiscales. La France a la dette qu'elle a. Quand j'ai quitté Bercy en 2007 - je suis le dernier ministre des finances à avoir réduit la dette -, la dette française représentait 62 % du PIB, à 1 200 milliards d'euros. Aujourd'hui, elle est à 116 % et elle atteint 3 200 milliards d'euros. En 2007, la dette de l'Allemagne représentait 67 % du PIB. Dans les réunions de l'Eurogroupe, comme dans toutes les institutions européennes, ce sont les plus respectueux des traités qui parlent. Les autres sont invités à se mettre au travail. Or si nous continuons de prendre comme seul indicateur la dette financière, nous entendrons, pendant trente ans encore, les mêmes discours, qui mèneront à la fin de l'Europe. J'ai donc réalisé mes propres calculs, en y intégrant une dimension politique, rejoignant ainsi les préoccupations du président Perrin. Si tous les États membres avaient investi dans la défense comme la France ou comme la Grèce, qui défend le front Est de notre continent, nous n'en serions sans doute pas là en matière de défense. Si l'Allemagne avait fait des efforts équivalents, sa dette aurait augmenté de 500 milliards d'euros ! De même, si tous les États membres avaient autant réduit leurs émissions de CO2, nous ne devrions pas aujourd'hui fournir de tels efforts. Lorsque l'on calcule la dette carbone depuis 2000, les pays « frugaux » ne le sont plus du tout ! La politique européenne, c'est certes de la finance, mais c'est aussi la défense ou l'environnement. Loin de moi, par ces calculs, l'idée de faire la leçon à quiconque ; je veux simplement, grâce à ces arguments politiques, remettre tout le monde autour de la table. Personne ne dira plus aux États réputés frugaux : dits « vous aviez raison » et aux pays du « Club Med » : « travaillez d'abord, nous vous donnerons la parole ensuite ». Mon objectif, c'est le travail collectif. Chaque ministre veut avoir sa loi et c'est bien normal, j'ai été ministre moi-même, mais nous sommes aussi européens. Je ne suis pas naïf, j'aide tout le monde. En permanence, je remets l'église au milieu du village.

J'en viens à présent à la régulation numérique. Une seule raison explique que les Gafam ne soient pas européens : ils sont nés dans les vastes marchés unifiés que sont les États-Unis et la Chine. Pardon de le dire ainsi, mais l'invention de Facebook ne relève pas de la rocket science ! Un étudiant renvoyé au terme de sa première année à Harvard a réussi à le faire... Il en va de même des autres Gafa, le cas de Microsoft étant légèrement différent. Ces inventions ont immédiatement bénéficié de 300 millions de consommateurs, quand l'Union européenne était encore constituée de vingt-sept marchés où l'on parlait quinze langues différentes.

Dès ma prise de fonctions, je me suis fortement impliqué dans la création d'un marché numérique intégré pour compléter le marché intérieur physique. Il fallait pour cela mettre en place des régulations, que tous les États membres ont adoptées récemment au travers du Digital Services Act (DSA).

En tant que commissaire au marché intérieur, mon rôle n'est pas de sanctionner, mais de faire en sorte que les lois nationales s'articulent avec ce que les représentants des États membres ont voté à l'échelle européenne. Telle est ma responsabilité. Je l'exerce sans aucune arrière-pensée. Grâce au Data Governance Act (DGA), on sait maintenant quelles sont les données qui appartiennent à la sphère publique et celles qui peuvent être utilisées pour développer des services. J'en viens au Data Act. La vraie révolution sur les données reste à venir. Elle concernera non pas les données personnelles, mais les données industrielles. L'innovation qui va en découler sera celle que l'on a connue, mais à la puissance dix ! C'est l'utilisation des données industrielles relatives aux voitures connectées, aux usines 4.0, à l'internet des objets, etc., qui génèrent un volume considérable d'informations, qui servira à créer les services de demain. Encore faut-il savoir à qui appartient quoi pour que l'on puisse fixer des règles. La régulation n'entrave pas l'innovation. Au contraire, elle la favorise ! J'ai travaillé pendant trente ans dans ces domaines ; lorsqu'il n'y a pas de régulation, c'est l'anarchie et l'on sait comment cela se termine : les Microsoft, les Meta finissent par imposer leurs règles aux autres. Pour autant, il appartient aux élus de décider comment ces services doivent être utilisés dans l'intérêt général de nos concitoyens. Le DSA vise à introduire enfin de la régulation sur les réseaux sociaux : ce qui est interdit dans l'espace physique doit l'être aussi dans l'espace numérique. On n'a pas le droit d'insulter son voisin dans l'espace physique ni de proférer des paroles antisémites. Il doit en être de même dans l'espace numérique. Le DMA, quant à lui, entend éviter que les plus grosses entreprises numériques utilisent leur force pour évincer leurs concurrents, au risque de tuer l'innovation.

L'intelligence artificielle est une formidable invention. En quoi consiste-t-elle ? Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, nous stockons tout le patrimoine informationnel que nous générons ; l'intelligence artificielle s'appuie donc sur ces immenses réservoirs de données. Cette évolution était tout à fait prévisible, mais il convient d'instaurer des règles. Par exemple, est-il normal d'interdire à quelqu'un de prendre le train en raison de ce qu'il a pu faire ou dire il y a plusieurs années, comme cela se passe en Chine ? Non, cela sera interdit en Europe, ainsi que tout social scoring. De même, l'usage des données personnelles en matière de santé sera encadré. L'utilisation de l'intelligence artificielle sera aussi interdite ou très contrôlée en ce qui concerne l'exploitation des données recueillies dans l'espace urbain par les caméras. Nous avons retenu une approche fondée sur l'analyse des risques. Nous travaillons sur ce sujet avec tous les acteurs depuis cinq ans. Nous n'avons donc pas attendu ChatGPT ! Certains d'entre eux viennent me voir pour faire du lobbying, car leurs investisseurs américains ont peur de la régulation. Je ne suis dupe de rien... On ne m'enfermera pas dans l'opposition entre l'innovation et la régulation. J'ajoute que c'est le Parlement européen, et non la Commission, qui a souhaité que l'on s'intéresse à l'intelligence artificielle générative. Nous avons donc fait en sorte qu'il y ait peu de contrôle pour les très grands modèles, surtout, pour tout ce qui relève de l'innovation, de la recherche, du testing : il y a zéro contrainte ! L'Europe est le meilleur endroit pour innover ! Les entreprises qui veulent venir sur le marché intérieur européen doivent respecter nos règles, c'est normal. Au Royaume-Uni, on roule à gauche, mais lorsqu'un Britannique vient sur le continent, il doit rouler à droite. Il en va de même pour l'intelligence artificielle, y compris pour les modèles génératifs. J'y insiste, notre régulation favorise la recherche et n'aura d'effets que sur les grandes plateformes dont l'impact est systémique. Madame la Présidente Estrosi Sassone, je ne suis pas inquiet : la réglementation sera adoptée. Je sais d'où viennent les lobbies ; c'est le jeu normal des institutions bruxelloises.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Ma première question portera sur l'espace. Nous nous réjouissons qu'à Séville, les États membres de l'Agence spatiale européenne aient décidé de continuer à soutenir le programme Ariane 6. Vous avez déclaré que l'Union européenne, c'est-à-dire la Commission européenne, devait reprendre la main sur la politique des lanceurs spatiaux, afin de lui donner une plus grande vision industrielle et programmatique. Il est question de s'affranchir de la règle du juste retour géographique. Pensez-vous qu'un tel transfert de compétences soit possible ? Quelle est votre vision d'une politique plus ambitieuse en ce qui concerne les lanceurs spatiaux ?

La Commission européenne a lancé le projet de constellation de satellites Iris 2, dont la mise en oeuvre doit intervenir en 2027. Le rachat de la constellation OneWeb par Eutelsat ne risque-t-il pas de mettre un coup d'arrêt ou un coup de frein à ce projet européen, qui a par ailleurs besoin de financement ? On connaît les réticences de certains industriels pour participer à cette aventure.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Je souhaite vous interroger sur le règlement européen concernant les émissions de CO2 des véhicules légers neufs : comment seront prises en compte les émissions pour les carburants synthétiques ?

Qu'en est-il également de l'enquête qui a été ouverte par la Commission européenne sur les subventions publiques chinoises aux automobiles électriques ?

Enfin, je travaille actuellement sur le projet de nouvelle directive européenne sur les médicaments. Pourquoi ne parle-t-on pas, en même temps, de cette industrie et de sa relocalisation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Chaize

Vous avez récemment fait part de votre volonté d'élaborer une nouvelle réglementation sur les réseaux numériques, le DNA : quel est le calendrier attendu pour son élaboration ? Comptez-vous fixer des obligations de sécurisation des réseaux, afin d'améliorer leur résilience et leur durabilité ? Nos réseaux sont effectivement vulnérables, ils nécessitent d'être régulièrement entretenus et modernisés. Cela pose la question de leur financement.

Le Sénat avait été la première chambre parlementaire à s'exprimer ouvertement en faveur d'une taxe sur les Gafam pour financer les infrastructures de télécommunications. Une telle taxe sera-t-elle prochainement instaurée ?

Enfin, en évoquant les enjeux de sécurisation de nos réseaux, je fais aussi référence aux enjeux majeurs relatifs à la cybersécurité. Pensez-vous que nous disposons aujourd'hui de technologies souveraines et matures pour nous protéger contre les actes de cybermalveillance ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Fernique

Je voudrais d'abord vous interroger sur la proposition de règlement visant à interdire la commercialisation des produits issus du travail forcé. Compte tenu du calendrier serré de la présidence belge, ce texte pourra-t-il avancer suffisamment ? Il soulève deux inquiétudes. D'une part, le travail forcé sur l'initiative d'un État tiers resterait un angle mort ; ainsi, les produits résultant du travail forcé des Ouïghours en Chine ne seraient pas concernés. Ce n'est pas conforme à la volonté exprimée par le Sénat dans sa résolution du 1er juin dernier. D'autre part, le texte de compromis de la présidence belge ne prévoit aucun principe de réparation ou de compensation pour les victimes avérées du travail forcé.

Le règlement sur les matières premières critiques de l'Union européenne, qui a été adopté le mois dernier, vise à ce qu'aucun fournisseur étranger ne puisse fournir plus de 65 % du volume d'une matière première stratégique. Ce texte ne crée toutefois pas pour autant les conditions générales pour que les entreprises réalisent les investissements nécessaires. L'Union européenne s'efforcera d'ici à 2030 de recycler 25 % des matières premières essentielles qui se retrouvent dans ses déchets : l'objectif est, somme toute, peu ambitieux. De même, le levier de la sobriété n'est pas vraiment actionné. Ce texte vous paraît-il, en l'état, compatible avec les objectifs du Green Deal ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

La commission des affaires européennes du Sénat a adopté en juillet dernier un avis politique sur la proposition de règlement européen pour une industrie à zéro émission nette. Nous souscrivons aux objectifs de ce texte, mais nous déplorons l'absence d'étude d'impact et nous constatons que le financement prévu est très faible, alors même que les États-Unis soutiennent massivement les chaînes de production des technologies vertes. Nous avons par ailleurs souligné que les technologies stratégiques devaient inclure les technologies nucléaires matures, que les États membres sont libres d'insérer ou non dans leur mix énergétique. Nous souhaitons en outre que des précisions et des clarifications soient apportées sur plusieurs points, notamment sur le régime de stockage du CO2, et nous demandons que soit étudiée la mise en place de vallées d'industries à zéro émission.

Pouvez-vous préciser l'état d'avancement des discussions sur ces points à la veille du trilogue ? Quelles sont, selon vous, les chances de parvenir à un accord politique avant l'ouverture du cycle électoral ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Nous vous remercions pour l'immense travail que vous avez réalisé sur la régulation du numérique. Le processus d'adoption du projet de règlement sur l'intelligence artificielle arrive dans sa phase finale. Nous saluons l'équilibre que la Commission a su apporter. Un accord a été trouvé le 10 décembre dernier. Le diable, toutefois, se cache dans les détails. Les auteurs et les défenseurs de la propriété intellectuelle s'inquiètent ainsi de l'introduction possible de déséquilibres dans le texte sous l'effet de différents jeux d'influence. Le comité des représentants permanents (Coreper) doit se prononcer fin janvier et l'article 3 soulève encore quelques questions.

En ce qui concerne le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, que vous avez évoqué, quand la Commission européenne répondra-t-elle aux dispositions de ce texte que la France a notifiées conformément à ses obligations européennes ? La navette parlementaire est en effet suspendue, dans l'attente de ses réponses.

En ce qui concerne le DSA et le DMA, nous avons été interpellés par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 9 novembre dernier. Faut-il renoncer à toute législation nationale, y compris sur les sujets sur lesquels l'Europe tarde à légiférer ? Je pense notamment à la majorité numérique, à la protection des mineurs, à la pédopornographie, etc. Ces sujets sont très importants.

Enfin, ma dernière question portera sur l'autonomie stratégique et sur la politique industrielle. Vous avez évoqué les semi-conducteurs. Quel rôle l'Europe peut-elle jouer pour soutenir le développement d'un écosystème autour du cloud ? C'est une question de souveraineté, à l'heure où le Foreign Intelligence Surveillance Act offre aux États-Unis un outil de contrôle extraterritorial.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

Je voudrais savoir quel lanceur utilisera Ariane pour lancer nos satellites dans les délais attendus.

Ensuite, identifiez-vous un risque de pénuries de certains métaux en Europe ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

J'associe à ma question Laure Darcos et Marie Mercier. La moitié des violences sexuelles commises sur des mineurs sont commises par des mineurs. L'ensemble des spécialistes s'accorde pour considérer qu'il y a un lien direct entre ce constat et la consommation précoce et intense d'images pornographiques. Que peut faire la Commission européenne pour faire respecter l'interdiction de l'accès aux sites aux mineurs de moins de 18 ans, ce que les sites ne font toujours pas en France, malgré les lois françaises ?

Comment faire disparaître du Net toutes les images qui relèvent d'infractions criminelles : viol, apologie du viol, racisme, homophobie, etc. ? Tous les pays européens sont confrontés aux mêmes problèmes et mêmes difficultés. L'Europe doit se saisir de ce sujet avec autant de détermination que vous l'avez fait pour le DSA.

Debut de section - PermalienPhoto de Ahmed LAOUEDJ

Sous votre impulsion, monsieur le commissaire, un accord a été trouvé par l'Europe le 8 décembre dernier sur l'intelligence artificielle. Son objectif est d'encadrer le développement du secteur, tout en favorisant l'innovation technologique. En effet, si les nouvelles technologies peuvent constituer une véritable opportunité de progrès dans de nombreux domaines, elles risquent également de porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens. Il était donc indispensable de se saisir du sujet afin de poser un cadre législatif. Par sa portée, cette législation constituera une première mondiale et nous vous en félicitons. Toutefois, le projet a suscité de nombreuses inquiétudes dans plusieurs pays européens dont la France et l'Allemagne. Le risque est d'adopter un cadre réglementaire trop strict au détriment notamment des start-up européennes qui doivent faire face aux géants américains et chinois du secteur. Le texte qui a finalement été adopté est un compromis. Il a été qualifié par le ministre délégué à la transition numérique, Jean-Noël Barrot, d'« étape dans un chantier qui s'est ouvert il y a quatre ans et qui nécessite des discussions supplémentaires ».

Une réglementation trop contraignante ne risque-t-elle pas d'entraver la croissance des entreprises européennes déjà parties avec un train de retard par rapport à leurs concurrents américains ?

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

La réponse européenne à l'Inflation Reduction Act (IRA) américain reste limitée. Aucun financement nouveau n'est prévu : les crédits proviennent essentiellement de redéploiements. Il n'y aura pas non plus de fonds de souveraineté, dont la création avait pourtant été annoncée. La plateforme des technologies stratégiques pour l'Europe (Step) finalement retenue n'est pas stabilisée avec des crédits limités à 1,5 milliard d'euros. Seul un aménagement du cadre des aides d'État a été réellement mis en place ; il s'est avéré utile, malgré les risques afférents de distorsions de concurrence. Quel bilan tirez-vous de la réponse européenne à l'IRA ? Peut-on aller plus loin, et avec quels moyens ?

La Commission a proposé en septembre 2022 la mise en place d'un instrument du marché unique pour les situations d'urgence. Le trilogue est en cours ; quels sont les points de divergence ? L'instrument sera-t-il validé avant la fin de la législature ?

Debut de section - PermalienPhoto de Audrey LINKENHELD

Vous aviez annoncé en avril 2023, lors de l'ouverture du Forum international sur la cybersécurité de Lille, que des initiatives seraient prises en la matière. Il est ainsi question d'un cyberbouclier, qui serait articulé autour de centres des opérations de sécurité (SOC) transfrontaliers financés par l'Europe, et d'une réserve européenne de cybersécurité. Quel est l'état d'avancement de ces projets ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Comment s'articulerait la coopération européenne en matière de sécurité et de défense, que vous appelez de vos voeux, avec les objectifs et les missions de l'Otan ? Autrement dit, allons-nous vers la création d'une section européenne au sein de l'Otan ?

La coopération industrielle entre États en matière de défense existe déjà. Je pense notamment au projet de système de combat aérien du futur (Scaf). Que vous inspirent les difficultés rencontrées pour la mise au point de ce projet, qui ne mobilise que trois États, alors que vous souhaitez instaurer une coopération entre vingt-sept États ?

Debut de section - PermalienPhoto de Franck DHERSIN

L'entreprise CMA-CGM vient d'annoncer qu'elle allait vendre la part de 10 % qu'elle possède dans le capital d'Air France-KLM. D'après ce que j'ai compris, elle le ferait parce que les États-Unis d'Amérique s'opposent à cette alliance entre les deux groupes afin de protéger Fedex. Comment l'Europe peut-elle réagir ?

Debut de section - PermalienPhoto de Louis VOGEL

La compétition économique entre grandes puissances pose une question nouvelle, celle de la défense de nos actifs stratégiques. Nous devons redéfinir toutes nos politiques traditionnelles, notamment notre politique européenne de concurrence menée par la direction générale de la concurrence de la Commission. Pourriez-vous nous dresser un premier bilan de la stratégie de sécurité économique de l'Union ?

Debut de section - Permalien
Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur

En matière spatiale, il faut appeler un chat un chat : j'ai bien dit que je n'étais pas content des services d'Ariane, dont nous sommes le premier utilisateur institutionnel. Je suis personnellement responsable du fonctionnement des systèmes Galileo et Copernicus. Il faut lancer quatre satellites Galileo pour que notre système de positionnement continue de fonctionner. On m'avait promis que ce pourrait être fait en 2022, puis cela a été reporté à plusieurs reprises, sans que les nouvelles promesses soient tenues. Je ne peux donc pas être content ! Il faut régler ce problème, qui est à la fois un problème industriel et, sans doute, un problème de management. Si nous pouvons aider, nous le ferons, même si nous ne pouvons pas reprendre toutes ces compétences. L'Agence spatiale européenne (ESA) nous a proposé de recourir à Space X pour les lanceurs ; j'ai accepté en l'absence d'autre solution. Quatre satellites pourront ainsi être mis en orbite cette année, en deux lancements. Il n'est pas question de faire de l'espace une compétence exclusive de l'Union, mais celle-ci, en tant que premier client institutionnel, doit avoir son mot à dire au sein de l'ESA, dans son conseil d'administration, qui est déjà élargi à d'autres que les seuls États membres de l'Union. C'est nécessaire pour qu'une compétition saine puisse se développer, en particulier pour les mini-lanceurs.

Concernant la constellation Iris 2, tout se déroule bien, contrairement à ce qui a pu être dit. Les acquisitions qui interviennent ici ou là n'ont rien à voir avec notre constellation, qui est totalement souveraine et dont les applications technologiques ne peuvent être offertes par aucune autre.

Concernant l'acte délégué sur les carburants synthétiques, les discussions continuent avec les États membres sur la base de notre proposition. Les premières conclusions de l'enquête sur la Chine seront rendues avant l'été. La différence entre les droits de douane sur les véhicules électriques en Europe et aux États-Unis est importante - 10 % là-bas, 27 % ici. Nous devons donc nous interroger sur le respect des règles en Chine ; j'ai d'ailleurs eu de nombreuses discussions avec les autorités chinoises.

Quant au travail forcé, je salue la volonté de la présidence belge d'avancer sur ce dossier. Pour qu'il soit conclu au cours de ce semestre, il faudra que les États membres acceptent des efforts de surveillance des marchés : tout ne pourra pas être fait par la Commission.

Sur le DNA, j'ai commencé par mener une très large consultation sur les infrastructures de communication nécessaires pour un véritable espace numérique informationnel. La dernière régulation en la matière remonte à l'an 2000, quand l'enjeu était l'accès au réseau de cuivre des opérateurs historiques. Il n'y a plus un seul réseau de cuivre aujourd'hui : il était donc nécessaire de reposer cette question. Les conclusions de la consultation seront connues dans un mois, nous élaborerons ensuite notre proposition ; il reviendra à la prochaine Commission de mener le projet à terme. Au-delà de l'aspect réglementaire, il faudra un volet de financement, parce que des investissements considérables, surtout privés, seront requis.

Sur le règlement pour une industrie « zéro net », il faut aller vite. Nous avons élaboré une étude d'impact de notre proposition. Je me suis battu pour un financement communautaire, mais les États membres n'en ont pas voulu. Le Conseil, qui est en quelque sorte notre Sénat, s'est montré rebelle... Nous sommes donc obligés de fragmenter, mais je continuerai à me battre et je suis confiant sur le fait qu'un accord sera trouvé en février.

La pédopornographie est un drame absolu. Nos régulations actuelles sont protectrices : aujourd'hui, déjà, de telles images doivent être retirées et, si elles ne le sont pas, il faut nous dénoncer les plateformes pour que celles-ci soient condamnées. Le comité chargé du contrôle du DSA, qui recevra désormais ces plaintes, va être finalisé à la fin de ce mois-ci ; l'Arcom y aura un représentant. Les plateformes prises en défaut en la matière pourront donc être condamnées, mais pas avant le 17 février 2024 : ainsi en a décidé, contre mon souhait, le législateur européen, qui a voulu leur laisser un délai de six mois pour s'adapter.

Les plateformes ont l'obligation d'autonomiser et de protéger les utilisateurs en ligne. La France a mis en place des régulations horizontales, sectorielles, mais on peut toujours faire ce qu'on appelle des « plug-ins », en conformité avec le droit européen ; j'en discute d'ailleurs aussi avec d'autres États membres. Il faut notamment considérer le cas des fournisseurs de contenus qui sont actifs dans un État alors que leur siège est ailleurs ; dans ce cas aussi, le respect du cadre juridique européen s'impose. On le fera en bonne intelligence : il ne s'agit pas de punir tel ou tel pour ses initiatives, mais de s'assurer que celles-ci respectent les lois européennes que nous avons ensemble adoptées.

Je n'ai pas de commentaires à faire sur Air France, qui n'entre pas dans mon champ de compétences, pas plus que CMA-CGM. J'en parlerai à ma collègue Margrethe Vestager, chargée de ce dossier.

Beaucoup de choses fausses ont été dites sur l'AI Act ; le ministre Jean-Noël Barrot lui-même a pu y participer... Le texte est le résultat de 38 heures de négociations en trilogue ; il ne s'agit pas seulement d'une étape, mais bien d'un projet finalisé selon les règles : les 80 articles ont été revus en Coreper, avant que les ministres en prennent connaissance. Chacun pourra voir, à sa lecture, que tout est bien protégé. Je n'ai aucun état d'âme ni doute : tout va atterrir dans les temps. La ministre allemande est tout à fait alignée sur nos positions et a d'ailleurs joué un rôle crucial dans cette affaire. Pas de désinformation ! Nous protégeons l'innovation tout en nous prémunissant contre les risques. De la sorte, nous exauçons de manière équilibrée une demande du Parlement européen, attaché à instaurer des contraintes pour les modèles génératifs : la démocratie impose que l'on tienne compte de telles demandes, même si elles n'émanent pas de la Commission, et encore moins des États membres.

Sur notre projet en matière de cybersécurité, notre POC (Proof of Concept) fonctionne. Il faut pouvoir affronter les problèmes de manière très anticipée. La cyberréserve est désormais enclenchée, sur la base du volontariat. Trois cybercentres fonctionnent déjà ; il en faudra sept ou huit pour couvrir l'ensemble des besoins de l'Union.

L'Europe doit-elle être un des piliers de l'Otan ? Je ne crois pas qu'elle doive l'être structurellement, mais elle participe de plus en plus aux réunions de l'Otan en tant que membre invité. Nous sommes pour l'Otan, parce que l'Otan, c'est nous ! Nous en sommes les principaux acteurs.

Je ne veux pas trop me prononcer sur le Scaf ; trois États membres y participent, j'aimerais qu'il y en ait plus.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Merci beaucoup pour vos réponses, qui ont permis une audition riche et dense. Nous serons heureux de vous recevoir à nouveau.

La réunion est close à 10 h 45.

Nous suivre sur les réseaux

Liens pratiques

Services

Nous contacter

 © Sénat 2024. Tous droits réservés.