Nous accueillons le commissaire européen Thierry Breton.
Je vous remercie, monsieur le commissaire, d'avoir accepté la sollicitation de la commission des affaires européennes pour cette audition, à laquelle j'ai souhaité associer la commission des affaires économiques et celle des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
En charge du marché intérieur, vous avez concentré votre énergie sur l'élaboration d'une stratégie industrielle qui manquait à l'Union européenne et sur l'affirmation de sa souveraineté, aidé en cela par la guerre en Ukraine et l'ambition climatique européenne.
Après avoir fait adopter des règles pour déverrouiller les marchés numériques, vous avez orchestré la réponse européenne à l'Inflation Reduction Act (IRA) américain et proposé l'adoption de deux législations pour garantir à l'Union un accès aux matières premières critiques et impulser une industrie zéro émission nette en promouvant des projets stratégiques. Par deux résolutions européennes, nous avons soutenu ces avancées, mais pourquoi la Commission ne les a-t-elle pas assorties d'étude d'impact et ne prévoit-elle pas à leur endroit un financement adapté ? Comment entendez-vous, par ailleurs, diversifier les sources d'approvisionnement de l'Union en matériaux critiques, particulièrement en uranium ?
Par ailleurs, l'Union tente de se protéger contre les investissements directs d'États tiers sur son sol, qui risquent de porter atteinte à sa sécurité ou à l'ordre public. Le système de filtrage de ces investissements, dont le Sénat a soutenu la mise en place, doit permettre d'éviter l'acquisition de fleurons européens par des entreprises étrangères. Il repose sur un mécanisme de coopération et d'échanges d'informations entre États membres, mais les mécanismes de filtrage nationaux sont très hétérogènes. Après trois ans de fonctionnement, jugez-vous ce système efficace ?
Le soutien à l'industrie de défense constitue un autre point structurant de votre action, qui a connu un véritable changement de paradigme à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine, de la déclaration de Versailles et de l'adoption de la boussole stratégique. Le cadre financier pluriannuel avait bien prévu un Fonds européen de la défense, mais le sujet a changé d'échelle en 2023 après l'adoption de deux législations importantes, quoique temporaires : l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (Edirpa) et l'action de soutien à la production de munitions (Asap), dont l'adoption s'est faite en un temps record. Vous embrayez à présent sur la préparation intensive d'une stratégie industrielle de défense européenne (Edis) et d'un programme européen d'investissement dans le domaine de la défense (Edip), annoncés pour le 27 février prochain.
L'Ukraine a un besoin urgent de munitions et ces textes ne sauraient attendre, mais ils n'iront pas sans débats, car l'industrie de la défense touche à la souveraineté des États membres. Vous avez déjà pu mesurer la sensibilité de notre assemblée sur ce sujet, à l'occasion du texte Asap.
Le renforcement de la base industrielle et technologique de la défense européenne (BITDE) suppose aussi des moyens financiers. La facilité de participation au secteur de la défense doit permettre de soutenir des fonds investissant dans des entreprises innovantes, en particulier dans les technologies à double usage, mais on est bien loin des 100 milliards d'euros que vous appelez de vos voeux ! Comment avez-vous évalué un tel besoin ? Où entendez-vous trouver cette somme ?
Les États membres faisant déjà de la résistance sur la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel, je n'imagine pas un nouvel emprunt commun, d'autant que nul ne sait encore aujourd'hui comment sera remboursé celui qui a été contracté pour sortir de la pandémie... J'en appelle aux ressources propres européennes.
On a en outre le sentiment que, sous couvert de soutien à l'industrie, la Commission entend, à l'occasion de la guerre en Ukraine, accroître significativement ses compétences en matière de défense. Aux dires de la présidente von der Leyen, « la prochaine étape est celle d'une Union européenne de la défense à part entière » : la France soutient à ce stade un marché intégré de l'industrie de défense, mais non pas un marché unique. Quelle est votre position à cet égard ?