Intervention de Thierry Breton

Commission des affaires européennes — Réunion du 18 janvier 2024 à 8h40
Marché intérieur économie finances et fiscalité — Audition de M. Thierry Breton commissaire européen au marché intérieur

Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur :

Je vous remercie, madame, messieurs les présidents de commission, d'avoir organisé cet échange. La vie politique étant un long parcours d'expériences, d'amitié et de loyauté, je me réjouis de voir beaucoup de visages amis.

Monsieur le Président Rapin, vous m'avez interrogé sur le marché intérieur : comment fait-on pour le faire mieux fonctionner et l'utiliser comme instrument géopolitique ?

Madame la Présidente Estrosi Sassone, vous m'avez également interrogé sur le marché intérieur, sur la réindustrialisation, la transition verte et numérique, ainsi que sur le marché intérieur numérique.

Monsieur le Président Perrin, vous souhaitez savoir comment on peut gérer l'industrie de défense européenne. Je commencerai par vous répondre.

Le conflit en Ukraine est évidemment un élément de prise de conscience majeur.

Nous travaillons depuis un certain temps sur l'industrie européenne de défense. L'idée n'est pas de bâtir ex nihilo une Europe de la défense, car il faut respecter la souveraineté des États membres. Mais, pour une utilisation plus efficace de ces fameux 200 milliards d'euros que les Vingt-Sept investissent chaque année, nous devons faire plus et mieux. La guerre d'agression menée par Vladimir Poutine en Ukraine nous l'a appris : nous devons mieux travailler ensemble face à ce qui se passe à l'est de notre continent, d'autant que le parapluie américain est peut-être moins solide que certains ne le pensaient.

Nous sommes le premier continent du monde libre : 450 millions d'Européens, contre 330 millions d'habitants aux États-Unis. Et nous vivons dans la plus grande démocratie du monde libre. Et, comme c'est le cas au sein des États membres, cette démocratie est bicamérale, avec le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne. C'est précisément en prenant conscience de notre force et de notre puissance que nous saurons mieux résister ensemble. Je ne vous suis pas lorsque vous jugez le Fonds européen de défense « technocratique ». Aujourd'hui, il y a des ingénieurs de l'armement français, allemands, lettons, italiens, suédois dans mes équipes ; il s'agit de jeunes gens, très brillants, qui travaillent ensemble et cela fonctionne formidablement bien. On peut toujours faire mieux, mais les progrès que nous avons déjà accomplis sont considérables.

L'Europe fournit à l'Ukraine 75 milliards d'euros. C'est plus que les États-Unis. Pour autant, nous devons nous préparer à renforcer notre base industrielle de défense. En Europe, nous savons tout faire : missiles hypersoniques, porte-avions nucléaires, sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, etc. Nous produisons les meilleurs avions du monde, les chars les plus sophistiqués, mais nous le faisons à notre rythme. Nous sommes encore dans des logiques d'arsenal. Les industriels de la défense - cela ne concerne pas seulement la France -, qui ont comme principal interlocuteur les directions générales de l'armement des États membres, leur disent : « Certes, c'est plus cher, et cela prend plus de temps. Mais c'est stratégique. » Or l'enjeu est maintenant d'augmenter notre BITD, afin que les cadences suivent. Il faut inciter les industries de la défense à changer de modèle économique, pour passer d'une logique d'arsenal à une logique de marché plus normale. Je l'ai fait, et je continue de le faire. Je pense d'ailleurs être l'un des seuls à avoir fait à ce titre le tour de tous les sites d'industrie de défense. Notre appareil industriel européen couvre tous nos besoins. Les sites sont des sites spécialisés, avec des contraintes évidentes, notamment mais pas seulement sur les munitions. Il convient maintenant de les faire monter en cadence. J'entends souvent des industriels français se plaindre que les Belges ou les Allemands seraient privilégiés alors que nous, Français, produirions par exemple les meilleurs avions au monde, mais je leur fais remarquer que, pour livrer leur production, quatre ans sont parfois nécessaires. Or il n'est plus possible de fonctionner de cette manière lorsqu'il y a la guerre sur notre continent. Comment faire ? Nous devons aider à cofinancer en amont la mise à niveau des infrastructures pour que le modèle économique s'adapte au changement de paradigme. C'est ce que nous avons fait. Le programme Asap, auquel vous avez fait référence, a été mis en place pour financer les industries de production de munitions. J'ai pris l'engagement - il sera tenu - de porter notre capacité de production s'agissant des obus pour l'Ukraine à plus d'un million de munitions par an au printemps 2024. La montée en cadence a été engagée, et elle s'accélère. Dans ce cadre, quatre-vingt-cinq propositions nous ont été adressées. Nous allons en financer entre une vingtaine et une trentaine, ce qui va nous permettre d'augmenter encore notre capacité. Nous atteindrons ainsi près de 1,3 million ou 1,4 million de munitions à la fin de l'année. Mon objectif, que je rappelle à nos amis ukrainiens, est d'avoir à court terme une capacité de production à peu près comparable à celle de la Russie.

Nous produisons plus de munitions que les États-Unis. C'est très important, non seulement pour l'Ukraine, mais également pour les forces armées des Vingt-Sept. Si le fait que les deux cobelligérants - en l'occurrence, il y a un agressé et un agresseur - aillent s'asseoir autour d'une table ne dépend pas de nous, notre responsabilité est de faire en sorte que celui qui est à l'Est comprenne que nous avons une capacité industrielle supérieure à la sienne. Je le rappelle, je suis membre de l'exécutif européen ; je ne représente pas les États membres ; or ce sont eux qui livreront les munitions à l'Ukraine et nous respectons leur souveraineté. À ce titre, certains États qui déplorent que l'Ukraine ne reçoive pas tout ce dont elle a besoin seraient bien inspirés de demander à leurs propres industriels de se focaliser dans les mois à venir sur ce pays, au lieu d'aller fournir en munitions tel ou tel pays non européen sous prétexte qu'il paierait mieux. Pour ma part, j'avais proposé une priorisation, que le Parlement européen a votée, mais les États membres l'ont supprimée. C'est dommage, car une telle priorisation leur aurait permis de tenir leurs engagements, à l'instar de la Commission. Je ne peux pas laisser dire que nous n'avons pas fait le nécessaire. Nous avons une industrie d'armement nettement supérieure à celle de la Russie, mais qui est confrontée à des problèmes terribles d'approvisionnement et de ressources humaines. Comme le Président de la République l'a rappelé, l'année 2024 sera critique. Ce sera une année d'élections, notamment aux États-Unis ou en Russie - où il y a peut-être moins de suspense. Nous devons continuer et même accélérer sur ce que nous faisons ensemble.

J'ai appris une chose en Europe. Quand il y a une crise - c'est le cas -, il faut se mettre d'accord sur l'ambition et il n'y a pas d'ambition sans risques.

Lorsque j'ai eu la responsabilité des vaccins, j'ai indiqué que nous aurions des immunités collectives à partir du 14 juillet. Je voyais bien ce qui se passait aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Russie. J'ai dit que l'industrie européenne y parviendrait, et nous avons réussi. Nous devons forger une vision et nous mettre en mouvement derrière, c'est ainsi que l'Europe fonctionne. N'attendons pas - c'est un ancien ministre des finances qui vous parle - d'avoir les budgets : on ne les a jamais ! Commençons par nous mettre d'accord sur une vision, parce qu'elle est existentielle. Il était existentiel d'avoir des vaccins ; il était existentiel de réagir face aux conséquences de la guerre en Ukraine sur notre approvisionnement énergétique ; et il est existentiel de renforcer nos capacités de défense. Nous aurons besoin d'une centaine de milliards d'euros en complément, avec deux enveloppes : l'une pour aider l'industrie de défense à se réformer, l'autre pour l'Ukraine, dont le besoin est existentiel. Ce point risque d'être discuté dès le prochain Conseil européen, au mois de février.

En ce qui concerne les espaces contestés, nous avons travaillé sur une vision commune afin d'aboutir à un livre blanc de la défense et de définir une boussole stratégique européenne, dont l'importance est aujourd'hui capitale. Par définition, ces espaces contestés n'appartiennent à personne, mais composent tout de même notre environnement proche, immédiat et vital. Ils sont au nombre de quatre : l'espace cyber, l'espace tout court, l'espace aérien et l'espace maritime. Nous le savons : aucun pays ne peut, à lui seul, assurer sa sécurité dans ces espaces. L'espace cyber, par exemple, ne connaît pas de frontières et les États y sont particulièrement fragiles. C'est la raison pour laquelle la coopération et la mutualisation sont indispensables. Il en va de même dans le domaine spatial : aucune armée nationale ne saurait, à elle seule, contrôler l'espace global, quand on sait que, compte tenu de leur vitesse, les missiles hypersoniques passent d'un État membre à l'autre en à peine une minute. Là encore, il nous faut mutualiser, dépenser en commun et trouver la gouvernance adéquate. Il serait également souhaitable d'harmoniser la protection de notre espace aérien. Enfin, quelle marine peut prétendre protéger la zone maritime exclusive européenne, qui est la plus vaste au monde ? Je rappelle que tous les dix-huit mois, l'unique porte-avions français doit être au carénage. En période de guerre, mieux vaut qu'il soit utilisable ! Peut-être faudrait-il convenir au niveau européen d'en construire un deuxième ? De la même manière, aucun État membre ne saurait assurer la protection et de la Baltique et de l'Atlantique et de la façade méditerranéenne, sans parler du Pacifique. Il s'agit en effet de surveiller notre espace aérien, mais également ce qui se passe sous la mer. Dans la mer Baltique en particulier, nous comptons de nombreuses infrastructures critiques qu'il vaut mieux contrôler directement in situ. Je le répète : ces quatre espaces contestés doivent faire l'objet d'une protection collective. C'est la raison pour laquelle, en matière de cybersécurité, j'ai lancé le cyberdôme, qui s'appuiera sur des centres d'opération de sécurité (SOC). Les exemples des systèmes Galileo et Copernicus, dont j'ai la charge en tant que commissaire européen chargé de l'espace, montrent qu'il est possible d'investir ensemble et de mettre en place une gouvernance commune. Nous le ferons également avec la constellation de satellites Iris, dont la dimension militaire est très importante, ou encore en matière de cryptologie quantique ou de support sur les théâtres d'opérations spécifiques. Pour tous ces projets, nous disposons désormais d'une infrastructure commune. Nous avons trouvé les financements et la gouvernance adaptée. Il nous faut maintenant atteindre le même résultat pour le dôme de défense et nous poser la question de l'espace maritime. Évidemment, nous ne mènerons pas ce chantier à terme au cours du prochain mandat. Des investissements communs seront nécessaires pour supporter ces infrastructures, mais une fois que nous serons d'accord sur l'objectif - et nous le serons -, nous trouverons les financements adaptés, car les mécanismes existent.

Madame la Présidente Estrosi Sassone, nous avons enfin mis en place des politiques de réindustrialisation de notre continent. Je le dis avec force : notre ambition n'est pas de tout faire en Europe ; nous ne sommes pas protectionnistes par idéologie ou par nature. Nous sommes simplement conscients que, dans la nouvelle façon de faire de l'industrie - je n'ai jamais cru que les entreprises sans usine incarnaient la modernité -, la proximité entre les lieux de production, les centres de recherche et les clients est essentielle. Elle l'est d'autant plus que tout projet industriel interagit désormais avec son environnement numérique. Pour toutes ces raisons, la réindustrialisation de notre continent est non seulement une nécessité liée à l'évolution de l'industrie 4.0, mais aussi une nécessité en matière socio-économique comme en matière de souveraineté. Quand la dépendance à l'égard de la région indopacifique pour l'approvisionnement en semi-conducteurs atteint 80 % - dont 51 % à l'égard de Taïwan -, la simple fermeture du détroit de Taïwan pour une raison quelconque peut mettre à l'arrêt toutes nos usines en moins de trois semaines. Aussi, il y allait de ma responsabilité - ce n'était prévu ni dans mon mandat ni dans les budgets - de réimplanter des usines de semi-conducteurs en Europe, afin d'accroître notre autonomie. Cela ne consiste pas à tout produire chez soi ; c'est être en mesure de créer des rapports de force vis-à-vis de ceux qui comptent exploiter vos dépendances pour des considérations géopolitiques ou autres. Cette tentation est permanente. Nous l'avons bien vu avec les masques lors de la crise covid, comme avec les vaccins ou l'énergie. L'Europe, premier marché au monde, doit aussi être vue comme ce lieu où l'on sait créer des rapports de force. Pour les extra-Européens, c'est une chance que de pouvoir bénéficier de ce marché. Cela doit avoir des conséquences : nous ne sommes pas que des acheteurs ; nous sommes aussi des producteurs et nous savons rééquilibrer les rapports de force. C'est la raison pour laquelle nous avons adopté le European Chips Act, ou loi européenne sur les semi-conducteurs, qui prévoit 42 milliards d'euros d'investissements. Les 67 projets industriels de semi-conducteurs européens bénéficient ainsi aujourd'hui de 100 milliards d'euros d'investissements privés. À cette occasion, nous avons obtenu d'importantes concessions de la part de diverses directions générales de la Commission européenne, plus habituées à des logiques très libérales. Libres à nous d'être les derniers des Mohicans appliquant à la lettre les règles de l'OMC, mais la naïveté a ses limites. Aussi, la direction générale de la concurrence (DG COMP) se réjouit d'avoir obtenu l'inscription d'une matching clause, ou clause d'alignement, laquelle signifie que, lorsqu'un pays met en place des subventions, nous sommes fondés à obtenir l'équivalent. À titre personnel et en tant qu'ancien ministre des finances, je suis toujours réservé quant à l'idée d'utiliser l'argent public, mais dans le monde actuel, il faut aussi regarder ce qui se passe ailleurs, pour au moins donner le sentiment qu'on peut en faire autant. Nous avons donc su modifier nos politiques de réciprocité en matière industrielle et nous affirmer comme un continent à part entière, conscient de sa puissance.

Nous avons mené une politique similaire en matière de Clean Tech, avec le règlement européen Net-Zero Industry Act (NZIA). Je rappelle, au passage, que les règlements européens résultent de la contribution de l'ensemble des États membres. Ainsi, on ne peut pas se dire européen, participer à la construction européenne et faire entendre sa voix et, en même temps, se vanter d'avoir dicté des politiques d'inspiration nationale à nos partenaires. À vingt-sept, cela ne peut fonctionner de la sorte. J'ai été politique et je sais combien il est tentant, pour un ministre, de dire que nous avons entraîné derrière nous l'ensemble des Vingt-Sept. Pour ma part, je veille à rester humble et prudent, car nous ne sommes pas seuls ! Si l'on pense que nos politiques vont dans le sens de l'intérêt général, de celui de nos compatriotes et de nos concitoyens européens, mieux vaut se garder de qualifier telle ou telle idée de française, d'allemande ou de maltaise. Cette façon de faire n'aboutit jamais. Ainsi, le NZIA n'est pas d'inspiration nationale ; il est une réaction à l'Inflation Reduction Act, adopté en août 2022 par l'administration Biden. Au départ, 369 milliards de dollars étaient prévus ; les États-Unis en sont - excusez du peu ! - à 1 000 milliards de dollars de subventions. Il fallait donc réagir très vite, et en Européens, si nous voulions éviter la fragmentation du marché intérieur. C'est la raison pour laquelle je pousse en permanence les investissements mutualisés à l'échelle européenne, certains pays disposant de plus grandes facilités fiscales pour le faire...

Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse au sujet de ces facilités fiscales. La France a la dette qu'elle a. Quand j'ai quitté Bercy en 2007 - je suis le dernier ministre des finances à avoir réduit la dette -, la dette française représentait 62 % du PIB, à 1 200 milliards d'euros. Aujourd'hui, elle est à 116 % et elle atteint 3 200 milliards d'euros. En 2007, la dette de l'Allemagne représentait 67 % du PIB. Dans les réunions de l'Eurogroupe, comme dans toutes les institutions européennes, ce sont les plus respectueux des traités qui parlent. Les autres sont invités à se mettre au travail. Or si nous continuons de prendre comme seul indicateur la dette financière, nous entendrons, pendant trente ans encore, les mêmes discours, qui mèneront à la fin de l'Europe. J'ai donc réalisé mes propres calculs, en y intégrant une dimension politique, rejoignant ainsi les préoccupations du président Perrin. Si tous les États membres avaient investi dans la défense comme la France ou comme la Grèce, qui défend le front Est de notre continent, nous n'en serions sans doute pas là en matière de défense. Si l'Allemagne avait fait des efforts équivalents, sa dette aurait augmenté de 500 milliards d'euros ! De même, si tous les États membres avaient autant réduit leurs émissions de CO2, nous ne devrions pas aujourd'hui fournir de tels efforts. Lorsque l'on calcule la dette carbone depuis 2000, les pays « frugaux » ne le sont plus du tout ! La politique européenne, c'est certes de la finance, mais c'est aussi la défense ou l'environnement. Loin de moi, par ces calculs, l'idée de faire la leçon à quiconque ; je veux simplement, grâce à ces arguments politiques, remettre tout le monde autour de la table. Personne ne dira plus aux États réputés frugaux : dits « vous aviez raison » et aux pays du « Club Med » : « travaillez d'abord, nous vous donnerons la parole ensuite ». Mon objectif, c'est le travail collectif. Chaque ministre veut avoir sa loi et c'est bien normal, j'ai été ministre moi-même, mais nous sommes aussi européens. Je ne suis pas naïf, j'aide tout le monde. En permanence, je remets l'église au milieu du village.

J'en viens à présent à la régulation numérique. Une seule raison explique que les Gafam ne soient pas européens : ils sont nés dans les vastes marchés unifiés que sont les États-Unis et la Chine. Pardon de le dire ainsi, mais l'invention de Facebook ne relève pas de la rocket science ! Un étudiant renvoyé au terme de sa première année à Harvard a réussi à le faire... Il en va de même des autres Gafa, le cas de Microsoft étant légèrement différent. Ces inventions ont immédiatement bénéficié de 300 millions de consommateurs, quand l'Union européenne était encore constituée de vingt-sept marchés où l'on parlait quinze langues différentes.

Dès ma prise de fonctions, je me suis fortement impliqué dans la création d'un marché numérique intégré pour compléter le marché intérieur physique. Il fallait pour cela mettre en place des régulations, que tous les États membres ont adoptées récemment au travers du Digital Services Act (DSA).

En tant que commissaire au marché intérieur, mon rôle n'est pas de sanctionner, mais de faire en sorte que les lois nationales s'articulent avec ce que les représentants des États membres ont voté à l'échelle européenne. Telle est ma responsabilité. Je l'exerce sans aucune arrière-pensée. Grâce au Data Governance Act (DGA), on sait maintenant quelles sont les données qui appartiennent à la sphère publique et celles qui peuvent être utilisées pour développer des services. J'en viens au Data Act. La vraie révolution sur les données reste à venir. Elle concernera non pas les données personnelles, mais les données industrielles. L'innovation qui va en découler sera celle que l'on a connue, mais à la puissance dix ! C'est l'utilisation des données industrielles relatives aux voitures connectées, aux usines 4.0, à l'internet des objets, etc., qui génèrent un volume considérable d'informations, qui servira à créer les services de demain. Encore faut-il savoir à qui appartient quoi pour que l'on puisse fixer des règles. La régulation n'entrave pas l'innovation. Au contraire, elle la favorise ! J'ai travaillé pendant trente ans dans ces domaines ; lorsqu'il n'y a pas de régulation, c'est l'anarchie et l'on sait comment cela se termine : les Microsoft, les Meta finissent par imposer leurs règles aux autres. Pour autant, il appartient aux élus de décider comment ces services doivent être utilisés dans l'intérêt général de nos concitoyens. Le DSA vise à introduire enfin de la régulation sur les réseaux sociaux : ce qui est interdit dans l'espace physique doit l'être aussi dans l'espace numérique. On n'a pas le droit d'insulter son voisin dans l'espace physique ni de proférer des paroles antisémites. Il doit en être de même dans l'espace numérique. Le DMA, quant à lui, entend éviter que les plus grosses entreprises numériques utilisent leur force pour évincer leurs concurrents, au risque de tuer l'innovation.

L'intelligence artificielle est une formidable invention. En quoi consiste-t-elle ? Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, nous stockons tout le patrimoine informationnel que nous générons ; l'intelligence artificielle s'appuie donc sur ces immenses réservoirs de données. Cette évolution était tout à fait prévisible, mais il convient d'instaurer des règles. Par exemple, est-il normal d'interdire à quelqu'un de prendre le train en raison de ce qu'il a pu faire ou dire il y a plusieurs années, comme cela se passe en Chine ? Non, cela sera interdit en Europe, ainsi que tout social scoring. De même, l'usage des données personnelles en matière de santé sera encadré. L'utilisation de l'intelligence artificielle sera aussi interdite ou très contrôlée en ce qui concerne l'exploitation des données recueillies dans l'espace urbain par les caméras. Nous avons retenu une approche fondée sur l'analyse des risques. Nous travaillons sur ce sujet avec tous les acteurs depuis cinq ans. Nous n'avons donc pas attendu ChatGPT ! Certains d'entre eux viennent me voir pour faire du lobbying, car leurs investisseurs américains ont peur de la régulation. Je ne suis dupe de rien... On ne m'enfermera pas dans l'opposition entre l'innovation et la régulation. J'ajoute que c'est le Parlement européen, et non la Commission, qui a souhaité que l'on s'intéresse à l'intelligence artificielle générative. Nous avons donc fait en sorte qu'il y ait peu de contrôle pour les très grands modèles, surtout, pour tout ce qui relève de l'innovation, de la recherche, du testing : il y a zéro contrainte ! L'Europe est le meilleur endroit pour innover ! Les entreprises qui veulent venir sur le marché intérieur européen doivent respecter nos règles, c'est normal. Au Royaume-Uni, on roule à gauche, mais lorsqu'un Britannique vient sur le continent, il doit rouler à droite. Il en va de même pour l'intelligence artificielle, y compris pour les modèles génératifs. J'y insiste, notre régulation favorise la recherche et n'aura d'effets que sur les grandes plateformes dont l'impact est systémique. Madame la Présidente Estrosi Sassone, je ne suis pas inquiet : la réglementation sera adoptée. Je sais d'où viennent les lobbies ; c'est le jeu normal des institutions bruxelloises.

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