Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 6 février 2024 à 15h30
Violences intrafamiliales — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, l'enfance a été placée par le Président de la République au nombre de nos priorités et la protection des droits de l'enfant est au cœur de la feuille de route du Gouvernement, qui en a fait un engagement prioritaire.

C'est la raison pour laquelle je me réjouis que la proposition de loi visant à mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales soit discutée en deuxième lecture aujourd'hui par la Haute Assemblée.

Au fil des lectures, le texte arrive peu à peu à maturité. Les points sur lesquels les deux assemblées se rejoignent apparaissent aujourd'hui clairement, ainsi que ceux sur lesquels un consensus s'est naturellement dégagé, ces derniers étant très majoritaires.

En réalité, le seul article faisant encore l'objet de débats est l'article 1er, lequel modifie l'article 378-2 du code civil afin d'étendre le mécanisme de suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement du parent poursuivi ou condamné.

La rédaction votée par la commission des lois du Sénat s'inscrit dans la continuité des travaux de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), qui a rendu son rapport final en novembre dernier ; elle limite cette extension au cas de la poursuite ou de la condamnation d'un parent pour crime commis sur la personne de l'autre parent ou pour agression sexuelle incestueuse ou crime commis sur la personne de l'enfant.

Cette rédaction ne manque pas d'intérêt et je veux ici saluer chaleureusement le travail de la rapporteure, Mme Marie Mercier.

Tout d'abord, il aurait été impensable d'introduire une hiérarchie entre les crimes dont un enfant peut être victime et de prévoir la suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite pour certains d'entre ceux-ci et non pour d'autres. Nous pouvons nous féliciter que la nécessité de viser tous les crimes commis sur l'enfant ait été entendue lors des débats parlementaires et à nouveau par la commission des lois du Sénat.

Inversement, il me semble qu'il aurait été tout aussi inopportun de viser n'importe quel délit. La suspension automatique de l'exercice de l'autorité parentale dès le stade des poursuites, et alors que le parent est présumé innocent, doit être réservée aux infractions les plus graves. Il y va de la constitutionnalité et de la conventionnalité du dispositif. Il est donc cohérent de limiter celui-ci aux agressions sexuelles incestueuses.

À cet égard, il me semble tout à fait utile, dès lors que la simple décision de poursuivre permet de déclencher ce mécanisme, de préciser que les actes de poursuite émanent du procureur de la République ou du juge d'instruction. Une telle règle procédurale permet de prévenir les constitutions de partie civile ou les citations directes abusives par l'autre parent.

Ces éléments, fondamentaux pour l'équilibre du dispositif, font d'ailleurs consensus entre les deux assemblées, ce dont je me réjouis.

En revanche, la rédaction votée par votre commission a maintenu le caractère provisoire du mécanisme de suspension automatique de l'exercice de l'autorité parentale. Elle prévoit que cette suspension opère jusqu'à la décision du juge aux affaires familiales (JAF) et pour une durée maximale de six mois.

Il y a là un premier point de débat entre les deux chambres, l'Assemblée nationale ayant souhaité que la suspension se poursuive non pas pour une durée maximale de six mois, mais jusqu'à la décision du juge aux affaires familiales, le cas échéant saisi par la personne poursuivie, jusqu'à la décision de non-lieu du juge d'instruction, ou encore jusqu'à la décision ou l'arrêt pénal.

Ces deux approches traduisent la recherche d'équilibre entre les droits du parent et la protection des enfants. Des amendements posent ce débat, avec des rédactions préservant, à mon sens, la protection maximale de l'enfant, dans la mesure où nous entendons laisser aux parents la possibilité de saisir le juge aux affaires familiales.

Par ailleurs, votre commission a supprimé l'alinéa 2 de l'article 1er, lequel vise à créer un dispositif de suspension automatique de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement du parent condamné pour violence conjugale ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours, lorsque les faits se sont déroulés en présence de l'enfant. Ce dispositif étant réservé aux faits les plus graves commis en présence de l'enfant, nous avions atteint, à mon sens, un équilibre proportionné pour conserver un maximum de garanties aux bénéfices de ce dernier.

Telles sont finalement les deux seules dispositions qui ne recueillent pas, à cette heure, l'accord de vos deux assemblées et qui seront évidemment au cœur de nos débats cet après-midi.

L'article 2 fait désormais consensus, dans une rédaction qui constitue, à n'en pas douter, une avancée indéniable en matière de protection des enfants, puisque le juge pénal aura l'obligation – et non plus la simple faculté, comme cela est actuellement le cas – de retirer l'autorité parentale ou son exercice, en cas de condamnation du parent pour les infractions les plus graves commises sur son enfant ou sur l'autre parent.

L'article 2 ter, qui semble lui aussi faire consensus, puisque votre commission ne l'a pas modifié, prévoit que le parent privé de l'exercice de l'autorité parentale et de ses droits de visite et d'hébergement à la suite d'une condamnation pénale ne pourra pas saisir le juge aux affaires familiales afin de se voir restituer cet exercice et ses droits de visite et d'hébergement avant l'expiration d'un délai de six mois. Cet article est conforme à l'esprit de cette proposition de loi : renforcer la protection de l'enfant.

Enfin, l'article 3, qui fait lui aussi consensus, a pour objectif simple de simplifier le code pénal, par l'introduction d'un article unique regroupant toutes les dispositions applicables en matière de retrait de l'autorité parentale d'un contenu identique aux dispositions figurant dans le code civil.

Tel est donc le texte qui vous est présenté aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs. Au-delà des quelques divergences qui demeurent entre les deux chambres, ce texte - n'en doutons pas - est très attendu par nos concitoyens, parce qu'il renforce la protection des plus vulnérables d'entre nous, parce qu'il est de notre devoir de protéger l'enfant victime de son parent agresseur, et, enfin, parce que le foyer doit toujours rester un lieu où l'enfant peut grandir en paix et en sécurité.

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