Intervention de Marc Fesneau

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 décembre 2023 à 16h35
Agriculture et pêche — Actualité européenne en matière agricole - Audition de M. Marc Fesneau ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire :

Je suis très heureux d'être devant votre commission afin de vous éclairer sur les sujets agricoles et européens, qui sont étroitement imbriqués. J'ai coutume de rappeler que la politique agricole commune (PAC), dont nous avons fêté les 60 ans l'année dernière, est l'une des politiques les plus intégrées.

Je propose de vous présenter dans un premier temps l'actualité législative européenne sur les sujets agricoles, et de vous partager ensuite mon ressenti sur la manière dont ces sujets sont abordés à Bruxelles. Enfin, j'évoquerai les négociations avec l'Ukraine, dans la perspective de son adhésion.

Je commencerai par faire un point sur les textes législatifs européens.

En tant que Français, nous devons penser la relation avec nos autres partenaires européens comme une relation de compromis et de dialogue. Avoir raison seul quand on est vingt-sept ne sert pas à grand-chose. J'ai donc nourri des relations bilatérales avec mes collègues en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Suède, sur un certain nombre de sujets, et je continuerai de le faire. Je verrai prochainement mon collègue polonais. C'est grâce à ce dialogue que nous obtenons parfois des compromis sur les lignes que nous défendons.

J'évoquerai tout d'abord la directive sur les émissions industrielles, dite directive IED, qui impose des normes de rejets aux élevages de porcs et de volailles. Il était question de l'étendre aux élevages bovins, d'une part, et de modifier les seuils d'effectifs pour les élevages de porcs et de volailles, d'autre part.

Les seuils que j'ai proposés visaient à ne pas modifier profondément les équilibres pour les élevages existants, tout en permettant d'étendre la directive aux élevages bovins - selon nos estimations, entre 100 et 300 élevages bovins en France auraient été concernés. Une telle stratégie permettait de démontrer que notre filière animale est moins industrielle que dans d'autres pays.

Malheureusement, les élevages bovins ont finalement été exclus du compromis du trilogue, à la demande d'une partie de la profession, et les seuils applicables aux élevages de volailles et de porcs ont été abaissés. Des contraintes supplémentaires pèseront donc sur ceux qui voudront agrandir leur élevage ou en créer un ex nihilo. Nous essaierons néanmoins de mettre en place une approche différenciée, selon la taille de l'élevage.

Si le trilogue a donc abouti, rien ne permet de prédire l'issue du vote qui doit désormais avoir lieu au Parlement européen. Nous sommes dans un moment européen que je n'ai pas besoin de vous décrire. Les positions diffèrent souvent en début et en fin de mandat, à l'approche des élections !

Le règlement sur la restauration de la nature a fait l'objet de débats très vifs. Pour ma part, je considère que restauration de la nature ne signifie pas retour à l'état de nature. Or certains estiment qu'il ne faut plus utiliser ni fertilisants, ni engrais, ni produits phytosanitaires dans certaines zones sensibles, ce qui reviendrait à mettre sous cloche une grande partie du territoire. In fine, c'est une version amoindrie du texte qui a été retenue à l'issue du trilogue, laquelle n'inquiète plus grand monde, je pense. Il faudra toutefois étudier dans le détail ses effets en fonction des territoires. L'idée sous-jacente de ce texte était tout de même de promouvoir une trajectoire décroissante. Or le Green Deal ne peut pas être, selon moi, un accord pour la décroissance. Le compromis auquel nous sommes parvenus n'est donc finalement pas aussi préjudiciable que nous le craignions, reconnaissons-le, mais il faudra être vigilant quant à sa mise en oeuvre.

J'en viens à la proposition législative sur les nouvelles techniques génomiques (NTG). Les parlementaires européens, le président de la commission de l'agriculture et celui de la commission de l'environnement avaient noué un accord : adopter concomitamment la réglementation SUR et celle sur les NTG, cette dernière prévoyant également des trajectoires de réduction de l'emploi de produits phytosanitaires. Or la proposition de règlement SUR a été rejetée par le Parlement européen.

L'intérêt de la proposition de règlement SUR résidait en premier lieu dans la mise en place d'une réglementation harmonisée sur les produits phytosanitaires, la France n'accusant pas de retard par rapport à d'autres États membres en la matière. Le règlement SUR présentait également l'avantage d'instaurer une réglementation plus européenne que nationale s'agissant des autorisations de mise sur le marché et des analyses des produits phytosanitaires. À défaut, chacun fait un peu ce qu'il veut.

Ce qui a en partie fait échouer l'accord, c'est que le projet prévoyait l'interdiction d'utiliser des produits phytosanitaires dans un certain nombre de zones sensibles, comme les zones Natura 2000. Une telle bascule était tout à fait impossible à mettre en oeuvre, ne serait-ce que parce que le règlement ne prévoyait aucun outil financier pour accompagner cette trajectoire. La France n'a pas intérêt à en rabattre sur la question des substituts aux produits phytosanitaires. Certains produits disparaissent parce que les firmes ne demandent pas de nouvelle autorisation de mise sur le marché. Ces entreprises trouvent le marché européen trop petit et les terrains d'expansion au Brésil, en Ukraine, en Russie et ailleurs beaucoup plus intéressants, avec des processus beaucoup plus simples. D'autres molécules sont retirées par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), pour des raisons de santé publique ou pour des motifs que l'on n'identifie pas forcément aujourd'hui.

Nous avons de toute façon intérêt à trouver des substituts aux produits phytosanitaires les plus courants, qu'il s'agisse de produits phytosanitaires ayant moins d'effets sur l'environnement ou sur la santé, ou d'alternatives, comme des systèmes de biocontrôle. Les agriculteurs ont tout intérêt à s'y préparer et à se fixer une trajectoire de réduction des produits phytosanitaires. À cet égard, les nouvelles techniques génomiques présentent un intérêt certain.

Nous avons beaucoup poussé le texte sur ce sujet, de même que la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne, afin que ce texte soit adopté avant les élections européennes. Il existe encore cependant une minorité de blocage sur cette proposition législative, composée des Allemands pour des motifs liés à l'agriculture biologique, et des pays de l'Est, pour des raisons de brevetabilité ou d'étiquetage.

Deux catégories de NTG ont été créées. Les NTG de catégorie 1 sont considérées comme des variétés conventionnelles, tandis que les NTG de catégorie 2 continuent de relever de la réglementation relative aux OGM.

L'objectif est de parvenir à un accord dans les mois qui viennent. À cet effet, je me rendrai prochainement dans un certain nombre de pays européens dubitatifs pour leur présenter l'intérêt de ces techniques, qui peuvent permettre de réduire le recours aux produits phytosanitaires, mais aussi de lutter contre le dérèglement climatique. On ne peut pas se priver de ces nouvelles techniques alors que tous les pays du monde sont en train d'en développer et de s'en servir. Ces NTG sont très efficaces, car elles permettent d'accélérer des processus naturels de sélection, de plusieurs dizaines de milliers d'années selon certains.

J'ai bon espoir que nous parvenions à un accord. Il faut pour cela obtenir l'accord de deux ou trois pays supplémentaires afin de constituer une majorité.

Cela étant, certains parlementaires, n'ayant pas obtenu le règlement SUR, ne veulent pas de la réglementation sur les nouvelles techniques génomiques. C'est, selon moi, la stratégie du pire. Les plus extrêmes plaidaient pour un règlement SUR très ambitieux, les autres s'opposaient au principe même de ce règlement. Résultat de ces oppositions cumulées : nous n'avons pas de texte, et c'est à mon sens très regrettable.

J'en viens à présent à la question du glyphosate. Je ne suis pas mal à l'aise avec la position qui a été prise sur ce sujet. Nous n'étions pas radicalement opposés au texte, mais il ne permettait pas d'atteindre les objectifs que nous nous étions fixés en la matière. La France considère que lorsqu'il est possible de trouver des alternatives au glyphosate, il faut privilégier ces dernières. A l'inverse, lorsqu'il n'existe pas de solution de substitution, il faut utiliser le glyphosate. Nous avons ainsi besoin de cette substance pour l'agriculture de conservation des sols ou dans les territoires fortement escarpés, où le glyphosate est la seule solution pour désherber.

La position de la France n'a donc pas changé. J'ai proposé de réduire l'utilisation du glyphosate partout où cela est possible, sachant que des doutes subsistent sur ses effets, non pas sur la santé, mais sur la biodiversité. Je rappelle que l'EFSA, ainsi que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), ont indiqué que rien ne permettait de conclure que ce produit présente des risques pour la santé. En revanche, des questions restent en suspens s'agissant de son impact sur la biodiversité. Par conséquent, réduisons l'usage du glyphosate partout où cela est possible, mais gardons-le dans les situations pour lesquelles nous en avons encore besoin. Telle est la solution pragmatique que nous avons proposée.

Qu'allons-nous faire désormais ? Nous allons nous en tenir à la position française. Certains considèrent que nous surtransposons les dispositions européennes sur ce sujet. Or je rappelle, parce que je suis soucieux des deniers publics, que nous avons octroyé deux ou trois fois 70 millions d'euros de crédits d'impôt pour accompagner ceux qui s'engageaient à moins, voire plus du tout recourir au glyphosate sur leur exploitation. Il serait regrettable de gaspiller 210 millions d'euros ! Il est vrai, je suis d'accord avec vous, que, sur bien des sujets, nous surtransposons et créons de la distorsion concurrentielle, mais en l'occurrence, les agriculteurs ont, me semble-t-il, trouvé une voie pour faire face aux difficultés qui sont les leurs en la matière.

J'évoquerai à présent la politique agricole commune. La première année de mise en oeuvre d'une nouvelle PAC est toujours un moment relativement complexe. Certains agriculteurs, mais aussi les services du ministère, se souviennent encore très douloureusement de la mise en oeuvre de la PAC en 2015 et des difficultés de paiement auxquelles ont alors été confrontés les agriculteurs. Cette année, nous avons procédé aux paiements dans de bonnes conditions, avec un calendrier resserré.

La PAC prévoit des nouveautés : les écorégimes et, à la demande des jeunes agriculteurs, une meilleure définition de l'agriculteur actif, afin que des subventions au titre de la PAC ne puissent pas être accordées à des agriculteurs qui ne sont pas réellement actifs.

Les écorégimes permettent des évolutions. Certains considèrent que la PAC n'est pas assez verte, qu'elle ne favorise pas assez les transitions. Or la conditionnalité, la rotation des cultures, les couverts d'interculture, les éléments fixes de biodiversité sont autant d'éléments qui permettent d'engager une réelle transition dans le secteur agricole.

Je vais à présent vous donner mon sentiment sur la façon dont fonctionne l'Union européenne, s'agissant des sujets agricoles. Je suis frappé de voir avec quelle lenteur les décisions sont prises dans l'espace européen. J'ai la conviction que les mécanismes de prise de décisions ont été prévus pour les temps de paix et de prospérité, beaucoup moins pour les temps de guerre et de désordre du monde. Or on ne peut pas attendre six, neuf ou douze mois pour changer un règlement, parce que les lois de la guerre, qu'elle soit économique ou alimentaire, sont ce qu'elles sont.

À cet égard, le Green Deal a été proposé à une époque différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. Dans l'intervalle, nous avons été confrontés au covid, à la guerre en Ukraine ainsi qu'à un dérèglement des sujets alimentaires. Nous nous sommes également rendu compte que le dérèglement climatique allait produire des effets délétères sur l'équilibre et la sécurité alimentaires. L'Europe doit donc revoir, me semble-t-il, sa politique à l'aune de ces nouveaux déterminants. Or, je trouve qu'elle a du mal à le faire.

Certes, la présidente Ursula von der Leyen a pris des initiatives, avec le lancement par la Commission européenne du dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture, mais je crains que nous n'ayons du mal à travailler sereinement sur ces sujets à six mois d'une échéance électorale. Si nous n'y prenons pas garde, si nous nous privons des moyens de produire, nous prendrons le même chemin sur les questions alimentaires qu'en matière énergétique. Alors que l'Europe a importé 20 millions de tonnes de céréales l'année dernière, elle en importera 40 millions cette année : c'est préoccupant.

La France a donc pris une initiative sur les jachères, car nous ne pouvons pas entretenir une forme d'utopie et continuer d'avoir 4 % de terres en jachère si nous ne sommes pas capables de couvrir nos propres besoins.

Par ailleurs, l'Europe ne se pense pas comme une puissance en matière de souveraineté alimentaire. Il nous faut non seulement nourrir notre propre population malgré les contraintes climatiques ou autres, mais également nous demander qui va nourrir les pays à nos frontières. Qui va nourrir le bassin méditerranéen ? Pour dire les choses plus clairement, que ce soit l'Union européenne ou la Russie n'est pas neutre.

J'en viens à mon dernier point : la question ukrainienne. Vous le savez, les négociations d'adhésion sont longues par nature, notamment pour intégrer l'acquis communautaire. Un pays n'appliquant pas l'acquis communautaire, notamment en matière agricole, ne peut pas adhérer à l'Union européenne. Les Ukrainiens le savent, je le leur ai dit il y a un mois et demi.

L'Ukraine est une immense puissance agricole. Allons-nous en faire un allié pour notre souveraineté alimentaire ou la laisser mettre à mal notre agriculture ? L'Ukraine va-t-elle conquérir avec nous des marchés sur lesquels sont aujourd'hui les Russes, les Brésiliens ou les Américains ? Ou va-t-elle nous concurrencer sur nos marchés ? Il faut travailler sur cette question avec les Ukrainiens, quelle que soit l'échéance de l'intégration de leur pays dans l'Union. C'est la première fois que nous allons faire entrer dans l'Union un pays plus productif et plus compétitif que nous en matière agricole. La structure des exploitations et la nature des sols font de l'Ukraine un eldorado.

En Ukraine, la politique agricole est très puissamment portée par des opérateurs privés, qui défendent leurs intérêts immédiats. Je pense que, pour notre part, nous devons essayer de penser à long terme avec les autorités ukrainiennes, l'Ukraine ayant des structures agricoles lui permettant de concurrencer les Brésiliens en Afrique et en Asie.

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