Nous accueillons aujourd'hui Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire pour évoquer la riche actualité européenne en matière agricole.
Nous avions sollicité cette audition en novembre, à un moment délicat : la Commission européenne avait soumis aux États membres un projet renouvelant l'autorisation du glyphosate pour dix ans. Finalement, vous avez choisi l'abstention, monsieur le ministre, ce qui n'a pas permis aux États membres de dégager une majorité qualifiée sur cette proposition, si bien que la Commission a unilatéralement décidé d'autoriser ce renouvellement.
Nous souhaiterions vous entendre sur ce choix de l'abstention, qui nous semble révélateur de l'embarras du Gouvernement sur ce dossier, pris entre les associations de défense de l'environnement, qui vous rappellent à votre promesse de sortir du glyphosate, et les représentants du monde agricole, qui soulignent l'absence de solution de substitution.
Dans ce contexte, comptez-vous maintenir les restrictions actuellement en vigueur en France ? Le cas échéant, quels dispositifs mettrez-vous en oeuvre pour soutenir nos agriculteurs, qui risquent d'être confrontés à des distorsions de concurrence particulièrement pénalisantes ?
Nous avons des interrogations similaires concernant la proposition de règlement sur l'usage durable des pesticides (Sustainable Use Regulation, « SUR ») qui, a été rejetée par le Parlement européen à la fin du mois de novembre dernier. Vous semblez croire qu'il est possible de sauver ce texte : un compromis peut-il encore être trouvé, selon vous ? Dans le cas contraire, comptez-vous adapter en conséquence l'objectif national que vous aviez fixé d'une réduction de 50 % de l'usage des pesticides d'ici à 2030 ?
Il nous semble que nous arrivons à un moment d'inflexion où le principe de réalité s'impose enfin et freine le volontarisme de la Commission européenne en matière de transition verte, qui s'est décliné en matière agricole par de nombreuses initiatives législatives : nous les avions dénoncées en faisant valoir l'impératif de l'autonomie alimentaire européenne, et nous regrettons de ne pas avoir été entendus plus tôt. Je pense notamment aux textes sur la restauration de la nature ou sur les émissions industrielles, qui continuent d'inquiéter légitimement nos agriculteurs, soumis à la concurrence de pays tiers échappant, eux, à ces contraintes. Comment entendez-vous les en protéger ? Que peut-on attendre du dialogue stratégique sur le futur de l'agriculture que lance la Commission ? Dans quelle mesure accordera-t-il une place au défi supplémentaire que l'élargissement de l'Union représenterait pour nos agriculteurs ? La perspective d'une intégration du géant agricole qu'est l'Ukraine suscite des interrogations.
Nous souhaiterions enfin que vous nous rendiez compte du dernier Conseil des ministres de l'agriculture de l'Union auquel vous avez participé au nom de notre pays. Cette réunion était particulièrement attendue en ce qui concerne la négociation sur la proposition de législation relative aux nouvelles techniques génomiques, qui pourrait bien être le dernier grand texte agricole susceptible de faire l'objet d'un accord avant les élections européennes. C'est un sujet important à de nombreux égards, à la fois pour l'avenir de la recherche agronomique européenne, pour l'autonomie stratégique et pour la transition verte. Pouvez-vous nous dire s'il est réaliste d'espérer l'adoption de ce texte avant les élections européennes et dans quelle mesure vous avez pu obtenir des assurances utiles concernant la brevetabilité ou la traçabilité des variétés de végétaux issues de ces nouvelles techniques génomiques ?
Je suis très heureux d'être devant votre commission afin de vous éclairer sur les sujets agricoles et européens, qui sont étroitement imbriqués. J'ai coutume de rappeler que la politique agricole commune (PAC), dont nous avons fêté les 60 ans l'année dernière, est l'une des politiques les plus intégrées.
Je propose de vous présenter dans un premier temps l'actualité législative européenne sur les sujets agricoles, et de vous partager ensuite mon ressenti sur la manière dont ces sujets sont abordés à Bruxelles. Enfin, j'évoquerai les négociations avec l'Ukraine, dans la perspective de son adhésion.
Je commencerai par faire un point sur les textes législatifs européens.
En tant que Français, nous devons penser la relation avec nos autres partenaires européens comme une relation de compromis et de dialogue. Avoir raison seul quand on est vingt-sept ne sert pas à grand-chose. J'ai donc nourri des relations bilatérales avec mes collègues en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Suède, sur un certain nombre de sujets, et je continuerai de le faire. Je verrai prochainement mon collègue polonais. C'est grâce à ce dialogue que nous obtenons parfois des compromis sur les lignes que nous défendons.
J'évoquerai tout d'abord la directive sur les émissions industrielles, dite directive IED, qui impose des normes de rejets aux élevages de porcs et de volailles. Il était question de l'étendre aux élevages bovins, d'une part, et de modifier les seuils d'effectifs pour les élevages de porcs et de volailles, d'autre part.
Les seuils que j'ai proposés visaient à ne pas modifier profondément les équilibres pour les élevages existants, tout en permettant d'étendre la directive aux élevages bovins - selon nos estimations, entre 100 et 300 élevages bovins en France auraient été concernés. Une telle stratégie permettait de démontrer que notre filière animale est moins industrielle que dans d'autres pays.
Malheureusement, les élevages bovins ont finalement été exclus du compromis du trilogue, à la demande d'une partie de la profession, et les seuils applicables aux élevages de volailles et de porcs ont été abaissés. Des contraintes supplémentaires pèseront donc sur ceux qui voudront agrandir leur élevage ou en créer un ex nihilo. Nous essaierons néanmoins de mettre en place une approche différenciée, selon la taille de l'élevage.
Si le trilogue a donc abouti, rien ne permet de prédire l'issue du vote qui doit désormais avoir lieu au Parlement européen. Nous sommes dans un moment européen que je n'ai pas besoin de vous décrire. Les positions diffèrent souvent en début et en fin de mandat, à l'approche des élections !
Le règlement sur la restauration de la nature a fait l'objet de débats très vifs. Pour ma part, je considère que restauration de la nature ne signifie pas retour à l'état de nature. Or certains estiment qu'il ne faut plus utiliser ni fertilisants, ni engrais, ni produits phytosanitaires dans certaines zones sensibles, ce qui reviendrait à mettre sous cloche une grande partie du territoire. In fine, c'est une version amoindrie du texte qui a été retenue à l'issue du trilogue, laquelle n'inquiète plus grand monde, je pense. Il faudra toutefois étudier dans le détail ses effets en fonction des territoires. L'idée sous-jacente de ce texte était tout de même de promouvoir une trajectoire décroissante. Or le Green Deal ne peut pas être, selon moi, un accord pour la décroissance. Le compromis auquel nous sommes parvenus n'est donc finalement pas aussi préjudiciable que nous le craignions, reconnaissons-le, mais il faudra être vigilant quant à sa mise en oeuvre.
J'en viens à la proposition législative sur les nouvelles techniques génomiques (NTG). Les parlementaires européens, le président de la commission de l'agriculture et celui de la commission de l'environnement avaient noué un accord : adopter concomitamment la réglementation SUR et celle sur les NTG, cette dernière prévoyant également des trajectoires de réduction de l'emploi de produits phytosanitaires. Or la proposition de règlement SUR a été rejetée par le Parlement européen.
L'intérêt de la proposition de règlement SUR résidait en premier lieu dans la mise en place d'une réglementation harmonisée sur les produits phytosanitaires, la France n'accusant pas de retard par rapport à d'autres États membres en la matière. Le règlement SUR présentait également l'avantage d'instaurer une réglementation plus européenne que nationale s'agissant des autorisations de mise sur le marché et des analyses des produits phytosanitaires. À défaut, chacun fait un peu ce qu'il veut.
Ce qui a en partie fait échouer l'accord, c'est que le projet prévoyait l'interdiction d'utiliser des produits phytosanitaires dans un certain nombre de zones sensibles, comme les zones Natura 2000. Une telle bascule était tout à fait impossible à mettre en oeuvre, ne serait-ce que parce que le règlement ne prévoyait aucun outil financier pour accompagner cette trajectoire. La France n'a pas intérêt à en rabattre sur la question des substituts aux produits phytosanitaires. Certains produits disparaissent parce que les firmes ne demandent pas de nouvelle autorisation de mise sur le marché. Ces entreprises trouvent le marché européen trop petit et les terrains d'expansion au Brésil, en Ukraine, en Russie et ailleurs beaucoup plus intéressants, avec des processus beaucoup plus simples. D'autres molécules sont retirées par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), pour des raisons de santé publique ou pour des motifs que l'on n'identifie pas forcément aujourd'hui.
Nous avons de toute façon intérêt à trouver des substituts aux produits phytosanitaires les plus courants, qu'il s'agisse de produits phytosanitaires ayant moins d'effets sur l'environnement ou sur la santé, ou d'alternatives, comme des systèmes de biocontrôle. Les agriculteurs ont tout intérêt à s'y préparer et à se fixer une trajectoire de réduction des produits phytosanitaires. À cet égard, les nouvelles techniques génomiques présentent un intérêt certain.
Nous avons beaucoup poussé le texte sur ce sujet, de même que la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne, afin que ce texte soit adopté avant les élections européennes. Il existe encore cependant une minorité de blocage sur cette proposition législative, composée des Allemands pour des motifs liés à l'agriculture biologique, et des pays de l'Est, pour des raisons de brevetabilité ou d'étiquetage.
Deux catégories de NTG ont été créées. Les NTG de catégorie 1 sont considérées comme des variétés conventionnelles, tandis que les NTG de catégorie 2 continuent de relever de la réglementation relative aux OGM.
L'objectif est de parvenir à un accord dans les mois qui viennent. À cet effet, je me rendrai prochainement dans un certain nombre de pays européens dubitatifs pour leur présenter l'intérêt de ces techniques, qui peuvent permettre de réduire le recours aux produits phytosanitaires, mais aussi de lutter contre le dérèglement climatique. On ne peut pas se priver de ces nouvelles techniques alors que tous les pays du monde sont en train d'en développer et de s'en servir. Ces NTG sont très efficaces, car elles permettent d'accélérer des processus naturels de sélection, de plusieurs dizaines de milliers d'années selon certains.
J'ai bon espoir que nous parvenions à un accord. Il faut pour cela obtenir l'accord de deux ou trois pays supplémentaires afin de constituer une majorité.
Cela étant, certains parlementaires, n'ayant pas obtenu le règlement SUR, ne veulent pas de la réglementation sur les nouvelles techniques génomiques. C'est, selon moi, la stratégie du pire. Les plus extrêmes plaidaient pour un règlement SUR très ambitieux, les autres s'opposaient au principe même de ce règlement. Résultat de ces oppositions cumulées : nous n'avons pas de texte, et c'est à mon sens très regrettable.
J'en viens à présent à la question du glyphosate. Je ne suis pas mal à l'aise avec la position qui a été prise sur ce sujet. Nous n'étions pas radicalement opposés au texte, mais il ne permettait pas d'atteindre les objectifs que nous nous étions fixés en la matière. La France considère que lorsqu'il est possible de trouver des alternatives au glyphosate, il faut privilégier ces dernières. A l'inverse, lorsqu'il n'existe pas de solution de substitution, il faut utiliser le glyphosate. Nous avons ainsi besoin de cette substance pour l'agriculture de conservation des sols ou dans les territoires fortement escarpés, où le glyphosate est la seule solution pour désherber.
La position de la France n'a donc pas changé. J'ai proposé de réduire l'utilisation du glyphosate partout où cela est possible, sachant que des doutes subsistent sur ses effets, non pas sur la santé, mais sur la biodiversité. Je rappelle que l'EFSA, ainsi que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), ont indiqué que rien ne permettait de conclure que ce produit présente des risques pour la santé. En revanche, des questions restent en suspens s'agissant de son impact sur la biodiversité. Par conséquent, réduisons l'usage du glyphosate partout où cela est possible, mais gardons-le dans les situations pour lesquelles nous en avons encore besoin. Telle est la solution pragmatique que nous avons proposée.
Qu'allons-nous faire désormais ? Nous allons nous en tenir à la position française. Certains considèrent que nous surtransposons les dispositions européennes sur ce sujet. Or je rappelle, parce que je suis soucieux des deniers publics, que nous avons octroyé deux ou trois fois 70 millions d'euros de crédits d'impôt pour accompagner ceux qui s'engageaient à moins, voire plus du tout recourir au glyphosate sur leur exploitation. Il serait regrettable de gaspiller 210 millions d'euros ! Il est vrai, je suis d'accord avec vous, que, sur bien des sujets, nous surtransposons et créons de la distorsion concurrentielle, mais en l'occurrence, les agriculteurs ont, me semble-t-il, trouvé une voie pour faire face aux difficultés qui sont les leurs en la matière.
J'évoquerai à présent la politique agricole commune. La première année de mise en oeuvre d'une nouvelle PAC est toujours un moment relativement complexe. Certains agriculteurs, mais aussi les services du ministère, se souviennent encore très douloureusement de la mise en oeuvre de la PAC en 2015 et des difficultés de paiement auxquelles ont alors été confrontés les agriculteurs. Cette année, nous avons procédé aux paiements dans de bonnes conditions, avec un calendrier resserré.
La PAC prévoit des nouveautés : les écorégimes et, à la demande des jeunes agriculteurs, une meilleure définition de l'agriculteur actif, afin que des subventions au titre de la PAC ne puissent pas être accordées à des agriculteurs qui ne sont pas réellement actifs.
Les écorégimes permettent des évolutions. Certains considèrent que la PAC n'est pas assez verte, qu'elle ne favorise pas assez les transitions. Or la conditionnalité, la rotation des cultures, les couverts d'interculture, les éléments fixes de biodiversité sont autant d'éléments qui permettent d'engager une réelle transition dans le secteur agricole.
Je vais à présent vous donner mon sentiment sur la façon dont fonctionne l'Union européenne, s'agissant des sujets agricoles. Je suis frappé de voir avec quelle lenteur les décisions sont prises dans l'espace européen. J'ai la conviction que les mécanismes de prise de décisions ont été prévus pour les temps de paix et de prospérité, beaucoup moins pour les temps de guerre et de désordre du monde. Or on ne peut pas attendre six, neuf ou douze mois pour changer un règlement, parce que les lois de la guerre, qu'elle soit économique ou alimentaire, sont ce qu'elles sont.
À cet égard, le Green Deal a été proposé à une époque différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. Dans l'intervalle, nous avons été confrontés au covid, à la guerre en Ukraine ainsi qu'à un dérèglement des sujets alimentaires. Nous nous sommes également rendu compte que le dérèglement climatique allait produire des effets délétères sur l'équilibre et la sécurité alimentaires. L'Europe doit donc revoir, me semble-t-il, sa politique à l'aune de ces nouveaux déterminants. Or, je trouve qu'elle a du mal à le faire.
Certes, la présidente Ursula von der Leyen a pris des initiatives, avec le lancement par la Commission européenne du dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture, mais je crains que nous n'ayons du mal à travailler sereinement sur ces sujets à six mois d'une échéance électorale. Si nous n'y prenons pas garde, si nous nous privons des moyens de produire, nous prendrons le même chemin sur les questions alimentaires qu'en matière énergétique. Alors que l'Europe a importé 20 millions de tonnes de céréales l'année dernière, elle en importera 40 millions cette année : c'est préoccupant.
La France a donc pris une initiative sur les jachères, car nous ne pouvons pas entretenir une forme d'utopie et continuer d'avoir 4 % de terres en jachère si nous ne sommes pas capables de couvrir nos propres besoins.
Par ailleurs, l'Europe ne se pense pas comme une puissance en matière de souveraineté alimentaire. Il nous faut non seulement nourrir notre propre population malgré les contraintes climatiques ou autres, mais également nous demander qui va nourrir les pays à nos frontières. Qui va nourrir le bassin méditerranéen ? Pour dire les choses plus clairement, que ce soit l'Union européenne ou la Russie n'est pas neutre.
J'en viens à mon dernier point : la question ukrainienne. Vous le savez, les négociations d'adhésion sont longues par nature, notamment pour intégrer l'acquis communautaire. Un pays n'appliquant pas l'acquis communautaire, notamment en matière agricole, ne peut pas adhérer à l'Union européenne. Les Ukrainiens le savent, je le leur ai dit il y a un mois et demi.
L'Ukraine est une immense puissance agricole. Allons-nous en faire un allié pour notre souveraineté alimentaire ou la laisser mettre à mal notre agriculture ? L'Ukraine va-t-elle conquérir avec nous des marchés sur lesquels sont aujourd'hui les Russes, les Brésiliens ou les Américains ? Ou va-t-elle nous concurrencer sur nos marchés ? Il faut travailler sur cette question avec les Ukrainiens, quelle que soit l'échéance de l'intégration de leur pays dans l'Union. C'est la première fois que nous allons faire entrer dans l'Union un pays plus productif et plus compétitif que nous en matière agricole. La structure des exploitations et la nature des sols font de l'Ukraine un eldorado.
En Ukraine, la politique agricole est très puissamment portée par des opérateurs privés, qui défendent leurs intérêts immédiats. Je pense que, pour notre part, nous devons essayer de penser à long terme avec les autorités ukrainiennes, l'Ukraine ayant des structures agricoles lui permettant de concurrencer les Brésiliens en Afrique et en Asie.
Nous n'avons cessé de demander à la Commission des études d'impact du Green Deal sur l'agriculture européenne. Nous n'avons pu accéder qu'à une étude américaine, qui montrait que notre production baisserait de 10 % à 15 %. Pourquoi l'Union européenne n'a-t-elle pas affronté cette question, en produisant et publiant des études à ce sujet ? La France aurait dû l'y pousser. Cela aurait facilité le dialogue et la compréhension des mesures sur nos territoires...
Je me pose la même question !
Oui, et c'est pour cela que nous avons refusé plusieurs dispositions, faute d'un chiffrage crédible de leur impact sur notre production.
Nous sommes tous d'accord sur les objectifs. Reste à s'entendre sur les moyens...
Nul n'est capable à ce jour de chiffrer l'impact du Green Deal sur la production agricole. Pourtant, la Commission européenne a de puissants moyens pour étudier ces questions. Cela nourrit la crainte qu'elle cache des éléments... Une de ses études montre que la réglementation SUR réduirait notre production viticole de 30 %, sans que nul ne s'en émeuve.
La planification nationale est importante pour accorder entre eux les différents types d'objectifs : environnementaux, de souveraineté, de production.... Sans cela, on n'arrive pas à produire. D'où l'importance des études d'impact, notamment pour expliquer nos choix aux agriculteurs.
Ma question porte sur la proposition de directive relative à la surveillance des sols présentée par la Commission européenne en juillet dernier. Ce texte comporte des dispositions sur les principes de gestion durable des terres agricoles. La mise en oeuvre des mesures de gestion durable des sols pourrait représenter des coûts importants pour les agriculteurs comme pour l'État. Quelles sont les actions mises en oeuvre par le ministère de l'agriculture en la matière ? Dans quelle mesure les normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales ont-elles contribué à une amélioration des pratiques agricoles ? Faut-il renforcer leur niveau d'ambition pour atteindre les objectifs définis dans la nouvelle stratégie de l'Union européenne en matière de sols ?
J'aimerais d'abord revenir sur la déréglementation des NTG. La France soutient le compromis de Madrid sur le texte de la Commission, qui vise à assouplir les règles de mise sur le marché et de mise en culture pour certaines NTG. Ces nouveaux OGM, qui permettent de sélectionner les semences, étaient interdits dans l'Union européenne. Si ce compromis est accepté, les végétaux issus de certaines NTG seraient dispensés d'effectuer des contrôles de traçabilité et d'étiquetage parce qu'ils seraient considérés comme des plantes conventionnelles. La Commission a concédé la réalisation d'une étude d'impact sur le volet du texte relatif aux brevets, mais en 2025, après l'adoption de la nouvelle réglementation - or les brevets sont valables vingt ans. J'aurais voulu que le Gouvernement exprime une position ferme au Conseil contre tout affaiblissement de la réglementation des OGM. J'ai compris que ce n'était pas votre position.
Sur le Mercosur, nous sommes en phase avec la position du Gouvernement, qui freine l'adoption de l'accord. Juste avant la COP28, le Brésil a voté une loi qui facilite l'approbation de nouveaux pesticides. Conclure l'accord avec le Mercosur dans ces conditions, c'est mettre en péril notre agriculture... Le Président de la République a prévu de se rendre au Brésil en mars pour continuer les négociations. Nous espérons qu'il ne cédera pas.
L'accord avec la Nouvelle-Zélande adopté le 23 novembre par les députés européens aura un impact direct sur l'activité de nos éleveurs. Or les conditions d'élevage ne sont pas équivalentes, avec une hausse des coûts de production chez nous, imputable au plan contre les attaques de loups. On ne peut pas prôner la souveraineté alimentaire et envoyer paître nos éleveurs !
Cyril Pellevat et moi-même y avions travaillé pour la commission des affaires européennes et je suis très préoccupée par cette arlésienne dont on parle tant, qui devrait nous arriver d'ici à 2030 : une directive européenne sur la protection des sols. Par-delà les enjeux agricoles, il faut parler des aléas climatiques. Vous êtes venu dans mon département, monsieur le ministre, à une période dramatique pour nous, où les pollutions historiques à l'arsenic s'étaient réveillées, impactant des terres agricoles. Nous en sortons à peine. Quelle est la position du Gouvernement sur ce sujet ? S'active-t-il suffisamment pour faire adopter cette directive européenne ? Nous avons une loi sur l'air, une loi sur l'eau, mais toujours aucun texte sur les sols. Parmi les freins à une telle réglementation, figure, nous le savons, le fait que les sols relèvent de la propriété privée... Vous cherchez un juste équilibre entre les ambitions agricoles et environnementales. Mais j'insiste : vivre sur des sols sains est aussi important que l'air que nous respirons ou l'eau que nous buvons.
D'abord, je ne crois pas qu'il faille opposer la question de la santé des sols et celle de la production agricole. On sait qu'une partie de la baisse de production agricole est due à une dégradation de la santé des sols. Nous avons besoin de travailler sur la qualité des sols en matière organique. Parfois, nous oublions que ce sur quoi nous plantons compte beaucoup pour la capacité de production. À facteurs de production presque inchangés, la productivité agricole française a diminué, pour des raisons d'usure des sols, entre autres. La matière organique est moins présente, nous avons sans doute trop labouré, c'est pourquoi nous avons élaboré des techniques simplifiées, c'est pourquoi nous avons besoin de glyphosate, et ainsi de suite.
Mais qu'est-ce que la santé des sols ? S'agit-il de ce qui se trouve dans les sols, et qui pourrait être toxique, ou bien de la capacité fonctionnelle du sol ? Il nous faut déterminer si le sol a une fonction de purification ou de production. Nous veillerons à ce que les réglementations européennes ne nous conduisent pas à revenir en arrière. Nous luttons contre la rhétorique selon laquelle moins nous aurions d'activité agricole, mieux l'environnement se porterait. Pour autant, nous avons besoin de sols en bonne santé pour la production agricole. J'ajoute que l'intégration de matières organiques dans les sols est l'une des façons de stocker du carbone, comme le montre bien l'initiative « 4 pour 1 000 », prise par mon prédécesseur Stéphane Le Foll. Se préoccuper de la santé des sols ne doit pas nous amener à stériliser la capacité à produire.
Au contraire, il est nécessaire de restaurer une fonction de production dans les sols. Certaines pratiques agricoles requises pour cela sont également vertueuses du point de vue environnemental. Elles favorisent la présence de micro-organismes, stimulent la vie dans les sols, augmentent le stockage de carbone et améliorent la production.
Les NBT - new breeding techniques - et NTG ne sont pas des OGM selon la définition classique. C'est pourquoi il faut une réglementation spécifique. Il est essentiel de se référer à la science pour comprendre les enjeux : en réalité, il sera très difficile de distinguer un produit issu des NBT d'un produit conventionnel. Cela démontre à quel point nous ne nous éloignons pas d'un cycle naturel. Il est donc paradoxal de vouloir l'étiqueter alors que, dans la nature, nous ne saurions faire la distinction. Les NTG permettent, par exemple, de travailler sur le génome du blé pour lui conférer une résistance à certaines maladies. C'est toujours du blé, mais modifié à l'aide de son propre génome, contrairement à ce qui se faisait pour le maïs par exemple.
Quant aux OGM, leur échec est en grande partie dû au fait qu'ils encourageaient l'utilisation de produits phytosanitaires, étant résistants aux herbicides. Mais ce n'est pas du tout ce qui est envisagé dans le texte. La France a réussi à faire en sorte que la proposition de règlement précise que les NTG doivent servir la transition agroécologique, en contribuant à réduire l'utilisation de produits phytosanitaires ou à faire face aux changements climatiques à venir. C'est un point crucial à mes yeux.
La France se vit parfois comme si elle était une île déserte, certains ignorant qu'il existe des outils formidables pour lutter contre la baisse de production liée au dérèglement climatique, et que tout le monde en dispose sauf nous, alors même que personne ne prend de risques ! Ce débat est un débat de postures. Chacun, sommé d'être dans un camp ou dans l'autre, n'arrive pas à sortir de son dogme. Pour ma part, je pense que ce qui est sur la table est un compromis acceptable.
J'en viens aux accords commerciaux. Je l'ai déjà dit au Sénat, pour qu'il y ait souveraineté, il est impératif de pouvoir échanger. L'équilibre de nombre de nos filières agricoles dépend de notre capacité à exporter, qu'il s'agisse du lait, des céréales, du porc ou bien sûr de la viticulture. Nous avons besoin du commerce, surtout au vu de notre orientation vers une trajectoire décroissante en termes de production. Nous devons par conséquent trouver un équilibre entre nos besoins commerciaux et les impératifs environnementaux. Il est crucial que tout accord soit compatible avec les objectifs climatiques.
Bien sûr, les autres pays n'ont pas exactement la même agriculture : l'agriculture brésilienne n'a pas les mêmes contraintes et les mêmes caractéristiques que l'agriculture française ou européenne. Mais si nous refusons d'importer, d'autres refuseront qu'on exporte chez eux. Là encore, tout est question d'équilibre. C'est ce qui justifie notre position sur le Mercosur, ou notre position favorable à la Nouvelle-Zélande : le système néo-zélandais est hyperextensif, mais nous refusons celui du Brésil, qui est très intensif...
En ce qui concerne la France elle-même, le véritable enjeu de compétitivité réside dans la concurrence avec les autres pays européens. Les accords internationaux au coeur des discussions ne sont pas en vigueur. L'accord avec le Mercosur n'existe pas encore, l'accord avec la Nouvelle-Zélande vient juste d'être voté, celui avec l'Australie a été rejeté. Est seulement en vigueur l'Accord économique et commercial global (Ceta) avec le Canada, qui produit des effets positifs. Mon collègue belge pourrait vous dire qu'être engagé dans des accords internationaux, c'est souvent mieux que de ne pas l'être.
Enfin, je crois qu'il est crucial de convaincre la Commission européenne. Contrairement à la Direction générale de l'Agriculture, la Direction générale du Commerce a toujours eu une vision plus ouverte, favorable aux accords, sans stratégie marquée sur les questions agricoles. Je pense que la question de la sécurité alimentaire devrait être prioritaire dans l'élaboration des accords internationaux à venir.
Je le reconnais, l'aspect dogmatique peut influencer nos positions respectives sur des sujets tels que les OGM et le glyphosate. Cela soulève l'importance d'une évolution mutuelle, mais ce serait un débat nécessitant bien plus de temps que celui que nous avons aujourd'hui.
C'est tout l'art du compromis...
C'est en effet tout un art que celui du compromis, et malheureusement, nous n'en sommes pas encore là.
Revenons au pacte vert pour l'Europe et à la stratégie « De la ferme à la table » pour une alimentation plus saine et durable. Vous avez mentionné des revers tels que l'abandon du règlement sur l'utilisation durable des pesticides et une moindre ambition pour la restauration des systèmes agricoles. Face à ces défis, comment les objectifs du pacte vert pourront-ils être atteints ? La France aspire à être un exemple en matière de transition agroécologique. Dès lors, comment entendez-vous maintenir les efforts pour atteindre les objectifs du Pacte vert pour l'Europe ?
Avec seulement 10 % de surfaces en agriculture biologique, nous sommes bien loin des objectifs fixés par le plan d'action pour la production biologique dans l'Union, qui visait à consacrer 25 % des terres agricoles à l'agriculture biologique. Dans le cadre de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim), l'objectif était de parvenir à 20 % de produits bio en restauration collective, et nous sommes actuellement à 6 %. Comment envisagez-vous d'atteindre ces objectifs ? Quels moyens seront déployés à cet effet ? Ces moyens s'inscrivent-ils dans une stratégie européenne, ou la démarche haute valeur environnementale (HVE) risque-t-elle de prendre le dessus sur la démarche bio, alors qu'elle n'est pas aussi exemplaire ?
En 2021, la Cour des comptes européenne avait relevé que la PAC 2014-2020 ne respectait pas les engagements européens en matière d'utilisation durable de l'eau, notamment les recommandations de la directive-cadre sur l'eau (DCE). Comment la PAC 2023-2027 remédie-t-elle à ces lacunes ? Encourage-t-elle une utilisation plus rationnelle de l'eau, notamment par le biais des paiements directs aux agriculteurs et des critères de conditionnalité ?
En ce qui concerne la qualité, la DCE vise à prévenir et à réduire les pollutions, avec pour objectif un bon état écologique de l'eau. La directive de 2020 relative à l'accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine redéfinit les normes essentielles de qualité de l'eau et les règles de transparence pour les consommateurs. On le voit bien, la protection des captages d'eau est essentielle. Nous avons organisé 80 auditions au Sénat dans le cadre d'une mission d'information qui a produit un rapport intitulé : « Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement ». Même la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) nous a dit que l'objectif de protéger les captages d'eau, c'est-à-dire aujourd'hui environ 3 % des surfaces agricoles, était essentiel. Quelles mesures comptez-vous prendre pour atteindre cet objectif ? À quelle échéance ?
Je me fais l'écho de ce que vous avez dit sur l'Ukraine. Un grand industriel de l'ouest de la Sarthe vient d'annoncer la fermeture de 200 poulaillers à cause d'importations de volailles des autres pays de l'Est, qui risquent de compliquer fortement la donne, ce qui inquiète beaucoup le milieu agricole.
Par ailleurs, l'agrivoltaïsme me préoccupe. Les cartes communales présentées sur les énergies renouvelables (EnR) montrent une propension à l'accélération de leur déploiement qui concerne des terres agricoles. Des agriculteurs qui arrivent à l'âge de 50 ou 55 ans, plutôt que de transmettre leur exploitation, songent à installer de l'agrivoltaïsme et à toucher les 2 000 ou 3 000 euros par hectare correspondants - comme une retraite. Ce sujet est peut-être en marge des discussions européennes, mais il concerne toute l'Europe.
Sur le glyphosate, plutôt que d'être dogmatiques, nous essayons de réduire l'usage partout où c'est possible. C'est une façon de sortir de ce débat clivant, où le glyphosate est devenu un totem de combat. Cette capacité à éviter le piège des extrêmes nous permettra de progresser.
Vous évoquez les questions d'eau. On ne se demande jamais, quand on pose ces questions, si nous sommes capables de produire. La baisse constante de la production agricole européenne sur une décennie est alarmante, surtout vu l'importation massive de céréales en Europe, qui atteint cette année 40 millions de tonnes. Comme le disait Charles Péguy du kantisme, « ils ont les mains pures, mais ils n'ont pas de mains » ! Cette dépendance accrue vis-à-vis des importations soulève des questions cruciales sur notre capacité à maintenir une sécurité alimentaire robuste, surtout dans un espace géographique limité comme celui de l'Union européenne, d'autant que nous avons besoin de plus de biomasse, pour les biomatériaux, les biocombustibles, les bioénergies... Il faut un Green Deal, certes, mais pas aux dépens de notre sécurité alimentaire. Nous avons donc besoin d'outils et de systèmes plus productifs. Les Américains ou les Brésiliens peuvent avoir une production à faible rendement, puisqu'ils ont des surfaces immenses. Les Ukrainiens jouissent de terres d'une grande qualité, leur assurant de forts rendements. Puisque qu'en Europe, nous avons des espaces contraints, il nous faut parvenir à une productivité très forte. Sinon, la production est amenée à baisser, ce qui accroît notre dépendance.
Vous avez également abordé la question du bio. Cette production doit surtout susciter la demande des consommateurs, plutôt que de dépendre uniquement des politiques publiques. Près de 800 millions d'euros sont dépensés dans le cadre de la PAC et des dispositifs nationaux pour favoriser le maintien ou la transition vers l'agriculture biologique. Nous avons évidemment besoin de la production biologique. Néanmoins, passer entièrement au bio pourrait soulever des défis de production et d'importation encore plus importants.
Concernant l'eau, la couverture permanente, qui assure l'occupation continue des sols par les cultures, permet de mieux stocker, et d'éviter que s'échappent les nitrates, entre autres. Nous devons favoriser l'agroécologie, car la rotation des cultures permet de mieux fixer l'azote, et réduit le recours aux engrais et donc aux produits phytosanitaires. Dans la PAC, les écorégimes viennent conforter une stratégie d'évolution des assolements et de réduction des produits phytosanitaires. Là encore, il faut trouver un équilibre pour ne pas pénaliser excessivement les producteurs.
En ce qui concerne l'agrivoltaïsme, une réflexion sur la répartition de la valeur générée par ces innovations paraît nécessaire, afin de ne pas favoriser une partie au détriment d'une autre et d'éviter les opportunismes. Nous devons aussi limiter la baisse de production induite par ces projets. Sur tout cela, nous devons travailler avec le monde agricole.
Vous m'interrogez enfin sur l'importation de volaille ukrainienne et ses conséquences sur le marché européen. La réévaluation régulière de cette ouverture aux importations ukrainiennes est essentielle pour assurer la stabilité des marchés agricoles européens. Il faudra donc documenter les choses, comme nous le disions tout à l'heure. On me dit que l'impact est marginal, mais je vois des importations françaises importantes. Les Ukrainiens ont bénéficié de la baisse de notre production, liée notamment à la grippe aviaire. J'irai en Ukraine souligner que, si nous parlons d'adhésion, nous ne pouvons pas ainsi nous faire tailler des croupières... C'est au Gouvernement ukrainien de prendre ses dispositions pour que ses céréales soient exportées hors de l'Europe, afin que les marchés y trouvent leur équilibre.
Monsieur le ministre, qui dit nouvelle PAC - nous sommes dans la première année de mise en oeuvre de cette dernière - dit nouvelle gouvernance, nouvelle répartition des pouvoirs entre l'État et les régions et transfert de tâches sans précédent vers ces dernières.
Dans certaines régions, le volume des dossiers engagés et effectivement transférés au 1er janvier 2023 est égal, voire supérieur, à celui des dossiers traités entre 2014 et 2019. La gestion de tels stocks entraîne inévitablement des retards de paiement, qui sont à l'origine d'un grand mécontentement chez nos agriculteurs. Que comptez-vous faire pour y remédier ?
Une fois n'est pas coutume, je remercie M. le ministre d'avoir trouvé 180 millions d'euros pour les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec).
Ce n'est hélas que 150, mais c'est déjà ça !
Quoi qu'il en soit, ceux qui les attendaient avec impatience vous félicitent et vous remercient.
Vous avez évoqué l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, en essayant de nous expliquer que ses effets sur le marché seraient mineurs. Quid de la PAC et du marché unique ? L'Ukraine est un grand pays agricole et son adhésion représenterait nécessairement un défi. Qu'en pensez-vous ? Le processus d'adhésion prendra certes des années, mais nous devrons être très vigilants.
Avec mes collègues Daniel Gremillet et Jean-Michel Arnaud, j'ai le plaisir d'être co-rapporteure de notre commission sur la proposition de règlement relative aux nouvelles technologies génomiques. Plus nous menons d'auditions, plus nous mettons en lumière des controverses économiques et, étonnamment, scientifiques. Or votre position me paraît, monsieur le ministre, en décalage avec ces enjeux.
Par ailleurs, Ursula von der Leyen a annoncé voilà quelques mois un dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture. Comment avance-t-il ? Quel est le positionnement de la France, dans le contexte des prochaines élections européennes ? Quelle forme prendra ce dialogue et comment le Parlement y sera-t-il associé ?
En ce qui concerne les exportations de la Russie sur le continent africain, plusieurs organisations professionnelles françaises s'inquiètent du non-respect des règles commerciales et des flux parfois étonnants qui sont constatés. Avez-vous des informations à ce sujet ?
Enfin, je souhaitais relayer l'inquiétude des chercheurs, directeurs de recherche et enseignants-chercheurs des écoles d'agriculture et d'agronomie, qui découle de nos discussions sur l'asile et l'immigration. Beaucoup d'étudiants étrangers viennent faire leur thèse en France. Quel signal enverrons-nous aux étudiants et aux enseignants de nos écoles et universités ?
L'additif E250 ou nitrite de sodium sera, semble-t-il, interdit en Europe pour l'alimentation des animaux domestiques, notamment dans les croquettes pour chiens et chats. Il resterait pourtant autorisé pour l'alimentation humaine, notamment dans les charcuteries. Quelle est la position de la France sur ce sujet de santé publique ?
Il n'existe pas d'interdiction européenne des nitrites dans l'alimentation des chats et des chiens. Pour une raison que j'ignore encore, les entreprises du secteur ont décidé d'elles-mêmes de retirer les nitrites de leurs produits. Vous savez, par ailleurs, que l'on peut parfois donner à nos animaux des aliments que nous n'imaginerions pas consommer nous-mêmes. Du fait de leur biologie, ils sont en effet moins sujets au risque de botulisme par exemple, qui justifie l'utilisation des nitrites.
Les décisions relatives aux nitrites dans les charcuteries ont été éclairées par l'Anses. Nous appliquons ses recommandations et tâchons de réduire l'utilisation des nitrites tout en conservant le souci de la santé publique. Il faut savoir qu'un accident mortel est survenu récemment à la suite de l'ingestion d'un jambon artisanal qui n'avait pas été traité aux nitrites.
Je ne défends ici aucun lobby. Nous avons pris nos décisions en conscience sur le fondement de l'avis de l'Anses. Permettez-moi également de signaler que les grandes firmes ne seraient pas spécialement gênées par l'interdiction des nitrites. Elles savent faire en masse. Ce n'est donc pas principalement une question de lobbies.
Monsieur Vogel, vous m'interrogez sur la mise en oeuvre de la PAC. Un certain nombre de prérogatives en matière de politique agricole commune ont en effet été confiées aux régions.
Étant un pur produit de la démocratie locale, je suis plutôt décentralisateur dans l'âme. Et pourtant, partout où je me rends, dès que l'on aborde le sujet de la dotation jeunes agriculteurs (DJA), on me demande de la recentraliser. Tel agriculteur considère comme plus attractif le dispositif mis en oeuvre dans la région voisine, tel autre juge les conditions d'éligibilité trop strictes dans sa région... C'est toute la question de la différenciation et de la décentralisation. Comment mener une politique agricole commune nationale ? La question se pose. Il est étonnant de voir qu'on peut aujourd'hui nous reprocher d'être allés trop loin dans la décentralisation.
En ce qui concerne le transfert des effectifs et des dossiers DJA, les régions m'avaient demandé, dès mon arrivée au ministère, de m'assurer que les effectifs transférés seraient suffisants. On peut toujours en débattre, mais Régions de France reconnaîtrait volontiers que nous avons fait un effort. Il a été proposé à des fonctionnaires des directions départementales des territoires (DDT) d'aller travailler en région, selon les modalités offertes par les régions. Tous ne l'ont pas fait. Il a donc été nécessaire, parfois, pour instruire les dossiers, de recruter ex nihilo des personnes qui n'avaient pas cette expérience. Dans d'autres régions, les choses se sont bien passées. Voilà qui explique certaines différences et des retards plus importants par endroits.
En Bourgogne-Franche-Comté en particulier, les tensions étaient telles entre les jeunes agriculteurs et la région que nous avons pris l'engagement de reprendre 200 dossiers, puis 250 supplémentaires en instruction, afin d'écouler les stocks. En bonne intelligence avec la présidente de région, l'État a donc mis les moyens pour permettre l'instruction des dossiers.
Monsieur Cadec, je suis sensible à vos remerciements pour les mesures agroenvironnementales. Elles couvrent, selon moi, les besoins, en particulier ceux de la Bretagne.
Vous avez raison par ailleurs, l'intégration de l'Ukraine changerait bien entendu la donne. Mon propos était de dire que, avec ou sans adhésion, la présence de cette puissance agricole à nos frontières produit déjà - et depuis plusieurs années - ses effets sur le marché.
Même si la question se pose non pas pour la PAC 2027, mais pour la suivante, nous devons réfléchir à une évolution de la PAC. Le dérèglement climatique, les bouleversements géopolitiques incessants, les crises économiques et l'arythmie des revenus qui en découlent doivent être pris en compte. Une exploitation de 40 000 hectares doit-elle bénéficier du même soutien qu'une exploitation de 100 hectares ? Poser la question, c'est déjà y répondre.
Les Ukrainiens, d'ailleurs, ne cherchent pas spécialement à bénéficier des crédits de la PAC. Ils n'en ont pas besoin pour être compétitifs. Il ne faudrait pas que nous nous liions les mains et que nous ne parvenions plus à produire suffisamment de céréales. Le besoin serait alors couvert par l'Ukraine.
Dans le processus d'adhésion qui sera long et dont nous ne connaissons pas l'issue, il nous faut donc entrer dans un dialogue et considérer l'Ukraine non pas comme un concurrent, mais comme un partenaire. Nous avons besoin de construire avec les Ukrainiens une stratégie européenne non pas nécessairement dans le cadre de l'« Union », mais du « continent », sur la question agricole.
Nous avons vécu récemment ce que pourrait être l'arrivée des céréales ukrainiennes sur le marché européen, avec l'épisode des céréales qui étaient destinées à l'Afrique et qui ont transité par l'Union européenne. Les États membres avaient dû fermer leurs frontières, car les prix avaient été complètement cassés. Beaucoup d'exploitations agricoles avaient été brutalement mises en faillite et le prix du blé avait chuté de moitié, voire avait été divisé par trois.
Je rejoins Alain Cadec : comment intégrer le géant ukrainien tout en évitant la baisse des prix ? Une grande exploitation peut baisser ses prix bien plus facilement qu'une petite.
C'est tout l'enjeu, en effet. La question est de savoir ce que nous faisons avec ce géant qui grandit à nos frontières.
La France est une puissance céréalière exportatrice. Avec les Ukrainiens, nous pouvons construire une puissance agricole européenne. Sans eux, la question ne se pose pas dans les mêmes termes.
Sur la question des NTG, les scientifiques s'accordent à dire que les risques sont marginaux, voire inexistants.
Nous vivons dans un monde de controverses. D'aucuns ne nous ont-ils pas expliqué qu'on pouvait guérir du covid en avalant de l'eau de javel quand d'autres nous ont déconseillé de nous vacciner ? Dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, il n'existe plus de faits scientifiques avérés : vous trouverez toujours quelqu'un pour brandir une étude complémentaire contredisant les conclusions de la majorité des scientifiques. Pour ma part, j'ai tendance à me fier à la majorité des scientifiques.
Je le répète, se priver de ces techniques, c'est, à terme, se livrer à d'autres. C'est aussi simple que cela. Tout le monde utilise désormais ce levier puissant de transformation du modèle agricole. Si nous refusons les produits phytosanitaires, si nous refusons les NTG et si nous ne voulons pas non plus travailler la question de l'eau, je ne sais pas comment nous produirons demain.
L'Europe importe ses céréales et la France est le seul pays excédentaire en la matière. Les Russes sont en train de saturer le marché grâce à des prix très bas et une qualité médiocre, y compris en matière d'alimentation humaine. C'est, pour nous, certes, un avantage comparatif : nous pouvons encore intervenir sur ces marchés, puisque les céréales françaises sont réputées pour leur qualité. Il n'en reste pas moins que les Russes organisent ni plus ni moins la dépendance des pays africains. Pour y répondre, nous devons être un acteur du jeu. Il nous faut donc être en capacité de fournir et de produire. À défaut, nous regarderons M. Poutine placer ses pions et jouer aux dominos.
L'Europe a par conséquent rendez-vous avec sa stratégie de souveraineté. Le commissaire européen à l'Agriculture me disait que le marché des céréales avait produit autant cette année que les autres années, mais les disparités sont fortes selon les zones ! Si l'on étend le raisonnement, on peut considérer que l'énergie - gaz et pétrole - est en quantité suffisante, mais qui la détient ? Nous avons fait preuve d'aveuglement sur la question du gaz : il y en avait, mais il était chez les Russes, autrement dit nos adversaires d'aujourd'hui !
La question de savoir qui nourrit les Français, les Européens et nos voisins immédiats est centrale. Si nous voulons assumer ce rôle, il nous faudra nous doter des outils adéquats. Si une trajectoire de réduction des produits phytosanitaires paraît nécessaire, il me semble également que les NTG ou encore l'adoption de nouvelles pratiques agricoles sont utiles. À défaut, nous serons rapidement dans l'impasse. Nous le sommes d'ailleurs déjà en partie. Sur ces marchés, nous n'imposerons pas nos règles au reste du monde. C'est la nécessité de nourrir qui impose ses règles.
En début d'année, nous avons ainsi débattu de l'utilisation de la phosphine, un produit insecticide, dans les céréales. J'ai beaucoup oeuvré pour une libéralisation, car nous aurions pu, du fait d'une décision domestique, nous retrouver dans une situation nous empêchant d'exporter des céréales vers des pays demandeurs. Nous aurions alors ouvert les ports aux tankers de M. Poutine.
Nous n'avons pas à dicter nos volontés à nos partenaires commerciaux. Nous ne voulons pas de veau aux hormones, c'est très bien et c'est tant mieux ! Pour autant, nous n'empêcherons pas les autres d'en consommer. De même, on parle souvent de bien-être animal. La question n'est pas d'imposer à l'Algérie, au Maroc ou à la Tunisie le transport d'animaux non-vivants : ces pays veulent transporter des animaux vivants !
En résumé, si ce n'est pas nous, d'autres occuperont la place. On peut toujours améliorer les choses chez nous, mais gardons en tête que la puissance agricole européenne est en danger.
Merci, monsieur le ministre. Nous aurons l'occasion de nous revoir, car l'actualité européenne continuera d'être marquée par les enjeux agricoles, notamment celui de la souveraineté alimentaire.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 50.