Intervention de Marc Fesneau

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 décembre 2023 à 16h35
Agriculture et pêche — Actualité européenne en matière agricole - Audition de M. Marc Fesneau ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire :

D'abord, je ne crois pas qu'il faille opposer la question de la santé des sols et celle de la production agricole. On sait qu'une partie de la baisse de production agricole est due à une dégradation de la santé des sols. Nous avons besoin de travailler sur la qualité des sols en matière organique. Parfois, nous oublions que ce sur quoi nous plantons compte beaucoup pour la capacité de production. À facteurs de production presque inchangés, la productivité agricole française a diminué, pour des raisons d'usure des sols, entre autres. La matière organique est moins présente, nous avons sans doute trop labouré, c'est pourquoi nous avons élaboré des techniques simplifiées, c'est pourquoi nous avons besoin de glyphosate, et ainsi de suite.

Mais qu'est-ce que la santé des sols ? S'agit-il de ce qui se trouve dans les sols, et qui pourrait être toxique, ou bien de la capacité fonctionnelle du sol ? Il nous faut déterminer si le sol a une fonction de purification ou de production. Nous veillerons à ce que les réglementations européennes ne nous conduisent pas à revenir en arrière. Nous luttons contre la rhétorique selon laquelle moins nous aurions d'activité agricole, mieux l'environnement se porterait. Pour autant, nous avons besoin de sols en bonne santé pour la production agricole. J'ajoute que l'intégration de matières organiques dans les sols est l'une des façons de stocker du carbone, comme le montre bien l'initiative « 4 pour 1 000 », prise par mon prédécesseur Stéphane Le Foll. Se préoccuper de la santé des sols ne doit pas nous amener à stériliser la capacité à produire.

Au contraire, il est nécessaire de restaurer une fonction de production dans les sols. Certaines pratiques agricoles requises pour cela sont également vertueuses du point de vue environnemental. Elles favorisent la présence de micro-organismes, stimulent la vie dans les sols, augmentent le stockage de carbone et améliorent la production.

Les NBT - new breeding techniques - et NTG ne sont pas des OGM selon la définition classique. C'est pourquoi il faut une réglementation spécifique. Il est essentiel de se référer à la science pour comprendre les enjeux : en réalité, il sera très difficile de distinguer un produit issu des NBT d'un produit conventionnel. Cela démontre à quel point nous ne nous éloignons pas d'un cycle naturel. Il est donc paradoxal de vouloir l'étiqueter alors que, dans la nature, nous ne saurions faire la distinction. Les NTG permettent, par exemple, de travailler sur le génome du blé pour lui conférer une résistance à certaines maladies. C'est toujours du blé, mais modifié à l'aide de son propre génome, contrairement à ce qui se faisait pour le maïs par exemple.

Quant aux OGM, leur échec est en grande partie dû au fait qu'ils encourageaient l'utilisation de produits phytosanitaires, étant résistants aux herbicides. Mais ce n'est pas du tout ce qui est envisagé dans le texte. La France a réussi à faire en sorte que la proposition de règlement précise que les NTG doivent servir la transition agroécologique, en contribuant à réduire l'utilisation de produits phytosanitaires ou à faire face aux changements climatiques à venir. C'est un point crucial à mes yeux.

La France se vit parfois comme si elle était une île déserte, certains ignorant qu'il existe des outils formidables pour lutter contre la baisse de production liée au dérèglement climatique, et que tout le monde en dispose sauf nous, alors même que personne ne prend de risques ! Ce débat est un débat de postures. Chacun, sommé d'être dans un camp ou dans l'autre, n'arrive pas à sortir de son dogme. Pour ma part, je pense que ce qui est sur la table est un compromis acceptable.

J'en viens aux accords commerciaux. Je l'ai déjà dit au Sénat, pour qu'il y ait souveraineté, il est impératif de pouvoir échanger. L'équilibre de nombre de nos filières agricoles dépend de notre capacité à exporter, qu'il s'agisse du lait, des céréales, du porc ou bien sûr de la viticulture. Nous avons besoin du commerce, surtout au vu de notre orientation vers une trajectoire décroissante en termes de production. Nous devons par conséquent trouver un équilibre entre nos besoins commerciaux et les impératifs environnementaux. Il est crucial que tout accord soit compatible avec les objectifs climatiques.

Bien sûr, les autres pays n'ont pas exactement la même agriculture : l'agriculture brésilienne n'a pas les mêmes contraintes et les mêmes caractéristiques que l'agriculture française ou européenne. Mais si nous refusons d'importer, d'autres refuseront qu'on exporte chez eux. Là encore, tout est question d'équilibre. C'est ce qui justifie notre position sur le Mercosur, ou notre position favorable à la Nouvelle-Zélande : le système néo-zélandais est hyperextensif, mais nous refusons celui du Brésil, qui est très intensif...

En ce qui concerne la France elle-même, le véritable enjeu de compétitivité réside dans la concurrence avec les autres pays européens. Les accords internationaux au coeur des discussions ne sont pas en vigueur. L'accord avec le Mercosur n'existe pas encore, l'accord avec la Nouvelle-Zélande vient juste d'être voté, celui avec l'Australie a été rejeté. Est seulement en vigueur l'Accord économique et commercial global (Ceta) avec le Canada, qui produit des effets positifs. Mon collègue belge pourrait vous dire qu'être engagé dans des accords internationaux, c'est souvent mieux que de ne pas l'être.

Enfin, je crois qu'il est crucial de convaincre la Commission européenne. Contrairement à la Direction générale de l'Agriculture, la Direction générale du Commerce a toujours eu une vision plus ouverte, favorable aux accords, sans stratégie marquée sur les questions agricoles. Je pense que la question de la sécurité alimentaire devrait être prioritaire dans l'élaboration des accords internationaux à venir.

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